dimanche 19 juillet 2015

En vacances

Trilogie de juillet 1 sur 3
11 juillet 2015

Sous les pavés la plage, sous le sable, le goudron ! Le vent facétieux a fait s’envoler les dunes jusqu’à la route, la recouvrant totalement. La progression en voiture est laborieuse, périlleuse, de surcroît on n’y voit pratiquement rien. Les essuie-glaces ne parviennent pas à chasser tout ce sable qui arrive en rafales sur le pare-brise et se dépose insidieusement dans le moindre interstice. Les yeux piquent, la gorge s’enflamme, le nez se bouche, l’on tousse, l’on met les mains sur le visage pour tenter de se protéger…

C’était la première fois qu’ils partaient à la montagne, bien décidés à apprendre à skier. En vue des sommets, ils furent bien désappointés en découvrant le paysage : il ne restait plus que quelques plaques de neige par ci par là, la pelure jaune sale des pâturages, les routes inondées, ruisselantes. Pourtant, il avait bien neigé la semaine passée, avec presque deux mètres en haut des pistes ! Même si, dans un premier temps, ils n’auraient eu droit qu’aux petites vertes, en bas et à proximité des remonte-pentes, ils se faisaient à l’avance une joie de fouler le manteau blanc immaculé.

À l’arrière du véhicule, les enfants s’agitent, les enfants pleurnichent, les enfants se plaignent d’avoir soif, d’avoir faim, d’avoir envie de faire pipi. Ils posent, en chœur et pour la cinquantième fois au moins la sempiternelle question : « C’est quand qu’on arrive ? » Ce à quoi les parents sont incapables de répondre, ils ne savent pas vraiment où ils se trouvent, à vrai dire, mais ils répondent tout de même : « Bientôt, bientôt, bientôt, encore un peu de patience, et de courage ! » Les triplés grognent, les triplés râlent, les triplés en ont marre et ne se gênent pas pour leur faire savoir.

Le père manifestait sa colère, la mère gardait le sourire malgré sa déception et essayait de le calmer, sans grand résultat. Troublés par la dispute, les enfants demandèrent, avec inquiétude, l’un après l’autre : «  On est bientôt arrivé ? » « C’est encore loin, la neige ? » «  Quand est-ce qu’on skie ? » Le père, grand roux hirsute, se tourna vers eux en vociférant : « La neige, la neige, la neige, mes pauvres enfants, si vous en voulez, il va falloir la faire tomber ! » La mère, au volant, une gracieuse petite brune, leur dit d’une voix qui se voulait apaisante : « Rien n’est perdu, enfin, vous le savez bien, il peut se mettre à neiger d’un instant à l’autre ! »

Concentrée sur la route, ou plutôt sur ce qui semble être la route, la mère se demande si c’était vraiment une bonne idée de louer cette maison en bordure de l’océan. On aurait pu résider un peu plus loin de la côte, profiter de la campagne et venir à la plage en vélo ? Il faisait si beau et si chaud, la semaine dernière, juste avant qu’ils ne se décident à partir ; rien ne laissait présager une tempête ! Enfin… La météo ne l’avait pas annoncée ! Le père est plus nerveux, surtout avec les enfants qui hurlent derrière : « On veut voir la mer ! » Le voilà qui se met à pester : « La mer, la mer, la mer, mes pauvres enfants, si vous voulez la voir, il va falloir la faire venir ! »

La mère insistait : « Demain matin, si ça se trouve, nous pourrons louer des skis et nous inscrire aux cours ! Ne soyez pas si pessimistes ! On a toute la semaine pour en profiter ! Dans vingt minutes, à tout casser, nous serons au chalet ! » Au mot « chalet », le père retrouva sa gaieté, s’imaginant déjà dans le décor rustique d’un salon savoyard, au fond d’un canapé, un verre de bière fraîche à la main (il en avait toute une glacière, logée dans le coffre). Il se tourna pour parler aux enfants, cette fois-ci plus doucement : « On va être bien, dans ce chalet, vous aurez chacun votre chambre, papa et maman la leur ; il y a un grand salon où on pourra manger des crêpes, des croque-monsieur, de la fondue, de la raclette, tout ce qui vous fera plaisir ! »

« Ne leur dis pas ça, voyons, aide-moi plutôt à suivre la route ! On est où, là ? Tu peux brancher le GPS ? » Le père crie aux enfants qui geignent comme des veaux : « Vos gueules, les mouettes ! Maman conduit ! Et papa a besoin de réfléchir pour savoir où est planqué ce foutu GPS ! Plus un bruit ou je vous en colle une, à chacun, un bel aller-retour ! » À l’extérieur, le vent redouble de force, de petites tornades de sable se forment, ici et là, tout autour d’eux. La mère continue de conduire, à vitesse réduite, de façon souple et régulière, comme sur une route enneigée. Elle l’a souvent fait, elle garde le moral.

