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dimanche 9 août 2015

Amours heureuses

Trilogie du mois d’août 3 sur 3

Amours heureuses : Exercice 1
Ils se couchaient tard, ils se levaient tard, ils étaient en vacances. Elle s'endormait la première, serrée contre son corps, une main posée sur sa poitrine, aimante, confiante, paisible. Lui, il lisait. Il lisait longtemps, des heures après qu'elle se fut endormie. La lumière ne la gênait pas. Elle entrait vite dans le sommeil, avec une sensation de bien-être, totalement satisfaite de la journée passée—une de plus—en sa compagnie.

Elle se réveillait la première ; elle, c'était le matin qu'elle lisait, pendant que lui dormait profondément. Elle lisait une heure, ou plus, parfois elle se rendormait en le serrant fort dans ses bras. Elle finissait par se lever, tiraillée par la faim, alléchée par la perspective d'un copieux petit-déjeuner.

Elle mettait de l'eau dans une casserole, allumait le gaz avec une allumette, préparait leurs bols : café sucré pour lui, café ou thé au lait pour elle. Elle installait une profusion de victuailles sur la grande nappe : pains au chocolat, madeleines, biscuits, crêpes, confitures, miel… Elle savait qu'il ne mangerait presque pas ; lui, le matin, avec son café, il préférait fumer sa première cigarette. Elle a toujours eu faim, elle, au réveil. Pas question de commencer la journée en restant à jeun !

Elle l'appelait un peu avant que tout soit prêt, pour lui laisser le temps d'émerger du sommeil. S'il ne lui répondait pas, elle venait jusqu'à lui, lui parlait doucement ; elle lui disait qu'il était l'heure de se lever, qu'aujourd'hui encore une belle journée ensoleillée se préparait, qu'ils allaient pouvoir en profiter !

Elle l'attirait vers elle en le prenant délicatement par les épaules, lui caressait le visage, passait une main dans ses cheveux, jusqu'à ce qu'il ouvre enfin les yeux, jusqu'à ce qu'il lui sourie, jusqu'à ce qu'il l'embrasse, jusqu'à ce qu'il réponde à son : "Bonjour !" Oui, son café était prêt, il était tout chaud, elle n'attendait plus que lui pour déjeuner. Il lui répondait, tout ensommeillé, qu'il allait se lever, qu'il allait la rejoindre.

Généralement, elle ne l'attendait pas pour commencer son festin ; elle avait bien trop faim, maintenant ! Elle savait qu'il arriverait, de bonne humeur, à un moment ou à un autre ; il lui sourirait, s'assiérait près d'elle et boirait son café sucré, tout en lui parlant, en la questionnant, à son écoute. Il allumerait une cigarette.

Cela faisait plusieurs années déjà qu'elle avait arrêté de fumer ; elle appréciait cette sensation de liberté vis-à-vis du tabac, dont elle avait été extrêmement dépendante. Mais elle ne lui jetait pas la pierre, ne se permettant aucune remarque moralisatrice par rapport à cette "addiction". Personne n'est parfait. Il n'était pas parfait ! Il existait, elle l'avait rencontré, c'était déjà beaucoup.

Assis à l'ombre, sous les arbres, la matinée déjà bien avancée, ils bâtissaient le programme du reste de la journée, émettant tour à tour leurs suggestions, leurs préférences. Balade ? Baignade ? Visite ? Musée ? Resto ? Quoi qu'ils fassent, de toute façon, ce serait bien. Ils pouvaient décider de replier la petite tente qui leur servait de toit, tout ranger dans la voiture, sillonner les routes et investir, plus loin, un nouveau lieu de campement ; ou alors rester un ou deux jours de plus si l'endroit leur plaisait. Ils n'avaient pas de contraintes, ils vivaient au jour le jour.

C'était leur premier été ensemble, leurs premières vacances. Avec elle, il découvrait le camping, la flânerie, la bohème, l'itinérance, et il s'en réjouissait. Elle s'extasiait sur les plaisirs de la vie à deux, qui lui paraissait si agréable et si simple avec lui. Elle constatait avec surprise que cela lui convenait bien, finalement ! Elle s'étonnait de ne pas être déjà lassée… Elle partageait tout son temps avec lui et elle y trouvait plein d'avantages. Ces dernières années, elle était partie seule en vacances. C'était différent, maintenant. Elle n'était pas contre un peu de changement !

Ils étaient amoureux, ils étaient très heureux, tout allait bien. Enfin presque. Tout n'allait pas, en fait. Ce n'était pas toujours si simple. Le même problème revenait régulièrement sur le tapis et ils ne savaient pas comment faire pour le résoudre. Ils trouvaient ça dommage, ils pensaient que c'était injuste, ils ne méritaient pas que ça leur tombe dessus.

C'était là, insidieux : un mauvais coup du sort, sans solution-miracle. Cela venait ternir, jour après jour, les belles idées qu'ils avaient du bonheur. Ça s'insinuait en eux, ça leur sapait le moral, ça leur faisait du mal, parfois. Ça n'allait pas encore jusqu'à les déchirer, jusqu'à les faire pleurer, ni à les détruire. Mais ça viendrait. Plus tard.

Par moments, elle en voulait à la terre entière, puis ça passait, elle oubliait. Tout finirait par s'arranger, elle en était persuadée ! Ils devaient se montrer patients. C'était une question de temps, et de confiance. Ils étaient bien ensemble, ils s'aimaient pour tout ce qui allait bien, et aussi pour le reste. Pour l'instant, ils faisaient avec.

