Octobre 2007
Le métier d'enseignant, ça
s'apprend. Comme tous les métiers, du reste.
Pour devenir professeur des
écoles, on prépare un concours (niveau bac + 3) et si on le réussit, on reçoit
une formation théorique (à l'IUFM : Institut Universitaire de Formation
des Maîtres) et pratique (stages de mise en situation dans les classes).
Le plus gros de l'apprentissage
se fait ensuite sur le terrain, lors des premières années d'enseignement. Il
faut bâtir son expérience. (Les choses ont changé, concernant le cursus
pour enseigner dans le primaire. Voir la note à la fin du texte.)
On place souvent des débutants
sur des postes de remplaçant restés vacants en début d'année scolaire :
c'est déroutant et éprouvant quand on ne connaît rien ou presque au système
scolaire, mais très formateur.
On peut aussi choisir d'être
remplaçant, c'est un poste fixe comme un autre : c'est ce que j'ai fait,
après cinq ans d'enseignement, dont quatre dans une école de ZEP (Zone
d'Education Prioritaire) très difficile.
J'entame ma cinquième année de
remplacements sur une "Zone d'Intervention Limitée" (on me nomme
ZIL), soit une circonscription d'une trentaine d'écoles, maternelles et
élémentaires. Je remplace dans des classes qui vont de la Petite Section
(enfants d’à peine 3 ans) jusqu'au CM2 (enfants de 10, 11, parfois 12 ou 13
ans).
Je me propose ici, mesdames et
messieurs, de dévoiler quelques secrets liés au rôle du remplaçant. Venez donc
avec moi dans les coulisses, là où tout se joue, là où tout se tisse…
Tout d'abord, le remplaçant se doit
d’être souple, docile, réactif, adaptable. Il aura toujours en tête le grand
principe suivant : "Ce qui est vrai aujourd'hui ne l'est plus forcément le
lendemain". Vous remplacez untel et l'on vous dit qu'il revient
demain : ce n'est pas une certitude absolue. Votre mission prend fin quand
vous avez devant vous la personne remplacée, pas avant.
Car il se peut que le lendemain,
on vous annonce : "Untel a prolongé son arrêt." Alors, vous reprenez
la classe ! Il y a aussi le cas inverse : "Machin sera aussi
absent demain." Mais on n'est jamais sûr de rien. Dernièrement, venant tôt
dans la classe pour préparer une deuxième journée en CP, j'ai appris, en allant
chercher les élèves, que leur maître était revenu. Son médecin ne lui avait pas
accordé de jour d'arrêt supplémentaire.
Allons plus loin : "Ce
qui est vrai cinq minutes avant ne l'est plus forcément cinq minutes après".
Vous appelez la secrétaire de l'IEN (Inspection de l'Education Nationale) à 8
heures 30 pour l'informer que vous êtes disponible et elle vous répond qu'elle
n'a rien pour vous.
Vous vous installez
confortablement en salle des maîtres, en vous demandant à quoi vous allez bien
passer la matinée (lire ? écrire ? faire du rangement ? bayer aux corneilles ?)
et elle vous rappelle dans la foulée pour vous envoyer dans une école
élémentaire sans que vous ayez eu le temps de lui demander le niveau de la
classe et la durée—probable—du remplacement. Elle a déjà raccroché.
Vous rangez vos affaires, vous
attrapez votre cartable et vous foncez. Non ! Pas si vite ! Vous n'êtes
pas si pressé ! Prenez votre temps, après tout ! Ce ne sont pas cinq
minutes de plus ou de moins dans une classe qui vont changer la face du
monde ! Respirez, mettez-vous en condition ! Vous ne savez pas ce qui
vous attend !
Vous l'aurez compris, le
remplaçant vit dans l'incertitude, le provisoire, les imprévus. Il ne faut
surtout pas que ça le stresse ; sinon, autant qu'il change de fonction. Un
remplaçant doit rester calme, ouvert à toute éventualité.
Ne comptez pas sur les
remplacements (surtout les courts) pour vous vous faire des ami(e)s. On vous
regardera souvent d'un air soupçonneux. On envie les remplaçants (ils travaillent
moins et gagnent plus), on les méprise (ce ne sont pas de "vrais"
enseignants, ils n'ont pas de "vraie" classe), on ne voudrait ou ne
pourrait pas faire ce qu'ils font (vivre au jour le jour, transiter d'une école
à l'autre, d'un niveau à l'autre).
Opposition des nomades et des
sédentaires… Vous ne trouverez grâce qu'aux yeux de vos semblables, avec
lesquels vous parlez le même langage. Entre remplaçants, l’on se comprend très
bien.
