vendredi 17 juillet 2015

À Amsterdam

Trilogie de juillet 3 sur 3
13 juillet 2015

Me décidant mi-juin, je réservai un aller-retour par le Thalys pour une somme encore abordable, puis un hôtel, en face de Centraal Station, dans une petite rue non loin du Quartier Rouge, de Chinatown et de Oudekerk (vieille église). Pourquoi en avions-nous pris un si loin, la fois où tu m’avais emmenée avec toi ?  Nous devions faire un long trajet en tram, encore marcher quelque temps avant d’y arriver, à notre hôtel, car bien entendu, dans la journée, c’était dans le centre que nous allions…

Je voulais décompresser d’une année de travail éprouvante, enfin une demi-année dirons-nous, pour être optimiste. Le cauchemar avait commencé début février, pour se poursuivre jusqu’au 22 juin, date à laquelle je m’étais rendue chez mon médecin pour lui demander un arrêt de travail. J’avais repris ensuite, pour une semaine, avant la date de mes « vraies » vacances d’été. Alors, Amsterdam était le lieu rêvé pour passer rapidement à autre chose.

Trois jours sur place, deux nuits à l’hôtel, la perspective de voir mon amie française à l’occasion d’un spectacle de vidéo danse et peut-être d’autres activités, en fonction de ses disponibilités… Quand elle venait à Paris, c’était elle qui était en vacances, les rôles étaient inversés ! Je ne savais pas encore ce que j’allais faire, je ne connaissais pas, loin de là, tous les musées ; je pensais à l’Hermitage, au Stedelijk Museum ou encore au Rijksmuseum, où nous étions allés ensemble, il était en travaux…

J’arrive tôt, même pas onze heures, je suis happée par l’air chaud qui souffle ici, je souris, contente d’être là, je me sens mieux, déjà. Je dépose ma valise à l’hôtel, les chambres ne seront prêtes qu’à partir de quatorze heures, et je retourne dans la ville, avec dans l’idée d’aller dans un café sympa, qui m’avait plu la dernière fois. C’était sans toi. Après y avoir fait une petite halte, je me dirige vers le Begijnhof, que je désire revoir. La dernière fois, c’était avec toi. Ce qu’il faisait froid ! J’avais osé prendre une photo des maisons, à l’intérieur, alors que c’était interdit.

Au Begijnhof, un concert gratuit commence à treize heures, c’est à Engelsekerk (église réformée anglaise). Je suis partante, j’ai tout mon temps, je vais pouvoir m’asseoir, apprécier la fraîcheur, écouter The Hudson-Mohawk Chorale (USA) et ses voix d’une beauté envoûtante, ses chansons spirituelles traditionnelles, ses gospels grandioses… Je me permets quelques photos à l’intérieur ; figure-toi que Piet Mondrian, dans sa jeunesse, y  a peint les motifs des plafonds de la chaire et de la nef. C’est jaune et bleu pâle, simple, gracieux, joli !

Après cet épisode mystique inattendu, je rejoins mon hôtel sans avoir besoin de sortir mon plan. La chambre est petite, le lit à une place, les toilettes et la douche sur le pallier, mais je savais à quoi m’en tenir quand j’ai réservé. Les deux matins suivants, je pourrai savourer un breakfast reconstituant pour cinq euros, au bar de l’hôtel, un vieil endroit aux murs recouverts de panneaux en bois sculpté, dans l’esprit des « cafés bruns » dans lesquels tu m’avais emmenée plus d’une fois, lors de notre séjour en décembre.

Une pause s’impose, un rafraîchissement, le déballage de mes affaires… Le rendez-vous avec mon amie n’est qu’à dix-huit heures quarante-cinq, devant l’Apple Store de Leidseplein. En attendant je vais me balader, avec dans l’idée de me diriger vers Museumplein, peut-être d’entrer dans l’un des musées qui s’y trouvent… Le Van Gogh Museum, j’y suis allée pour la première fois avec toi ; puis j’y suis retournée, seule, lors de mon précédent voyage. J’étais restée six jours et je m’étais mise au vélo. Pourquoi n’avions-nous pas loué des vélos ?

Finalement, je préfère marcher, apprécier ces décors apaisants, ces canaux reposants, ces bateaux qui naviguent, ces petits ponts en brique rouge,  ces grandes maisons élégantes ; je m’arrête souvent pour prendre des photos. Les chats sont de sortie, j’en croise un certain nombre, je leur parle, je les caresse quand c’est possible, je les immortalise… Non, décidément, je n’ai pas envie d’un musée, d’ailleurs il est presque dix-heures, ils vont fermer.

Je n’irai pas non plus au Vondelpark, l’heure de mon rendez-vous approche, je vais continuer vers le théâtre Bellevue, sur Singelgracht, où nous allons ce soir, mon amie et moi. Avant ça, une soupe asiatique consistante au Wagamama : nous sommes contentes de nous revoir, la dernière fois c’était à Paris, il n’y a pas si longtemps.