Amours heureuses : Exercice 2
Vous vous couchiez tard, vous vous leviez tard, vous étiez en vacances. Tu t'endormais la première, serrée contre son corps, une main posée sur ta poitrine, aimante, confiante, paisible. Lui, il lisait. Il lisait longtemps, des heures après que tu te fus endormie. La lumière ne te gênait pas. Tu entrais vite dans le sommeil, avec une sensation de bien-être, totalement satisfaite de la journée passée—une de plus—en sa compagnie.

Tu te réveillais la première ; toi, c'était le matin que tu lisais, pendant qu'il dormait profondément. Tu lisais une heure, ou plus, parfois tu te rendormais en le serrant fort dans tes bras. Tu finissais par te lever, tiraillée par la faim, alléchée par la perspective d'un copieux petit-déjeuner.

Tu mettais de l'eau dans une casserole, tu allumais le gaz avec une allumette, tu préparais vos bols : café sucré pour lui, café ou thé au lait pour toi. Tu installais une profusion de victuailles sur la grande nappe : pains au chocolat, madeleines, biscuits, crêpes, confitures, miel… Tu savais qu'il ne mangerait presque pas ; lui, le matin, avec son café, il préférait fumer sa première cigarette. Tu as toujours eu faim, toi, au réveil. Pas question de commencer la journée en restant à jeun !

Tu l'appelais un peu avant que tout soit prêt, pour lui laisser le temps d'émerger du sommeil. S'il ne te répondait pas, tu venais jusqu'à lui, lui parlais doucement ; tu lui disais qu'il était l'heure de se lever, qu'aujourd'hui encore une belle journée ensoleillée se préparait, que vous alliez pouvoir en profiter !

Tu l'attirais vers toi en le prenant délicatement par les épaules, tu lui caressais le visage, passais une main dans ses cheveux, jusqu'à ce qu'il ouvre enfin les yeux, jusqu'à ce qu'il te sourie, jusqu'à ce qu'il t'embrasse, jusqu'à ce qu'il réponde à ton : "Bonjour !" Oui, son café était prêt, il était tout chaud, tu n'attendais plus que lui pour le petit-déjeuner. Il te répondait, tout ensommeillé, qu'il allait se lever, qu'il allait te rejoindre.

Généralement, tu ne l'attendais pas pour commencer ton festin ; tu avais bien trop faim, maintenant ! Tu savais qu'il arriverait, de bonne humeur, à un moment ou à un autre ; il te sourirait, il s'assoirait près de toi et il boirait son café sucré, tout en te parlant, en te questionnant, à ton écoute. Il allumerait une cigarette.

Cela faisait plusieurs années déjà que tu avais arrêté de fumer ; tu appréciais cette sensation de liberté vis-à-vis du tabac, dont tu avais été extrêmement dépendante. Mais tu ne lui jetais pas la pierre, ne te permettant aucune remarque moralisatrice par rapport à cette "addiction". Personne n'est parfait. Il n'était pas parfait ! Il existait, tu l'avais rencontré, c'était déjà beaucoup.

Assis à l'ombre, sous les arbres, la matinée déjà bien avancée, vous bâtissiez le programme du reste de la journée, émettant tour à tour vos suggestions, vos préférences. Balade ? Baignade ? Visite ? Musée ? Resto ? Quoi que vous fassiez, de toute façon, ce serait bien. Vous pouviez décider de replier la petite tente qui vous servait de toit, tout ranger dans la voiture, sillonner les routes et investir, plus loin, un nouveau lieu de campement ; ou alors rester un ou deux jours de plus si l'endroit vous plaisait. Vous n'aviez pas de contraintes, vous viviez au jour le jour.

C'était votre premier été ensemble, vos premières vacances. Avec toi, il découvrait le camping, la flânerie, la bohème, l'itinérance, et il s'en réjouissait. Tu t'extasiais sur les plaisirs de la vie à deux, qui te paraissait si agréable et si simple avec lui. Tu constatais avec surprise qu'elle te convenait bien, finalement ! Tu t'étonnais de ne pas être déjà lassée… Tu partageais tout ton temps avec lui et tu y trouvais plein d'avantages. Ces dernières années, tu étais partie seule en vacances. C'était différent, maintenant. Tu n'étais pas contre un peu de changement !

Vous étiez amoureux, vous étiez très heureux, tout allait bien. Enfin presque. Tout n'allait pas, en fait. Ce n'était pas toujours si simple. Le même problème revenait régulièrement sur le tapis et vous ne saviez pas comment faire pour le résoudre. Vous trouviez ça dommage, vous pensiez que c'était injuste, vous ne méritiez pas que ça vous tombe dessus.

C'était là, insidieux : un mauvais coup du sort, sans solution-miracle. Cela venait ternir, jour après jour, les belles idées que vous aviez du bonheur. Ça s'insinuait en vous, ça vous sapait le moral, ça vous faisait du mal, parfois. Ça n'allait pas encore jusqu'à vous déchirer, jusqu'à vous faire pleurer, ni à vous détruire. Mais ça viendrait. Plus tard.

Par moments, tu en voulais à la terre entière, puis ça passait, tu oubliais. Tout finirait par s'arranger, tu en étais persuadée ! Vous deviez vous montrer patients. C'était une question de temps, et de confiance. Vous étiez bien ensemble, vous vous aimiez pour tout ce qui allait bien, et aussi pour le reste. Pour l'instant, vous faisiez avec.