Malgré les précieux services
qu'il rend, on se montre extrêmement méfiant envers le remplaçant : sa
présence dans une école signifie "alerte", "attention
changement". Cette résistance—humaine, naturelle, somme toute banale—,
vous aurez à la gérer avec les collègues, mais aussi avec les enfants, ceux
avec lesquels vous allez travailler en l'absence de leur maître(sse).
Il vous faudra les rassurer, tout
en leur montrant très rapidement qui est le maître de la situation : vous.
S'il y a des réticences, si les élèves vous disent et c'est le cas à chaque
fois, quelque soit le niveau : "La maîtresse fait comme ci, la maîtresse
ne fait pas comme ça", restez sûr de vous et répondez : "Oui
mais aujourd'hui c'est moi qui suis dans la classe, alors je fais comme je veux".
Insistez, rajoutez plusieurs fois
s'il le faut, pour les plus coriaces et les plus récalcitrants :
"Vous n'avez pas à discuter avec moi, c'est comme ça et pas autrement".
Imposez-vous, que diable ! Vous pourrez bien sûr assouplir les choses au
fur et à mesure, mais dans un premier temps, il vous faut prendre la classe en
main, sans hésiter.
Dans les écoles maternelles, le
matin, on organise différentes activités autour de ce qu'on appelle "le
regroupement". Les élèves sont assis sur des bancs, et l'on travaille sur
la date (hier, aujourd'hui, demain), on regarde le temps qu'il fait, on fait
l'appel, on compte les élèves, les présents, les absents…
Ce sont des activités
relativement faciles à mener, que l'on peut compléter avec une séance de
comptines et de chants, une lecture d'album. Il faudra aussi composer en
fonction de l'emploi du temps : travail en ateliers, séance d'éducation
physique, récréation, passage incontournable aux toilettes… Vous serez
généralement secondé par une ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Écoles
Maternelles).
Dans les écoles élémentaires, la
première chose sera de demander aux élèves d'écrire leur prénom (en lettres
capitales) sur une feuille blanche pliée en deux qu'ils placeront sur leur
table, devant eux et qu'ils pourront aussi décorer.
Cela vous permettra directement
de les nommer et, pendant qu'ils seront occupés à faire leur étiquette, vous
pourrez prendre connaissance de l'emploi du temps (créneaux de gymnase, de
bibliothèque, d'informatique, de chorale…) et des services de l'enseignant
(surveillance de la cour aux récréations, accueil au portail aux entrées du
matin et de l'après-midi).
Il y aura peut-être, sur le
bureau, le cahier journal, outil très efficace pour savoir où les élèves en
sont dans le programme, mais ce sera très rare : généralement l'enseignant
l'emporte chez lui. Une façon rapide de se mettre au travail, c'est de corriger
les devoirs donnés la veille et d'enchaîner sur des exercices de même nature,
dans la même matière.
S'il n'y avait pas de devoirs,
vous pouvez proposer des activités simples, faciles à mettre en place :
calcul réfléchi sur l'ardoise, dictée de mots ou de phrases, opérations ou
conjugaison sur le cahier de brouillon, récitation des poésies apprises… Cela
vous laissera le temps de voir, au moins jusqu'à la récréation. Sauf si vous êtes
de service dans la cour ! Alors il vous faudra réfléchir vite et…
improviser.
Vous rencontrerez souvent des
problèmes au sujet des clés : la personne que vous remplacez n'a
généralement pas prévu d'être absente, donc elle n'a pas laissé ses clés (comme
elle a emporté son cahier journal). On vous prêtera un passe… ou pas. On vous
ouvrira la porte de la classe… ou pas. Il vous arrivera d'être obligé de passer
par la classe voisine (des portes communiquent) pour entrer dans la vôtre car
on n'a pas la clé qui correspond. Pour une journée, ça va, c'est folklorique,
mais si ça s'éternise…
À l'intérieur de la classe, vous
tomberez sur des armoires… fermées à clé, qui regorgent certainement de
matériel scolaire indispensable, mais inaccessible. Dans certaines écoles, il
vous faudra aussi une clé pour accéder aux toilettes des enseignants. À vous de
la quémander !
Un autre problème crucial :
celui de la photocopieuse. Ah ! La sacro-sainte photocopieuse !
Parfois elle est en accès libre, parfois il faut un code, parfois il faut
apporter son paquet de feuilles (c'est souvent dans l'armoire fermée à clé),
parfois (relativement souvent) elle en panne.