Ni elle ni moi n’avons envie de nous coucher trop tard ; après le spectacle, excellent, elle me raccompagne, son vélo à la main, jusqu’à mon hôtel. Elle me donne rendez-vous pour le lendemain, quatorze heures trente, à Foodism by Friends, Nassaukade 122. Nous y passerons un bon moment, à déguster des pâtisseries tout en buvant du thé.

La surprise, qui n’en était pas vraiment une, car je m’étais informée par avance de la météo, c’est qu’il pleut. Des trombes d’eau orageuses s’abattent sur les pavés de Niewebrugsteeg, pendant que je petit-déjeune au Old Nickel, avec un grand chat roux comme compagnie. Ce qui n’est pas pour me déplaire ! Les vieilles filles aiment les chats, c’est bien connu. J’ai en projet de marcher vers l’Ouest, de longer l’IJ pour découvrir les quartiers de ce côté. Tant pis pour la pluie ; en prévision, je me suis équipée !

Alors que je suis en train de prendre une photo du café La Tête, au bord de l’IJ (j’ai décidé de photographier toutes les enseignes en français que je verrai à Amsterdam), un monsieur me hèle, en anglais d’abord, puis dans un excellent français, et m’invite à boire un café à La Tête. J’accepte, un arrêt me fera du bien, après toute cette pluie qui m’est tombée dessus.

Le monsieur, néerlandais, m’explique que son fils et sa belle-fille ont loué cet emplacement pour six mois, qu’il les aide à l’occasion, que c’est une belle initiative. Je bois mon café noir servi dans de la faïence hollandaise blanche aux motifs bleus, tasse et coupelle ; il me présente son épouse, nous parlons de voyages, de chômage, de retraite, d’économie, de sa maison de vacances au Touquet Paris Plage.

Je me promène longuement dans les rues de Westerpark puis je trouve, dans Jordaan, où j’atterris un peu par hasard, un nouveau café sympa, un café de quartier, où je me pose une petite heure. J’apprécie les maisons anciennes dans Willemstraat, je longe Lijnbaansgracht sur au moins un kilomètre, le nez au vent ; le soleil fait des apparitions, je me sens bien. Je ne sais pas si nous étions venus par ici ensemble : au début je ne comprenais rien à la ville, c’est toi qui me guidais, car tu la connaissais pour y être déjà venu plusieurs fois.

Après avoir vu mon amie au Foodism by Friends, je vais vers Prinsengracht, où m’attend une croisière sur les canaux, près de la maison d’Anne Franck. Je paie pour un billet valable pendant vingt-heures, si le cœur m’en dit je pourrai en faire une autre demain matin. Pourquoi n’étions-nous pas montés sur un bateau, c’est tellement agréable, de se promener sur l’eau ! On voit tout autrement ! Surtout dans une ville comme celle-ci ! Tu le savais, pourtant, que j’aimais les bateaux. Pourquoi n’as-tu pas pensé à m’en offrir un tour ?

Je suis à bord, seule, toute à mes pensées. Les gens évitent de se mettre à côté de moi, sauf en dernier recours, quand il n’y a plus d’autres places disponibles. Parce que le bateau s’arrête pour embarquer et débarquer les touristes, « Create your own tour », moi je veux faire le tour complet ! Vues imprenables sur l’Amstel, fin du parcours à Centraal Station West, le bateau ne va pas plus loin, ça tombe bien car finalement j’ai envie de rentrer à l’hôtel, de me reposer avant d’envisager une nouvelle sortie.

Après l’Ouest, à moi l’Est, le quartier des docks, ses rues animées. La bibliothèque dressée au-dessus de moi, je me souviens alors des mots de mon amie : « Si tu as l’occasion, monte au dernier étage, il y a un beau panorama sur la ville. » Alors j’y vais, elle est ouverte de huit heures à vingt-deux heures, il est à peine dix-neuf heures trente, vive la culture à l’amstellodamoise !

Je monte, étage après étage, par l’escalator, je déambule dans les rayons et les allées, me dirigeant vers les grandes vitres qui dominent l’Amstel et le centre-ville, me nourrissant de ce que je vois, à chaque fois un peu plus haut. Le ciel est gris, orageux, presque noir. Il tombe une pluie battante. Sixième étage : philosophie. Septième et dernier étage : restaurant Laplace, une nourriture plus terre à terre. Je suis sûre que nous aurions plaisanté à ce sujet, si nous avions été ensemble.