Amours heureuses : Exercice 3
Nous nous couchions tard, nous nous levions tard, nous étions en vacances. Je m'endormais la première, serrée contre ton corps, une main posée sur ta poitrine, aimante, confiante, paisible. Toi, tu lisais. Tu lisais longtemps, des heures après que je me fus endormie. La lumière ne me gênait pas. J'entrais vite dans le sommeil, avec une sensation de bien-être, totalement satisfaite de la journée passée—une de plus—en ta compagnie.

Je me réveillais la première ; moi, c'était le matin que je lisais, pendant que tu dormais profondément. Je lisais une heure, ou plus, parfois je me rendormais en te serrant fort dans mes bras. Je finissais par me lever, tiraillée par la faim, alléchée par la perspective d'un copieux petit-déjeuner.

Je mettais de l'eau dans une casserole, j'allumais le gaz avec une allumette, je préparais nos bols : café sucré pour toi, café ou thé au lait pour moi. J'installais une profusion de victuailles sur la grande nappe : pains au chocolat, madeleines, biscuits, crêpes, confitures, miel… Je savais que tu ne mangerais presque pas ; toi, le matin, avec ton café, tu préférais fumer ta première cigarette. J'ai toujours eu faim, moi, au réveil. Pas question de commencer la journée en restant à jeun !

Je t'appelais un peu avant que tout soit prêt, pour te laisser le temps d'émerger du sommeil. Si tu ne me répondais pas, je venais jusqu'à toi, te parlais doucement ; je te disais qu'il était l'heure de te lever, qu'aujourd'hui encore une belle journée ensoleillée se préparait, que nous allions pouvoir en profiter !

Je t'attirais vers moi en te prenant délicatement par les épaules, je te caressais le visage, passais une main dans tes cheveux, jusqu'à ce que tu ouvres enfin les yeux, jusqu'à ce que tu me souries, jusqu'à ce que tu m'embrasses, jusqu'à ce que tu répondes à mon : "Bonjour !" Oui, ton café était prêt, il était tout chaud, je n'attendais plus que toi pour le petit-déjeuner. Tu me répondais, tout ensommeillé, que tu allais te lever, que tu allais me rejoindre.

Généralement, je ne t'attendais pas pour commencer mon festin ; j'avais bien trop faim, maintenant ! Je savais que tu arriverais, de bonne humeur, à un moment ou à un autre ; tu me sourirais, tu t'assoirais près de moi et tu boirais ton café sucré, tout en me parlant, en me questionnant, à mon écoute. Tu allumerais une cigarette.

Cela faisait plusieurs années déjà que j'avais arrêté de fumer ; j'appréciais cette sensation de liberté vis-à-vis du tabac, dont j'avais été extrêmement dépendante. Mais je ne te jetais pas la pierre, ne me permettant aucune remarque moralisatrice par rapport à cette "addiction". Personne n'est parfait. Tu n'étais pas parfait ! Tu existais, je t'avais rencontré, c'était déjà beaucoup.

Assis à l'ombre, sous les arbres, la matinée déjà bien avancée, nous bâtissions le programme du reste de la journée, émettant tour à tour nos suggestions, nos préférences. Balade ? Baignade ? Visite ? Musée ? Resto ? Quoi que nous fassions, de toute façon, ce serait bien. Nous pouvions décider de replier la petite tente qui nous servait de toit, tout ranger dans la voiture, sillonner les routes et investir, plus loin, un nouveau lieu de campement ; ou alors rester un ou deux jours de plus si l'endroit nous plaisait. Nous n'avions pas de contraintes, nous vivions au jour le jour.

C'était notre premier été ensemble, nos premières vacances. Avec moi, tu découvrais le camping, la flânerie, la bohème, l'itinérance, et tu t'en réjouissais. Je m'extasiais sur les plaisirs de la vie à deux, qui me paraissait si agréable et si simple avec toi. Je constatais avec surprise qu'elle me convenait bien, finalement ! Je m'étonnais de ne pas être déjà lassée… Je partageais tout mon temps avec toi et j'y trouvais plein d'avantages. Ces dernières années, j'étais partie seule en vacances. C'était différent, maintenant. Je n'étais pas contre un peu de changement !

Nous étions amoureux, nous étions très heureux, tout allait bien. Enfin presque. Tout n'allait pas, en fait. Ce n'était pas toujours si simple. Le même problème revenait régulièrement sur le tapis et nous ne savions pas comment faire pour le résoudre. Nous trouvions ça dommage, nous pensions que c'était injuste, nous ne méritions pas que ça nous tombe dessus.

C'était là, insidieux : un mauvais coup du sort, sans solution-miracle. Cela venait ternir, jour après jour, les belles idées que nous avions du bonheur. Ça s'insinuait en nous, ça nous sapait le moral, ça nous faisait du mal, parfois. Ça n'allait pas encore jusqu'à nous déchirer, jusqu'à nous faire pleurer, ni à nous détruire. Mais ça viendrait. Plus tard.

Par moments, j'en voulais à la terre entière, puis ça passait, j'oubliais. Tout finirait par s'arranger, j'en étais persuadée ! Nous devions nous montrer patients. C'était une question de temps, et de confiance. Nous étions bien ensemble, nous nous aimions pour tout ce qui allait bien, et aussi pour le reste. Pour l'instant, nous faisions avec.

À lire aussi sur ce blog :

(Les grands moyens, Connexions, Ce matin-là, Chanteur de rock, MAX, Le mentir vrai, Sur le parking, En Corrèze, La dernière fête, Copine d’avant...)




