Trilogie de juillet 3 sur 3
13 juillet 2015
Me
décidant mi-juin, je réservai un aller-retour par le Thalys pour une somme
encore abordable, puis un hôtel, en face de Centraal Station, dans une petite
rue non loin du Quartier Rouge, de Chinatown et de Oudekerk (vieille église).
Pourquoi en avions-nous pris un si loin, la fois où tu m’avais emmenée avec
toi ? Nous devions faire un long
trajet en tram, encore marcher quelque temps avant d’y arriver, à notre hôtel, car
bien entendu, dans la journée, c’était dans le centre que nous allions…
Je
voulais décompresser d’une année de travail éprouvante, enfin une demi-année
dirons-nous, pour être optimiste. Le cauchemar avait commencé début février,
pour se poursuivre jusqu’au 22 juin, date à laquelle je m’étais rendue chez mon
médecin pour lui demander un arrêt de travail. J’avais repris ensuite, pour une
semaine, avant la date de mes « vraies » vacances d’été. Alors,
Amsterdam était le lieu rêvé pour passer rapidement à autre chose.
Trois
jours sur place, deux nuits à l’hôtel, la perspective de voir mon amie française
à l’occasion d’un spectacle de vidéo danse et peut-être d’autres activités, en
fonction de ses disponibilités… Quand elle venait à Paris, c’était elle qui
était en vacances, les rôles étaient inversés ! Je ne savais pas encore ce
que j’allais faire, je ne connaissais pas, loin de là, tous les musées ;
je pensais à l’Hermitage, au Stedelijk Museum ou encore au Rijksmuseum, où nous
étions allés ensemble, il était en travaux…
J’arrive
tôt, même pas onze heures, je suis happée par l’air chaud qui souffle ici, je
souris, contente d’être là, je me sens mieux, déjà. Je dépose ma valise à
l’hôtel, les chambres ne seront prêtes qu’à partir de quatorze heures, et je
retourne dans la ville, avec dans l’idée d’aller dans un café sympa, qui
m’avait plu la dernière fois. C’était sans toi. Après y avoir fait une petite
halte, je me dirige vers le Begijnhof, que je désire revoir. La dernière fois,
c’était avec toi. Ce qu’il faisait froid ! J’avais osé prendre une photo
des maisons, à l’intérieur, alors que c’était interdit.
Au
Begijnhof, un concert gratuit commence à treize heures, c’est à Engelsekerk (église
réformée anglaise). Je suis partante, j’ai tout mon temps, je vais pouvoir
m’asseoir, apprécier la fraîcheur, écouter The Hudson-Mohawk Chorale (USA) et
ses voix d’une beauté envoûtante, ses chansons spirituelles traditionnelles,
ses gospels grandioses… Je me permets quelques photos à l’intérieur ;
figure-toi que Piet Mondrian, dans sa jeunesse, y a peint les motifs des plafonds de la chaire
et de la nef. C’est jaune et bleu pâle, simple, gracieux, joli !
Après
cet épisode mystique inattendu, je rejoins mon hôtel sans avoir besoin de
sortir mon plan. La chambre est petite, le lit à une place, les toilettes et la
douche sur le pallier, mais je savais à quoi m’en tenir quand j’ai réservé. Les
deux matins suivants, je pourrai savourer un breakfast reconstituant pour cinq
euros, au bar de l’hôtel, un vieil endroit aux murs recouverts de panneaux en bois
sculpté, dans l’esprit des « cafés bruns » dans lesquels tu m’avais
emmenée plus d’une fois, lors de notre séjour en décembre.
Une
pause s’impose, un rafraîchissement, le déballage de mes affaires… Le
rendez-vous avec mon amie n’est qu’à dix-huit heures quarante-cinq, devant l’Apple
Store de Leidseplein. En attendant je vais me balader, avec dans l’idée de me
diriger vers Museumplein, peut-être d’entrer dans l’un des musées qui s’y
trouvent… Le Van Gogh Museum, j’y suis allée pour la première fois avec
toi ; puis j’y suis retournée, seule, lors de mon précédent voyage. J’étais
restée six jours et je m’étais mise au vélo. Pourquoi n’avions-nous pas loué
des vélos ?
Finalement,
je préfère marcher, apprécier ces décors apaisants, ces canaux reposants, ces
bateaux qui naviguent, ces petits ponts en brique rouge, ces grandes maisons élégantes ; je m’arrête
souvent pour prendre des photos. Les chats sont de sortie, j’en croise un
certain nombre, je leur parle, je les caresse quand c’est possible, je les
immortalise… Non, décidément, je n’ai pas envie d’un musée, d’ailleurs il est
presque dix-heures, ils vont fermer.
Je
n’irai pas non plus au Vondelpark, l’heure de mon rendez-vous approche, je vais
continuer vers le théâtre Bellevue, sur Singelgracht, où nous allons ce soir,
mon amie et moi. Avant ça, une soupe asiatique consistante au Wagamama : nous
sommes contentes de nous revoir, la dernière fois c’était à Paris, il n’y a pas
si longtemps.