Je reste au lit jusque huit heures, j’entends le doux chant des carillons, je prends une longue douche, chaude et relaxante dans des odeurs de beuh persistantes, je range mes affaires dans ma valise, je prépare mon sac à dos pour la journée, avant d’aller dévorer mon petit-déjeuner. Je photographierai le grand chat roux, allongé sur un fauteuil aux tons… orange. Un dernier pipi à l’hôtel, puis je confie mon bagage aux bons soins du Old Nickel. Je repasserai aux alentours de seize heures, avant de penser à mon train.

Alors oui, je me refais une croisière, départ à dix heures trente de Centraal Station West, quai de mon débarquement hier. Comme j’arrive en avance, j’en profite pour m’acheter un porte-clés avec deux petits sabots orange (pour ma déco) et un autre pour mon ex-voisine, qui s’occupe de mes chats. Il souffle un petit air frais mais le soleil est très présent, je change de lunettes. Après l’Amstel, le bateau vogue vers Singelgracht, comme hier, mais dans l’autre sens. Je descends à l’arrêt Vondelpark, car je ne m’y suis pas encore promenée.

Enfin, pas au cours de ce séjour, car je me souviens fort bien l’avoir arpenté avec toi, ce parc, un matin où tout avait gelé. Des gens faisaient du patinage, d’autres envoyaient leur chien courir après un bâton sur la glace, les animaux freinaient, tant bien que mal, de toutes leurs griffes et de leurs quatre pattes, que c’était drôle, malgré le froid ! Je pense à toi, je pense à lui aussi, qui m’attend quelque part.

Reviendrai-je avec lui pour quelques jours à Amsterdam ? Serai-je celle qui le guidera, à travers les rues étroites, le réseau des canaux, car il les découvrira ? Irons-nous ensemble dans mes cafés préférés, le premier sympa, pour commencer, pas trop loin de la gare, puis les autres, ceux récemment débusqués au cours de mes pérégrinations ? Aura-t-il le souhait de m’accompagner ?

Toi tu étais toujours partant, pour les voyages. C’est d’ailleurs avec toi que j’y ai pris goût ! Maintenant, je les fais seule, tu vois. J’aime marcher dans les villes, m’en imprégner, les découvrir de l’intérieur, les ressentir. C’est différent, aucune contrainte, je me laisse aller, respectant ou non, ou partiellement, mon programme pour la journée. J’aime me servir d’un plan, je ne me perds que très rarement, et si cela arrive, je retrouve facilement mon chemin. Me voilà une grande fille ! Tu peux être fier de moi !

Il aimera voyager. Il sera même allé dans des contrées plus lointaines, sur d’autres continents. Il aimera les musées, l’art en général. Peut-être sera-t-il artiste dans l’âme ? Peintre, sculpteur, dessinateur, plasticien, vidéaste, scénariste, cinéaste, écrivain, journaliste, poète, dramaturge, parolier, danseur, chorégraphe, metteur en scène, scénographe, comédien, acteur, chanteur, compositeur, musicien ?

Peut-être aimera-t-il les chats, mais moins que les chiens ? Il aimera les animaux, en tout cas. Il aura le même âge que toi, ou alors un tout petit peu moins. Comme toi, il aura du vécu derrière lui, un lourd passé ineffaçable, des souvenirs ancrés au plus profond de lui-même, indissociables de ce qu’il est aujourd’hui : un homme d’un certain âge, un homme d’un âge certain.

Moi, ce que j’ai, c’est la cinquantaine. Il paraît que ce n’est pas une maladie. Oh ! La petite cinquantaine, encore, mais les années passent si vite… Je n’ai plus le temps de perdre mon temps, si tu vois ce que je veux dire. Peut-être aimera-t-il comme moi la musique, aurons-nous des goûts en commun ? Sera-t-il un peu fou, un fou gentil, doux-dingue, original ? J’ai toujours fui les gens trop sérieux, leur préférant des caractères plus fantaisistes.

Irai-je avec lui, comme nous allions ensemble, à des concerts punk rock, écouterons-nous du jazz ou de l’electroclash ou bien alors les deux, de la chanson française et puis de l’opéra, des quatuors à cordes, de grands orchestres philharmoniques, de la vielle à roue occitane, des tambours africains, des chanteurs cubains ? Me jouera-t-il, au soleil couchant, quelques airs de guitare ? Quelques pièces au piano ?

J’ai bien changé, tu sais. Je me suis forcie, avec l’âge et les expériences ; je peux vivre sans toi. Je dois aller vers autre chose, même si le chemin n’est que partiellement tracé. C’est le moment de t’oublier, papa. Il aimera les promenades, c’est sûr, et la campagne, la mer, la montagne, le bord de l’eau, les paysages ; la ville aussi, ses rues grouillantes, ses bars bruyants, c’est évident !  Il voudra finir sa vie avec moi, je serai son dernier amour.

De vieilles photos ici :

De plus récentes là :
http://elsasong.blogspot.fr/search/label/Six%20jours%20%C3%A0%20Amsterdam

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