À lire aussi sur Hautetfort :

(Le don de vivre, Hommage à Marie, Cher journal, Lettre à Emma, Trois rêves, Écriture et photo, Un pied dans la tombe, Le grand jour, La paire, Une journée de printemps, Trilogie du réveil, Rendez-vous parisien, En attente)




lundi 3 août 2015

Jamais dans le cadre


Jamais dans le cadre, toujours à côté. Évincée, sur la touche. Quoi que je fasse, je suis blousée. Le printemps commençait à peine, je m’étais ouverte, et puis : fleur impatiente, fleur imprudente, j’ai succombé à une méchante gelée. Je collectionne les coups foireux, les mauvais plans, les histoires bancales.

"Je suis tombée de haut et je me suis fait mal" : toujours la même rengaine. N’ai-je donc pas le droit au bonheur ? "Pour être aimée, il faudrait d’abord être aimable", dit-on dans "Les demoiselles de Rochefort", ce film enchanteur, aux couleurs acidulées. Féerique, utopique, d’une naïveté touchante. La vérité n’est pas si loin, pourtant.

Je marche la tête baissée, rentrée dans les épaules. Je regarde le sol, le monde est gris, il pleut. Je m’apitoie, je me sens triste, en fin de course. Aucune envie, pas de désir, l’amour n’est pas pour moi. Cette solitude indécrottable, infréquentable, me colle à la peau depuis tant et tant d’années ! Elle est en moi, elle a toujours été là. Il en est ainsi depuis que je suis née, il me semble.

Du plus loin que je me souvienne, j’étais déjà très solitaire. On me laissait souvent seule. J’ai appris à vivre seule, très tôt. Bien avant que mes parents ne se séparent. Puis je me suis blindée, je me suis arrangée pour que les choses restent vivables. Rester seule, ne rien dire…

J’ai une tête à être quittée, quelque chose en moi les fait fuir, c’est ça ? Ils ne veulent jamais de moi bien longtemps. Avec moi rien n’est possible, pas d’engagement, ce n’est pas le moment. N’y mets-je pas assez de conviction ?

Jamais dans le cadre, toujours à côté. Les normes dépassées, aux frontières de la marginalité. Ma vie est d’une banalité affligeante, pourtant je me sens si différente, si loin des conventions… Anomalie, presque anormale, j’ai du mal à communiquer. Jamais à l’aise, en société.

Toujours entre deux chaises, entre deux eaux, entre deux vins, mauvais. Insoumise, incomprise, je conteste, je dénigre, je déteste. Difficultés à m’exprimer, à me faire entendre autrement que par la violence.

Méfiez-vous de l’eau qui dort, du volcan qui paraît éteint. Je suis une petite bombe à retardement, un missile qui dégomme au hasard, quand la pression devient trop forte. Je peux être cassante, méchante, cruelle, ordurière, destructrice.

Je suis inapte, inadaptée. Pas d’idéal, pas de projets. Pas de mari, pas d’enfants, pas de repas en famille. Mon travail, mon studio, mon jardin, mes chats, du temps pour moi, pour la musique. Ah ! La musique ! J’en écoute immodérément. Ça m’appartient, j’ai ça en moi. C’est la seule chose qui compte vraiment.

J’ai toujours aimé la musique.

Enfant, elle provoquait chez moi des émotions intenses. J’avais plaisir à écouter ce qui me parvenait de la radio, de la télévision. Sensible aux sons, aux instruments, aux voix, aux textes, j’avais toujours les oreilles en alerte. J’ai écouté tous les disques de mes parents, avant de m’acheter les miens, ou de me les faire offrir.

Je suis restée longtemps dans le registre de la musique populaire, de la chanson à textes. J’aimais aussi beaucoup la musique classique. Je me suis intéressée à la variété, aux vedettes de l’époque, tout un programme ! J’aimais regarder les émissions musicales télévisées, elles me faisaient rêver. Tous ces costumes, ces décors somptueux, ces mises en scène, ces chorégraphies, ces artistes qui avaient l’air si contents de jouer la comédie, de chanter, de danser ensemble !

Je suis entrée par la grande porte du rock avec les Beatles, ma grande passion adolescente. J’ai voulu tout savoir sur eux, sur leur parcours, sur leur musique, album après album. C’était d’une telle richesse !

Éveil, révélation, ouverture sur un autre monde, plus marginal et plus rebelle. Toute une culture, avec ses codes, ses modes, son langage, son engagement, ses attitudes, son art de vivre.

J’ai quitté les sentiers balisés des émissions de variété pour plonger dans des courants plus radicaux, moins consensuels. J’ai écouté des centaines et des centaines de groupes, des milliers, aujourd’hui. La liste serait longue, la source est loin d’être tarie !

Jamais dans le cadre, toujours à côté. À côté de la plaque, décalquée, déphasée. Recherchant le vertige, les états, les effets. Mon premier contact avec l’alcool s’est fait au cours d’une noce de mariage, j’avais treize ans. J’ai voulu conserver cet état de joie soudaine provoquée par ma première coupe de champagne, alors j’en ai bu six ou sept, avant d’être atrocement malade.

J’avais découvert l’ivresse, l’euphorie, le transport, l’état second. J’ai recommencé dans les boums, dans les fêtes, dans les bals, plus tard dans les bars, les soirées entre amis, les boîtes de nuit, les concerts de rock… Je ne cherchais pas à me détruire, non, mais j’aimais me sentir partir, perdre pied, décoller ! J'accédais à un autre monde, plus rassurant, moins hostile.

Il y avait toujours ce moment où, soulevée, délivrée, je quittais la réalité. L’alcool était un excellent moyen pour endormir mes inhibitions, me faire rire aux éclats. Tourner, virer, virevolter ! L’alcool, et d'autres substances auxquelles je me suis essayée, au gré des rencontres, des propositions malhonnêtes. J’ai bien failli m’y perdre. Finalement revenue de toutes ces expériences, je n’ai gardé que la fumette : en société pour délirer, en solitaire pour méditer. La musique y est intimement liée.