Ni
elle ni moi n’avons envie de nous coucher trop tard ; après le spectacle,
excellent, elle me raccompagne, son vélo à la main, jusqu’à mon hôtel. Elle me donne
rendez-vous pour le lendemain, quatorze heures trente, à Foodism by Friends,
Nassaukade 122. Nous y passerons un bon moment, à déguster des pâtisseries tout
en buvant du thé.
La
surprise, qui n’en était pas vraiment une, car je m’étais informée par avance
de la météo, c’est qu’il pleut. Des trombes d’eau orageuses s’abattent sur les
pavés de Niewebrugsteeg, pendant que je petit-déjeune au Old Nickel, avec un
grand chat roux comme compagnie. Ce qui n’est pas pour me déplaire ! Les
vieilles filles aiment les chats, c’est bien connu. J’ai en projet de marcher vers
l’Ouest, de longer l’IJ pour découvrir les quartiers de ce côté. Tant pis pour
la pluie ; en prévision, je me suis équipée !
Alors
que je suis en train de prendre une photo du café La Tête, au bord de l’IJ (j’ai
décidé de photographier toutes les enseignes en français que je verrai à
Amsterdam), un monsieur me hèle, en anglais d’abord, puis dans un excellent
français, et m’invite à boire un café à La Tête. J’accepte, un arrêt me fera du
bien, après toute cette pluie qui m’est tombée dessus.
Le
monsieur, néerlandais, m’explique que son fils et sa belle-fille ont loué cet
emplacement pour six mois, qu’il les aide à l’occasion, que c’est une belle
initiative. Je bois mon café noir servi dans de la faïence hollandaise blanche
aux motifs bleus, tasse et coupelle ; il me présente son épouse, nous
parlons de voyages, de chômage, de retraite, d’économie, de sa maison de
vacances au Touquet Paris Plage.
Je
me promène longuement dans les rues de Westerpark puis je trouve, dans Jordaan,
où j’atterris un peu par hasard, un nouveau café sympa, un café de quartier, où
je me pose une petite heure. J’apprécie les maisons anciennes dans
Willemstraat, je longe Lijnbaansgracht sur au moins un kilomètre, le nez au
vent ; le soleil fait des apparitions, je me sens bien. Je ne sais pas si
nous étions venus par ici ensemble : au début je ne comprenais rien à la
ville, c’est toi qui me guidais, car tu la connaissais pour y être déjà venu
plusieurs fois.
Après
avoir vu mon amie au Foodism by Friends, je vais vers Prinsengracht, où
m’attend une croisière sur les canaux, près de la maison d’Anne Franck. Je paie
pour un billet valable pendant vingt-heures, si le cœur m’en dit je pourrai en
faire une autre demain matin. Pourquoi n’étions-nous pas montés sur un bateau,
c’est tellement agréable, de se promener sur l’eau ! On voit tout
autrement ! Surtout dans une ville comme celle-ci ! Tu le savais, pourtant,
que j’aimais les bateaux. Pourquoi n’as-tu pas pensé à m’en offrir un
tour ?
Je
suis à bord, seule, toute à mes pensées. Les gens évitent de se mettre à côté
de moi, sauf en dernier recours, quand il n’y a plus d’autres places
disponibles. Parce que le bateau s’arrête pour embarquer et débarquer les
touristes, « Create your own tour », moi je veux faire le tour complet !
Vues imprenables sur l’Amstel, fin du parcours à Centraal Station West, le
bateau ne va pas plus loin, ça tombe bien car finalement j’ai envie de rentrer
à l’hôtel, de me reposer avant d’envisager une nouvelle sortie.
Après
l’Ouest, à moi l’Est, le quartier des docks, ses rues animées. La bibliothèque
dressée au-dessus de moi, je me souviens alors des mots de mon amie :
« Si tu as l’occasion, monte au dernier étage, il y a un beau panorama sur
la ville. » Alors j’y vais, elle est ouverte de huit heures à vingt-deux
heures, il est à peine dix-neuf heures trente, vive la culture à
l’amstellodamoise !
Je
monte, étage après étage, par l’escalator, je déambule dans les rayons et les
allées, me dirigeant vers les grandes vitres qui dominent l’Amstel et le
centre-ville, me nourrissant de ce que je vois, à chaque fois un peu plus haut.
Le ciel est gris, orageux, presque noir. Il tombe une pluie battante. Sixième
étage : philosophie. Septième et dernier étage : restaurant Laplace,
une nourriture plus terre à terre. Je suis sûre que nous aurions plaisanté à ce
sujet, si nous avions été ensemble.