Adieu les mandalas, les
coloriages magiques, les mots croisés, les mots mêlés, les fiches de lecture
toutes prêtes… Tout ce matériel cher aux remplaçants ! Il vous faudra
faire preuve d'imagination et trouver des alternatives au travail "clé en
main", comme la réalisation de constructions géométriques (règle, équerre,
compas) ou la copie d'une poésie au tableau.
Voilà en ce qui concerne les
remplacements courts, "au pied levé". Les remplacements plus longs,
de plusieurs mois (généralement des congés maternité) seront anticipés et
préparés. Vous rencontrerez préalablement la personne que vous allez remplacer,
vous saurez quoi faire et comment travailler. Vous serez plus facilement
intégré à l'équipe enseignante, vous serez présenté aux élèves comme étant
"leur nouveau maître".
Vous prendrez possession d'un
univers pédagogique qui n'est pas le vôtre, vous utiliserez les classeurs, les
cahiers démarrés en début d'année, les livres ou les fichiers de maths et de
français, les manuels de sciences, d'histoire géographie…Vous continuerez le
programme, respecterez ce qui a été mis en place, avant votre arrivée.
Vous ne pourrez pas tout changer,
tout révolutionner, mais vous ne pourrez pas non plus faire exactement comme le
(la) collègue qui est en congé. Imposez-vous dans la classe en tant que
personne, avec vos choix, vos convictions, vos préférences. Les enfants comprendront,
s'adapteront, dans le meilleur des cas.
Un remplacement, même simplement
d'une journée, peut être très enrichissant. Le changement crée l'ouverture, il
y a souvent de bons échanges entre le remplaçant qui apporte une autre manière
de faire, et les enfants, qui y adhèrent complètement.
Il y a des remplacements qui
peuvent marquer toute une année scolaire. Comme celui que j'ai effectué, l'an
dernier, pendant quinze jours, dans une classe de CM1 où le courant était
particulièrement bien passé. Je repensais à ces élèves chaque fois que je
voyais leur école.
Je n'y suis retournée qu'en ce
début d'année, pour un remplacement de deux jours. Les CM1B, devenus CM2 et
répartis dans deux classes différentes, m'ont chaleureusement accueillie et
saluée à mon passage. Ils se souvenaient de mon nom, cela m'a beaucoup touchée.
J'ai repensé au fait que le photographe était venu à l'école pendant ma période
de remplacement et que je figurais sur leur photo de classe, à la place de leur
"vraie" maîtresse.
Août 2015
J’ai été titulaire remplaçante
ZIL de 2003 à 2010 sur Clichy-sous-Bois et Le Raincy, puis de 2010 à 2015 sur
Montfermeil (Coubron et Vaujours aussi) avec quelques journées passées sur mes
anciens lieux de travail, à Clichy-sous-Bois et au Raincy, missions pour
lesquelles j’étais disponible, et volontaire.
Ces petites incursions dans les
villes voisines m’ont permis d’avoir des nouvelles de mes ex-collègues et de
revoir des élèves, comme ceux qui de la maternelle se trouvaient maintenant en
élémentaire. La rencontre la plus improbable ayant eu lieu avec les élèves de
Petite Section que j’avais eus toute une année (2005/2006) et que je retrouvai (en
partie) des années plus tard, pour une journée, en CM2.
En septembre 2015, j’attaquerai
une nouvelle rentrée scolaire, toujours sur le même poste. En route pour de
nouvelles aventures, qui, je l’espère, seront plus sereines que celle passée en
CM2 de février à juin de cette même année.
Je ne sais pas quelle(s)
classe(s) je vais avoir, je n’ai eu ni listes ni commandes ni projets ni préparations
à faire, je me présente (presque) les mains dans les poches, avec mon (léger) cartable
tout de même, comme preuve de mon sérieux.
Les vacances d’été sont venues
gommer les moments pénibles avec ces enfants qui ne m’ont jamais vraiment
acceptée comme leur enseignante. Cela arrive, il faut le savoir. Si cela devait
se reproduire, je m’épargnerai, je ne m’acharnerai pas comme je l’ai fait. Les
remplaçants sont aussi remplaçables que les autres enseignants, je ne m’en
priverai pas cette fois-ci.
Note :
La formation des professeurs des
écoles se fait dorénavant en École Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPE,
ancien IUFM). Elle est accessible, sur concours, après un master 1 ou 2 (quatre
ou cinq années post-bac). Pour être titularisé(e) il faut absolument obtenir le
master.
À lire aussi sur ce blog :
-Journal de bord : un CM1
aux Bosquets
À lire et à voir sur Hautetfort :
-Clichy-sous-Bois
À voir et à lire sur ce blog :
-Montfermeil
-Histoires courtes (ou plus
longues)
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