Le temps est loin, maintenant, où je fréquentais tous ces gens baignant dans la musique : des mélomanes, des musiciens, des organisateurs de concerts, de tournées, des responsables de salles… Mon cercle s’est restreint, déstructuré.

J’aime parler musique avec mes amis ou des gens de passage : nouveautés, trouvailles, coups de cœur, valeurs sûres… J'écume concerts et festivals, été comme hiver. J’aime me sentir à l’intérieur de la musique, avec les musiciens, balancer la tête, danser en rythme…

Le public rock a rajeuni, moi j’ai vieilli. Le rock est-il juste une affaire de jeunesse ? Quand on s’installe avec quelqu’un, qu’on a des enfants, des crédits sur le dos, la pression de la famille, on n’a plus les mêmes priorités.

On continue à écouter de la musique à la maison, mais on va moins souvent dans les concerts, c'est sûr. Les gens de mon âge s’y font plus rares, désormais. Mais j’y croise leurs enfants. Le juste retour des choses, la roue qui tourne, le sable qui s’écoule.

Jamais dans le cadre, toujours à côté. Fuyante, déconcertante, insaisissable. Biche aux abois feignant l’indifférence, l’insensibilité. En dehors de ces coups de sang redoutables qui me prennent parfois et me font dire n’importe quoi. Susceptibilité, humeur exacerbée, tendances paranoïaques… Quand je sens mon intégrité en danger, je n’ai pas d’autre réponse que l’agressivité. C’est souvent disproportionné.

Ma vie en solitaire n’arrange rien ! Personne pour m’épauler, me rassurer, m’encourager. Personne pour relativiser, me consoler, m’embrasser, m’enlacer, me faire l’amour, me donner de l’amour. Je suis sèche, asséchée.

À chacun son enfer. Vivre à deux, ce n’est pas forcément une partie de plaisir, à ce que j’en entends. Au moins moi, je consacre du temps à ma culture. La lecture et l’écriture prennent une grande place dans ma vie, juste derrière la musique. La lecture un peu moins en ce moment, parce que j’écris.

Après tous ces poèmes, toutes ces chansons, toutes ces pages noircies dans des journaux intimes (litanies laconiques, soliloques inutiles), voilà que je me mets à écrire autre chose. Des textes courts, des récits, des nouvelles.

J’intègre mes émotions liées à la musique, à mes quarante années de vie. J’invente des histoires d’amour, des destinées cruelles aux contextes obscurs, des situations tordues… Je raconte des souvenirs d’enfance, d’adolescence, de ma vie étudiante.

Des heures vissée à ma chaise de bureau, devant l’écran d’ordinateur, à taper sur le clavier avec deux doigts. À avancer un peu, à revenir en arrière, à effacer un mot, à en ajouter un autre…

J’ai du plaisir à écrire. Je dois beaucoup travailler, chercher à m’améliorer, sans cesse. Il me faut puiser en moi, les efforts sont immenses, pas forcément récompensés. Mais l’énergie me pousse, m’engage, m’entraîne chaque jour un peu plus loin. Je maîtrise le sujet. Je suis sur le bon chemin.

Jamais dans le cadre, toujours à côté. Pas là où l’on m’attend. Je relève la tête, je passe une main sur mon visage, j’enlève mon chapeau. J’ai chaud, soudain. Il ne fait plus si gris, la pluie s’est arrêtée. Le soleil, encore timide, fait son apparition dans le ciel pâle ; les nuages se dissipent au profit des tons bleus, la journée prend une nouvelle tournure.

Je respire profondément, plusieurs fois de suite, je remue les bras de bas en haut, de gauche à droite, je m’étire, je me détends. Je suis vivante, en bonne santé ! Je me remplis d’odeurs puissantes, entêtantes, capiteuses.

J’esquisse un léger sourire à la nature en pleine activité, à tous ces chants d‘oiseaux qui bourdonnent joyeusement à mes oreilles. Le printemps est d’attaque. Dans la forêt, les arbres bourgeonnent, les jonquilles se dressent, ça sent si bon la terre !

Combien de temps ai-je marché ainsi, à l’écart du groupe ? Je n’étais pas d’humeur à parler, ce matin, en arrivant pour la randonnée. Pas envie d’écouter, non plus. Ni d’être contrariée. Juste envie de marcher, sachant que ça me ferait du bien, après ce qui venait de m’arriver. Ne pas me laisser aller, me relever tout de suite après la chute.


Je marche d’un pas plus appuyé, décidée à rejoindre les autres. J’ai faim, j’ai soif de vivre, mon appétit est grand. Il sera bientôt l’heure de s’arrêter pour déjeuner. J’essaierai d’être aimable, à défaut d’être aimée.

samedi 1 août 2015

Mes écritures


Petite fille, déjà, j'écrivais. Comptines, berceuses, poèmes… Mes deux premières années d'école primaire furent familiales. Au CP avec ma mère, en CE1 avec mon père, j'ai été une élève motivée, enthousiaste, adhérant totalement aux méthodes Freinet pratiquées dans leur classe.

Nous écrivions des textes libres. Rendez-vous compte, des textes libres ! Chaque lundi, les volontaires lisaient leurs écrits devant un auditoire attentif et silencieux. Ensuite, nous devions voter. Le texte remportant les meilleurs suffrages était écrit, tel quel, au tableau, puis relu, expliqué, analysé, corrigé. Nous faisions de l'orthographe, de la conjugaison, de la grammaire… presque sans en avoir l'air.