Je
reste au lit jusque huit heures, j’entends le doux chant des carillons, je prends
une longue douche, chaude et relaxante dans des odeurs de beuh persistantes, je
range mes affaires dans ma valise, je prépare mon sac à dos pour la journée, avant
d’aller dévorer mon petit-déjeuner. Je photographierai le grand chat roux,
allongé sur un fauteuil aux tons… orange. Un dernier pipi à l’hôtel, puis je
confie mon bagage aux bons soins du Old Nickel. Je repasserai aux alentours de
seize heures, avant de penser à mon train.
Alors
oui, je me refais une croisière, départ à dix heures trente de Centraal Station
West, quai de mon débarquement hier. Comme j’arrive en avance, j’en profite
pour m’acheter un porte-clés avec deux petits sabots orange (pour ma déco) et
un autre pour mon ex-voisine, qui s’occupe de mes chats. Il souffle un petit
air frais mais le soleil est très présent, je change de lunettes. Après
l’Amstel, le bateau vogue vers Singelgracht, comme hier, mais dans l’autre sens.
Je descends à l’arrêt Vondelpark, car je ne m’y suis pas encore promenée.
Enfin,
pas au cours de ce séjour, car je me souviens fort bien l’avoir arpenté avec
toi, ce parc, un matin où tout avait gelé. Des gens faisaient du patinage,
d’autres envoyaient leur chien courir après un bâton sur la glace, les animaux
freinaient, tant bien que mal, de toutes leurs griffes et de leurs quatre
pattes, que c’était drôle, malgré le froid ! Je pense à toi, je pense à
lui aussi, qui m’attend quelque part.
Reviendrai-je
avec lui pour quelques jours à Amsterdam ? Serai-je celle qui le guidera,
à travers les rues étroites, le réseau des canaux, car il les découvrira ?
Irons-nous ensemble dans mes cafés préférés, le premier sympa, pour commencer,
pas trop loin de la gare, puis les autres, ceux récemment débusqués au
cours de mes pérégrinations ? Aura-t-il le souhait de m’accompagner ?
Toi
tu étais toujours partant, pour les voyages. C’est d’ailleurs avec toi que j’y
ai pris goût ! Maintenant, je les fais seule, tu vois. J’aime marcher dans
les villes, m’en imprégner, les découvrir de l’intérieur, les ressentir. C’est
différent, aucune contrainte, je me laisse aller, respectant ou non, ou
partiellement, mon programme pour la journée. J’aime me servir d’un plan, je ne
me perds que très rarement, et si cela arrive, je retrouve facilement mon
chemin. Me voilà une grande fille ! Tu peux être fier de moi !
Il
aimera voyager. Il sera même allé dans des contrées plus lointaines, sur
d’autres continents. Il aimera les musées, l’art en général. Peut-être
sera-t-il artiste dans l’âme ? Peintre, sculpteur, dessinateur, plasticien,
vidéaste, scénariste, cinéaste, écrivain, journaliste, poète, dramaturge, parolier,
danseur, chorégraphe, metteur en scène, scénographe, comédien, acteur,
chanteur, compositeur, musicien ?
Peut-être
aimera-t-il les chats, mais moins que les chiens ? Il aimera les animaux,
en tout cas. Il aura le même âge que toi, ou alors un tout petit peu moins.
Comme toi, il aura du vécu derrière lui, un lourd passé ineffaçable, des
souvenirs ancrés au plus profond de lui-même, indissociables de ce qu’il est aujourd’hui :
un homme d’un certain âge, un homme d’un âge certain.
Moi,
ce que j’ai, c’est la cinquantaine. Il paraît que ce n’est pas une maladie. Oh !
La petite cinquantaine, encore, mais les années passent si vite… Je n’ai plus
le temps de perdre mon temps, si tu vois ce que je veux dire. Peut-être aimera-t-il
comme moi la musique, aurons-nous des goûts en commun ? Sera-t-il un peu
fou, un fou gentil, doux-dingue, original ? J’ai toujours fui les gens
trop sérieux, leur préférant des caractères plus fantaisistes.
Irai-je
avec lui, comme nous allions ensemble, à des concerts punk rock, écouterons-nous
du jazz ou de l’electroclash ou bien alors les deux, de la chanson française et
puis de l’opéra, des quatuors à cordes, de grands orchestres philharmoniques,
de la vielle à roue occitane, des tambours africains, des chanteurs
cubains ? Me jouera-t-il, au soleil couchant, quelques airs de guitare ?
Quelques pièces au piano ?
J’ai
bien changé, tu sais. Je me suis forcie, avec l’âge et les expériences ; je
peux vivre sans toi. Je dois aller vers autre chose, même si le chemin n’est
que partiellement tracé. C’est le moment de t’oublier, papa. Il aimera les
promenades, c’est sûr, et la campagne, la mer, la montagne, le bord de l’eau, les
paysages ; la ville aussi, ses rues grouillantes, ses bars bruyants, c’est
évident ! Il voudra finir sa vie
avec moi, je serai son dernier amour.
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