Ce matin-là, Clara m'a dit qu'on
partait en promenade.
J'étais aux anges !
Elle s'était habillée chaudement,
s'enveloppant de laine et de tissu : un pull à col roulé en cachemire bleu
électrique, une jupe grise, ample et épaisse qui lui arrivait aux genoux, de
gros collants et des chaussettes rayées orange et jaune, son manteau noir, son
bonnet péruvien multicolore, ses gants assortis à sa longue écharpe, d'un rouge
éclatant.
Elle avait mis aux pieds ses
grosses chaussures de marche couvertes de terre séchée. L'ensemble de sa tenue
lui donnait une allure peu banale. Clara était quelqu'un de peu banal.
Nous allions nous en donner à
cœur joie, je trépignais déjà ! Clara chantonnait tout en se regardant
dans le miroir de l'entrée, elle coiffait délicatement avec les doigts sa
chevelure rousse et frisée, tout emmêlée.
Elle me prenait à témoin sur des
vers d'Aragon, affirmant qu'ils étaient magnifiés par Ferrat :
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi
qu'un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée au cadran de la montre, que
serais-je sans toi que ce balbutiement.
Clara me souriait, elle était de
bonne humeur, comme toujours.
Nous sommes sortis de la maison,
il faisait froid et brumeux, le jour se levait à peine. Nous avons suivi le
chemin habituel dans les rues de la ville puis le long de la rivière, en
direction du parc.
Tout avait gelé !
Les flaques s'étaient
transformées en miroir, une fine couche de givre recouvrait les trottoirs,
peut-être même avait-il un peu neigé…
Attention aux glissades !
Les gens nous regardaient, se
retournaient sur notre passage, ce n'était pas méchant, non ! Plutôt de
l'étonnement, de la curiosité, des sourires amusés. Il faut dire que nous
formions, tous les deux, un bien bel équipage !
Je reniflais ici des odeurs
connues, là des odeurs nouvelles, ça me faisait du bien un peu d'exercice,
j'avais tendance à m'empâter, ces derniers temps. J'attendais avec impatience
le moment où Clara me laisserait toute liberté de mouvement, où je pourrais
aller et venir à ma guise.
Je partirais en courant, le nez
au vent, et j'irais loin, très loin, jusqu'à ce qu'elle ne me voie plus. Puis
je reviendrais vers elle à petits pas hautains, l'air de rien, comme si je ne
la connaissais pas. Aurait-elle envie de jouer avec moi ?
J'aime tant jouer avec
Clara !
Nous étions à l'entrée du parc,
oui c'était bien l'endroit, blanc, gelé, désert : là-bas la rivière et sa
plage de sable, la grande pelouse, les jeux pour les enfants, la forêt, les
étangs, tous ces chemins s'offrant à nous… Lequel Clara allait-elle
prendre aujourd'hui ? Était-elle suffisamment en forme pour le grand
circuit ?
Moi, j'étais d'accord pour
tout !
Elle prit à droite, vers les bois
et les marécages, par les sentiers sinueux, les petits ponts à traverser. La
nature était silencieuse, tout endormie, figée dans l'air glacial. En dehors de
la ville, le froid se faisait encore plus ressentir. Un léger nuage se formait
autour de nos têtes, tandis que nous respirions.
Comme c'était drôle !
Le brouillard planait par ici,
très dense. Il faisait sombre, les ramures noires et dénudées avaient perdu
leurs contours. C'était flou, peuplé de créatures fantastiques, de monstres aux
doigts crochus, enfin c'est ce que Clara me racontait, moi je ne voyais rien de
tel.
Un oiseau voletait, de temps en
temps. On entendait des craquements, venant du sol. Quelque animal foulant le
tapis de feuilles glacées ? Des promeneurs matinaux, comme nous ?
Il était temps que Clara me
lâche, enfin !
Quelle joie de vagabonder, vaquer
à mes occupations, nourrir mes petits secrets… Elle pouvait me faire
confiance ! Car il lui suffirait de m'appeler doucement par mon nom et je
réapparaîtrais, l'allure joyeuse et frétillante.
Elle pourrait même m'envoyer un
bâton, ou alors la balle qu'elle gardait dans sa poche : je me ferais un
plaisir de courir après, de lui rapporter, de lui déposer dans sa main. C'était
toujours si gentiment demandé ! Elle m'encouragerait, me complimenterait,
me flatterait, en bonne pâte que j'étais.
Ce matin-là avec Clara, nous
faisions une promenade.
Je m'en souviens, c'était
l'hiver, nous sommes allés au parc. Sur le chemin dans les sous-bois, elle a
croisé un ancien camarade de classe. Ils se sont arrêtés pour discuter, très
surpris de se rencontrer là, puis ils ont fini par s'asseoir sur un banc,
malgré la température polaire qui régnait…
Ils en avaient, des choses à se
dire ! J'aurais voulu m'amuser, moi ! Non, il a fallu que je reste
tranquille pendant des heures, à me geler les pattes… Je manifestais de temps
en temps des signes d'énervement, je m'agitais en couinant, mais Clara ne
m'écoutait pas, absorbée par sa conversation.
Elle n'était déjà plus la même.
Maintenant nous sommes trois pour
aller au parc. Clara l'aime lui, mais Clara m'aime toujours, elle m'aimera
toute la vie. Elle me l'a dit, je la crois, oui, elle me l'a promis.
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi
qu'un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée au cadran de la montre, que
serais-je sans toi que ce balbutiement.
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