Le texte, réécrit par la classe, passait ensuite à l'imprimerie. À cette époque, au tout début des années soixante-dix, "traitement de textes" et "imprimante" n'existaient pas dans le vocabulaire. Il fallait composer les lignes, caractère par caractère, en usant de patience et de minutie. Tout un art, que d'écrire à l'envers ! Le procédé était artisanal, mais formateur. Chaque trimestre, les textes étaient réunis dans un recueil vendu aux parents, pour la coopérative de la classe.

L'écriture épistolaire était aussi au programme. Nous écrivions et recevions des lettres : des lettres collectives, écrites avec des feutres de toutes les couleurs, dans un format suffisamment grand pour qu'elles soient affichées et lues en classe. Nous échangions des lettres, des petits cadeaux avec notre correspondant(e)… Nous attendions, avec impatience, l'arrivée d'une grosse enveloppe ou d'un colis, riche en surprises, en nouvelles fraîches… Il nous faudrait répondre !

Mon plaisir d'écrire vient de là, je crois : de ces deux années d'école primaire où vie scolaire et vie familiale ont été intimement liées. Notre appartement se trouvait au premier étage, juste au-dessus des salles de classe. L'école était mon quotidien.

Changement de ville, changement de rythme, changement de vie. CE2, puis CM1, puis CM2. L'enseignement fut plus traditionnel, plus "sérieux", moins ouvert sur le monde et sur les autres. L'écriture était davantage un outil scolaire qu'un moyen d'expression. J'écrivais hors de la classe : lettres, poésies, chansons, pièces de théâtre…

Au collège, la rupture. Je quitte le monde cotonneux de l'enfance, mes parents se séparent. Je commence un journal intime, sur de petits carnets, puis sur des blocs sténo. J'écris mes impressions, mes colères, mes angoisses, face à des situations pénibles, des problèmes d'adultes dont je suis témoin malgré moi, qui me dépassent. À qui donc aurais-je pu raconter tout ça ? L'écriture me libère, c'est une échappatoire. L'écriture m'emprisonne, m'enferme dans la solitude.

Au lycée, les contraintes se font de plus en plus pressantes, oppressantes, laissant bien peu de place à la fantaisie, à la franchise, à l'originalité ! On me juge, on m'évalue, on me note, on me sanctionne, on me démonte, on me bâillonne. Je m'y plie, tant bien que mal. J'accepte les règles du jeu pour être aux normes, rester conforme, réussir au bac…

La fac : prise de notes, dossiers, rapports, comptes-rendus, mémoires… Nouvelles formes d'écrits.

Premier poste en entreprise : l'écriture comme outil de travail. L'usage de l'ordinateur pour des textes imprimables, corrigeables, impeccables. J'adhère immédiatement !

Le temps passe, sans qu'il ne se passe grand chose, finalement. Ma vie change sans vraiment changer. Je deviens enseignante, dans le primaire, comme mes parents. Débutante, je m'investis beaucoup dans les préparations de classe. Je consacre du temps à mon métier, mais jamais autant qu'eux, à une lointaine époque…

Dans mes loisirs, il y a toujours une grande place pour l'écriture. Je corresponds avec des amies d'enfance, j’écris toujours des poèmes, un peu moins de chansons. Je continue à tenir un journal intime, sur des feuilles volantes ou de grands cahiers d'écolier mais l’introspection m'enlise, à la longue. Je me protège sans cesse, je me refuse à vivre vraiment, alors j'écris sur ma vie, plus que je ne la vis.

Quand l'informatique investit mon quotidien, les lettres se font mails, les textes deviennent des documents qui s'ouvrent et qui se ferment, que je peux nommer, enregistrer, copier, archiver. J'aime l'écran et le clavier autant que le stylo et le papier.

Allez savoir pourquoi, à l'approche de la quarantaine, j'ai enfin délaissé le journal intime pour écrire de la prose sous d'autres formes : courts récits (certes autobiographiques la plupart du temps), nouvelles, reportages de concerts, chroniques musicales…

Mon inscription à un atelier d'écriture a été l'élément déclencheur de toute une dynamique qui perdure aujourd'hui. Je me suis rouverte au monde, aux autres. Je communique, je transmets, je laisse une trace. Le réseau internet offre d'immenses possibilités, dont je suis loin d'avoir fait le tour.

Mon projet ?

Créer un blog, y publier mes textes et mes photos de concerts, au jour le jour. L'égocentrisme est toujours là, mais il y a du progrès. Nous sommes en janvier 2006. Je suis encore en devenir.

jeudi 30 juillet 2015

Les principes de Bertrand


Tu t'en souviens comme moi, mon cher Nestor, ce dimanche-là, le réveil a sonné à six heures trente minutes exactement.

D'habitude, le dimanche matin, tu en es témoin, je m'octroie deux heures de sommeil supplémentaires. Mais attention : pas une minute de plus, pas une minute de moins. Juste ce qu'il faut pour remettre les compteurs à zéro, et repartir bon pied bon œil, dès le lundi matin.

C'est que j'ai des principes, moi, Bertrand, cinquante et un ans ! Il ne faut pas dormir plus que nécessaire ! Trop de sommeil, c'est perdre son temps. La vie est bien trop courte pour la passer à dormir !

Ce samedi soir-là, précisément, je me suis couché un peu plus tôt qu'à l'accoutumée. J'avais déjà tout préparé pour le lendemain, alors plutôt que de tourner en rond comme un lion en cage, je suis allé au lit.