Les enfants s’étaient correctement rassis sur la banquette et commençaient à somnoler. Le père avait branché le GPS et suivait, mètre par mètre, la progression vers le chalet. Il avait coupé le sifflet à la voix injonctive, synthétique, froidement féminine ; celle de sa compagne, tranquille et chaleureuse, lui suffisait. Elle était en train d’énumérer toutes les activités qu’ils pourraient faire quand même à la montagne, en absence de neige. Randonnées à pied, elle adorait ça ; vélo tout terrain pour lui et les triplés, avec les casques de protection bien sûr, elle s’abstiendrait ; piscine pour tout le monde, descente en luge sur la piste en plastique aménagée, visite du musée du bois, des caves à fromage, de la ferme typique transformée en écomusée, de la réserve d’animaux polaires… Elle s’était bien renseignée avant leur départ !

« Le GPS indique que nous sommes dans la bonne direction ! Encore quelques kilomètres et nous serons à la villa ! Hip hip hip, hourra ! » lance le père d’une voix forte et enjouée. Les enfants ouvrent un œil, puis le referment, ouvrent l’autre, puis les deux. « Alors ça y est papa ? » « On y est, à la mer ? » « On peut se mettre en maillot de bain ? » La mère réplique fermement à ses enfants : « Eh, la marmaille ! Un ton au-dessous, s’il vous plaît ! » Puis à son compagnon de route : « Guide-moi, toi, plutôt. On dirait qu’il y a un croisement, là. Je prends à droite, ou à gauche ? » « Alors attends voir… P. de sable ! Il y en a partout ! À gauche, oui, c’est par là l’océan, prends à gauche, à gauche toute ! » Les enfants manifestent leur joie, sautent dans la voiture, lèvent leurs bras au-dessus de leur tête, applaudissent en riant.

« Oui, mais on est tout de même venus pour skier ! » se lamentait le père. « On aurait pu s’abstenir de se farcir autant de bornes pour des choses que l’on peut faire n’importe où ailleurs ! » « On peut tenter le ski… nautique » rétorqua gentiment la mère, ses yeux fixant la route dégoulinante et ses nombreux lacets. Les enfants dormaient les uns contre les autres, la tête de l’un sur l’épaule de l’autre, comme imbriqués. Elle ajouta : « Avec la météo de ces dernières années, de toute façon, on ne sait jamais à quoi s’attendre ! Rappelle-toi notre séjour, l’été passé, dans les Calanques, et de ces nuits où il avait gelé. » « Ah oui, que c’était drôle de retrouver le linge suspendu sur le balcon de notre cabanon durci par le froid ! Ah ah ah ! J’en ris encore ! » répondit le père, mi-figue, mi-raisin. « Je crois bien que notre chalet ne se trouve pas loin, à droite, mets le clignotant, prends la petite route, oui, c’est ça, puis le chemin, là ! »

« Regarde, on dirait un village, tout près. Théoriquement, la maison se trouve dans la première impasse, celle qui conduit directement à la plage. On va pouvoir se baigner, les petits ! Enfin, quand le sable aura cessé de voleter ! » dit joyeusement le père. « Tu appelles ça voleter ! C’est un véritable ouragan qui s’abat sur nous en ce moment, il est temps qu’on arrive, mon chéri ! Oh, voilà, c’est de cette impasse, dont tu parlais ? » La mère mène la voiture pile devant leur villa de location, coupe le moteur et souffle un bon coup, toujours souriante. « Mission accomplie ! Famille menée à bon port ! Ce n’était pas plus difficile que l’hiver dernier dans les Pyrénées, quand nous avons été assaillis, à l’aller, par ces nuées d’oiseaux migrateurs, désorientés par tous ces changements de climat… Il faut s’y faire, c’est comme ça, maintenant. Il aurait fallu qu’ils y pensent avant ! »

La mère étira longuement ses bras, bâilla légèrement, puis chuchota : « On réveillera les enfants quand on aura fini de vider la voiture, allez viens, du nerf, on est presque au bout de nos peines ! Ne fais pas cette tête, c’était une bonne idée, ce séjour improvisé à la montagne ; personne ne pouvait imaginer que ça fondrait si vite, en l’espace de quelques jours ! Il va reneiger, j’en suis sûre, on va en profiter, tous les cinq, en famille. À nous la glisse dans la poudre blanche en plein mois de juillet ! » « Et les bons feux de cheminée ! » ajouta le père, ragaillardi, en ouvrant la portière. Il pleuvait maintenant à grosses gouttes. « Si  par hasard le soleil se pointe, on en profitera pour bronzer ! »

La mère tire la manette pour sortir, le vent fait voler ses longs cheveux bruns. La tignasse ébouriffée du père le fait ressembler à un fou évadé de l’asile. Il ouvre le coffre, dépose les sacs et les valises à terre, extirpe la glacière des profondeurs, la saisit par l’anse et se dirige vers leur résidence balnéaire. « Une bonne bière fraîche me fera du bien ! » se dit-il, un léger sourire aux lèvres. « À la santé de la grande bleue ! » Puis, à l’adresse de sa compagne : « Alors, tu viens ? C’est toi qui a les clés, je crois ? » Ils avaient eu cette immense bâtisse avec vue imprenable sur l’océan pour quelques centaines d’euros la semaine. Une véritable aubaine pour fêter, tous ensemble, le prochain jour de l’an.

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