Je me suis bien gardé d'avancer de deux heures les aiguilles de mon réveil, comme je le fais tous les samedis !

J'étais excité comme une puce, essayant de lire sans y parvenir, me tournant et me retournant mille fois dans les draps, sans trouver le sommeil. J'étais si impatient ! J'ai mal dormi. J'ai peu dormi.

Toi, mon fidèle animal de compagnie, tu me surveillais du coin de l'œil, très étonné de me voir dans cet état ! Moi qui ai un sommeil de plomb, en temps normal… Tu n'as pas bien dormi non plus, n'est-ce pas ?

Et quand le réveil a sonné, à six heures trente précises, je l'ai maudit ! Je lui ai lancé à la tête de ces insanités ! Ensuite, la raison pour laquelle j'avais supprimé ma petite "grasse" dominicale m'est vite revenue à l'esprit !

C'est que, Nestor, j'avais un rendez-vous de la plus haute importance ! Un rendez-vous avec une dame ! Sais-tu au moins ce qu'est une dame ? Il est vrai que tu n'as pas vraiment eu l'occasion d'en voir beaucoup ici !

La factrice, de temps en temps, pour un colis… La boulangère en tournée, dans son estafette… Quelle commère, celle-là ! En ce qui concerne ces personnes de sexe féminin, peut-on vraiment parler de "dames" ?

Celle avec laquelle j'avais rendez-vous en était une, j’en étais sûr ! Je ne me trompe que rarement sur mes congénères. Cette personne-là, j'avais eu le temps de la connaître, grâce aux nombreux courriers que nous avions échangés.

J'avais aussi reçu sa photographie, un portrait magnifique, plein de grâce et de distinction ! Elle avait beaucoup apprécié le mien, tu sais, celui où tu poses avec moi, sur ton joli coussin…

Il semblait évident que nous devions nous voir !  Mon train n'était qu'à neuf heures et quart, ce matin-là, mais je ne voulais surtout pas être pris au dépourvu par un événement de dernière minute ! J'ai en horreur les imprévus, Nestor ; ça me contrarie terriblement, tu l'as bien vu !

Je voulais être certain que tout se passerait bien : me lever tranquillement, te nourrir et m'occuper de toi mon Nestor, prendre le temps pour mon petit-déjeuner, ma toilette, ma tenue…

Je n'aurais plus qu'à remplir mon panier d'osier de toutes ces bonnes victuailles préparées la veille, emballées avec soin, puis partir à pied, sans affolement, vers la petite gare du village…

Je monterais dans le train pour une heure et quarante-deux minutes de voyage, j'en profiterais pour finir la lecture de ce vieux roman de Marcel Aymé qui me rappelle tant ma jeunesse, j'arriverais en gare de l'Est à dix heures et cinquante-sept minutes…

Elle m'attendrait, au bout du quai, une ombrelle à la main : c'était le signe de reconnaissance dont nous avions convenu… Moi, je ne devrais pas passer inaperçu avec mon grand panier en osier !

Dimanche matin, six heures trente minutes : la sonnerie du réveil me fait sursauter, j'ai la sensation de m'être endormi il y a cinq minutes à peine. Je peste, j'injurie, je fulmine, puis je me souviens de mon rendez-vous, tant espéré, tant attendu !

J'allume la petite lampe de ma table de nuit et je reprends conscience du monde qui m'environne. Tu es là, à mes côtés, comme toujours, mon brave Nestor !

Pourtant, il me semble bien que quelque chose cloche, un je-ne-sais-quoi me dérange. Je hume l'air : des effluves de terre mouillée parviennent à mes narines. Je dresse l'oreille : gargouillis, écoulements.

D'un bond je sors du lit, je vais à la fenêtre, j'ouvre mes volets… Oh non ! Il pleut à verse ! Des trombes d'eau, le déluge, mille cascades ! Déconfiture, triste figure, mine défaite…

La dame va avoir bien piètre allure, avec sa robe à fleurs et son ombrelle en dentelles ! Et moi, j'aurai l'air dépité dans mon petit costume printanier, chaussé de sandalettes, coiffé d'un canotier ! Quelle rigolade, quelle mascarade !

Un pique-nique sur les bords de Seine ? C'est à se tordre ! Tout est fichu, tout est gâché ! Je te prends à témoin, mon fidèle Nestor : qu'avais-je de mieux à faire, au vu de ces conditions météorologiques extrêmes ?

Ce dimanche matin-là, j'ai refermé les volets et je me suis recouché.

Je me souviens m'être endormi comme une masse, emporté vers un sommeil profond, sans rêves, sans espoirs, sans chimères… Quand je me suis de nouveau réveillé, les aiguilles du réveil affichaient pile huit heures trente.

Je n'avais pas failli à mon rituel du dimanche ! Huit heures trente et une minutes : derrière les volets, une surprise m'attendait. Le ciel était d'un bleu limpide et les oiseaux chantaient.

J'ai fait alors quelque chose d'insensé, d'incroyable, d'impensable ! Habillé de pied en cap en un quart d'heure, prenant à peine le temps de te donner ton repas, je me suis précipité en courant jusqu'à la gare, sans panier en osier ni bonnes victuailles…

J'ai eu mon train in extremis ! Et arrivé à Paris… Quelle belle journée nous avons passé ! Mon Nestor, je t'adore !

Oh ! Mais on frappe à la porte ! Ce doit être Clémence ! Ce ne peut être qu'elle ! Ma douce, ma tendre, ma chère Clémence ! Je te parlais, je n'ai pas entendu arriver sa voiture…

Rappelle-toi, Nestor ! Tu te dois de lui faire le meilleur accueil ! Sois aimable, mais pas trop familier… Vous devez faire connaissance, vous apprivoiser !

Je vais lui ouvrir…

Un p'tit coin d'parapluie, contre un coin d'paradis… 

mardi 28 juillet 2015

Clara


Ce matin-là, Clara m'a dit qu'on partait en promenade.

J'étais aux anges !

Elle s'était habillée chaudement, s'enveloppant de laine et de tissu : un pull à col roulé en cachemire bleu électrique, une jupe grise, ample et épaisse qui lui arrivait aux genoux, de gros collants et des chaussettes rayées orange et jaune, son manteau noir, son bonnet péruvien multicolore, ses gants assortis à sa longue écharpe, d'un rouge éclatant.

Elle avait mis aux pieds ses grosses chaussures de marche couvertes de terre séchée. L'ensemble de sa tenue lui donnait une allure peu banale. Clara était quelqu'un de peu banal.

Nous allions nous en donner à cœur joie, je trépignais déjà ! Clara chantonnait tout en se regardant dans le miroir de l'entrée, elle coiffait délicatement avec les doigts sa chevelure rousse et frisée, tout emmêlée.

Elle me prenait à témoin sur des vers d'Aragon, affirmant qu'ils étaient magnifiés par Ferrat :

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée au cadran de la montre, que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Clara me souriait, elle était de bonne humeur, comme toujours.

Nous sommes sortis de la maison, il faisait froid et brumeux, le jour se levait à peine. Nous avons suivi le chemin habituel dans les rues de la ville puis le long de la rivière, en direction du parc.

Tout avait gelé !

Les flaques s'étaient transformées en miroir, une fine couche de givre recouvrait les trottoirs, peut-être même avait-il un peu neigé…

Attention aux glissades !

Les gens nous regardaient, se retournaient sur notre passage, ce n'était pas méchant, non ! Plutôt de l'étonnement, de la curiosité, des sourires amusés. Il faut dire que nous formions, tous les deux, un bien bel équipage !

Je reniflais ici des odeurs connues, là des odeurs nouvelles, ça me faisait du bien un peu d'exercice, j'avais tendance à m'empâter, ces derniers temps. J'attendais avec impatience le moment où Clara me laisserait toute liberté de mouvement, où je pourrais aller et venir à ma guise.

Je partirais en courant, le nez au vent, et j'irais loin, très loin, jusqu'à ce qu'elle ne me voie plus. Puis je reviendrais vers elle à petits pas hautains, l'air de rien, comme si je ne la connaissais pas. Aurait-elle envie de jouer avec moi ?

J'aime tant jouer avec Clara !

Nous étions à l'entrée du parc, oui c'était bien l'endroit, blanc, gelé, désert : là-bas la rivière et sa plage de sable, la grande pelouse, les jeux pour les enfants, la forêt, les étangs, tous ces chemins s'offrant à nous… Lequel Clara allait-elle prendre aujourd'hui ? Était-elle suffisamment en forme pour le grand circuit ?

Moi, j'étais d'accord pour tout !

Elle prit à droite, vers les bois et les marécages, par les sentiers sinueux, les petits ponts à traverser. La nature était silencieuse, tout endormie, figée dans l'air glacial. En dehors de la ville, le froid se faisait encore plus ressentir. Un léger nuage se formait autour de nos têtes, tandis que nous respirions. 

Comme c'était drôle !

Le brouillard planait par ici, très dense. Il faisait sombre, les ramures noires et dénudées avaient perdu leurs contours. C'était flou, peuplé de créatures fantastiques, de monstres aux doigts crochus, enfin c'est ce que Clara me racontait, moi je ne voyais rien de tel.

Un oiseau voletait, de temps en temps. On entendait des craquements, venant du sol. Quelque animal foulant le tapis de feuilles glacées ? Des promeneurs matinaux, comme nous ?

Il était temps que Clara me lâche, enfin !

Quelle joie de vagabonder, vaquer à mes occupations, nourrir mes petits secrets… Elle pouvait me faire confiance ! Car il lui suffirait de m'appeler doucement par mon nom et je réapparaîtrais, l'allure joyeuse et frétillante.

Elle pourrait même m'envoyer un bâton, ou alors la balle qu'elle gardait dans sa poche : je me ferais un plaisir de courir après, de lui rapporter, de lui déposer dans sa main. C'était toujours si gentiment demandé ! Elle m'encouragerait, me complimenterait, me flatterait, en bonne pâte que j'étais.

Ce matin-là avec Clara, nous faisions une promenade.

Je m'en souviens, c'était l'hiver, nous sommes allés au parc. Sur le chemin dans les sous-bois, elle a croisé un ancien camarade de classe. Ils se sont arrêtés pour discuter, très surpris de se rencontrer là, puis ils ont fini par s'asseoir sur un banc, malgré la température polaire qui régnait…

Ils en avaient, des choses à se dire ! J'aurais voulu m'amuser, moi ! Non, il a fallu que je reste tranquille pendant des heures, à me geler les pattes… Je manifestais de temps en temps des signes d'énervement, je m'agitais en couinant, mais Clara ne m'écoutait pas, absorbée par sa conversation.

Elle n'était déjà plus la même.

Maintenant nous sommes trois pour aller au parc. Clara l'aime lui, mais Clara m'aime toujours, elle m'aimera toute la vie. Elle me l'a dit, je la crois, oui, elle me l'a promis.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu'un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée au cadran de la montre, que serais-je sans toi que ce balbutiement.