Troisième
partie : 1er août 2015
Revue de presse
1992
Vendredi
L’hebdomadaire des Socialistes
VOUS AVEZ DIT
CAFÉ-MUSIQUES ?
La Cigale Musclée,
d’Épernay, est plantée au cœur du quartier HLM de Bernon. C’est un ancien
entrepôt qui sert de soubassement à un supermarché. Perché sur une petite
colline, ce quartier semble dominer la bonne cité du champagne et de la
tradition. Le pari consistait, ici, à faire bouger le centre-ville, à
transmuter, par la qualité du spectacle et la magie de l’atmosphère, cette
périphérie en un lieu musical en vogue.
La Cigale Musclée,
pour Elsa, une jeune bénévole, « c’est d’abord la rencontre des jeunes et
d’un lieu. » Entrepôt désaffecté, donc, aménagé par les chantiers-écoles du
Club de Prévention, c’est une structure d’animation qui n’a cessé d’évoluer
depuis 1989 pour devenir, en 1992, l’un des premiers cafés-musiques.
Mais parler, à
propos de cette réalisation, d’association bénévole de réinsertion sociale ou
d’animation risque de masquer l’essentiel sous un vocabulaire
socio-bien-pensant. C’est un véritable espace de musique, « le seul lieu
rock de la ville » selon les habitués, mais aussi celui du raï ou du jazz
et même du café-théâtre. « C’est le rade sympa où l’on se sent bien, le
soir. »
José Molina,
l’unique salarié, le responsable, la quarantaine vigilante, et une dizaine de
très jeunes bénévoles font tourner l’établissement. Lycéens, étudiants, jeunes
travailleurs, chômeurs se relaient afin d’assurer, du lundi au vendredi, de 18
à 23 heures, le fonctionnement de la boîte.
La Cigale Musclée,
c’est un café salle de spectacle, un studio d’enregistrement et même une salle
de musculation ! La gestion et la programmation de ces diverses activités,
gérées sur la base du partenariat entre les jeunes du quartier et la ville,
relèvent de la seule responsabilité de l’association.
Bénéficiaire d’un
financement dans le cadre de la procédure de développement social des
quartiers, la Cigale Musclée a obtenu en 1992, comme une cinquantaine d’autres
lieux, le label de « café-musiques », donnant droit aux aides du
ministère de la Culture.
Pour devenir un vrai
lieu qui compte et non une simple innovation sociale, il a fallu, en dépit de
la qualité musicale, se débarrasser de la salle image qui colle aux ZUP.
« La simple trouille de se faire piquer son autoradio a longtemps tenu à
l’écart ceux d’en bas » avoue l’un d’eux.
Mais ce soir, ils
sont là, en couple ou seuls. Ces gens du centre-ville n’ont même plus
l’impression de transgresser un tabou social ni d’être venus s’encanailler à
l’ombre des grands ensembles. Ils ont tout simplement oublié l’environnement et
le supermarché. Ils sont ici pour la musique, ils sont faits aux pattes et au
cœur.
« L’ambiance
est bon enfant » disent-ils, ne se sentant ni spectateurs, ni
consommateurs isolés. « On fest noz ensemble » formulera même un
jeune Sparnacien d’origine bretonne à n’en pas douter ! C’est une ambiance
de retrouvailles, de palabres et de rires. C’est bien. Il y a, bien sûr, le
groupe.
Ce soir, Marla Glen
Band, du bon blues ; mais il y a surtout l’immédiate certitude que ce
qu’on entend s’ancre dans le réservoir des souvenirs heureux et que la
correspondance entre les sons et les sens qui se répondent fonctionne au mieux.
Rien n’est figé, les groupes se font, se déplacent de table en table.
La solitude n’existe
pas dans ce lieu bigarré fréquenté par Champenois et Maghrébins, jeunes et
moins jeunes, « cools », cuirs et costards.
F.L.
1993
Journal La Croix
COUP DE POUCE AUX
CAFÉS-MUSIQUES
Le ministère veut encourager ces lieux de rencontre et
de création.
« Je suis
décidé à donner aux cafés-musiques les moyens nécessaires pour continuer à
exister et à se multiplier. » Jacques Toubon, le ministre de la Culture, n’a
pas caché son enthousiasme vis-à-vis de ce programme, mardi soir, lors du débat
concert qui se tenait à l’Espace Reuilly dans le 12e arrondissement
de Paris. Cette rencontre était organisée par quinze jeunes porteurs de projet
de café-musiques achevant tout juste une formation patronnée par le ministère
de la Culture.
A-t-on trouvé la
solution miracle pour permettre aux jeunes de se rencontrer et de
s’exprimer ? Jacques Toubon veut y croire. Les responsables
d’associations, les élus de collectivités locales, les fonctionnaires des
ministères, les professionnels du spectacle, venus nombreux, aussi. Né en 1990
après les incidents de Vaulx-en-Velin, le concept des cafés-musiques a
peut-être de l’avenir.
Ces cafés
associatifs ont trois objectifs censés leur garantir une grande autonomie.
Un objectif culturel :
des musiciens (ou artistes) peuvent se produire ou répéter dans de bonnes
conditions.
Un objectif
économique : les jeunes gèrent eux-mêmes ces sociétés d’économie mixte
dont les recettes proviennent des ventes de boissons, des entrées des concerts
et des subventions fournies par l’État et les communes.
Un objectif
social : lieux de rencontre, ces cafés révèlent des vocations de
musiciens, créent des emplois et jouent un rôle de prévention.
S’ils correspondent
aux besoins des banlieues défavorisées, les cafés-musiques intéressent
également les communes rurales, qui souffrent elles aussi du désœuvrement et
d’un déficit des cultures de proximité.
En France, on compte
aujourd’hui une trentaine de cafés-musiques. Le ministère de la Culture a
annoncé qu’ils seraient une centaine fin 1994.
Mais la partie n’est
pas jouée. Au cours de la soirée, nombreux ont été les jeunes racontant leurs
échecs. Ainsi le projet de café-musiques Le Yucca, à Arcueil (Val-de-Marne),
accepté par la Direction Régionale des Affaires Culturelles, n’a pas vu le
jour. La municipalité lui a préféré un projet de piscine.
De manière générale,
les communes craignent le bruit et les violences que pourraient engendrer les
cafés-musiques. Jacques Toubon a donc annoncé un travail d’information, avec le
ministère de la Ville et celui de la Jeunesse et des Sports.
D’autres ont tenu à
faire part néanmoins de leur réussite. C’est le cas d’Elsa Songis, présidente
du café-musiques La Cigale Musclée à Épernay (Marne). Ouvert depuis 1989, ce
dernier s’est implanté dans un quartier en difficulté. Il a assis sa
réputation, et attire à présent les habitants du centre-ville et des communes
environnantes.
Deux concerts
organisés chaque mois, un bar ouvert en semaine de 18 à 23 heures (les deux
autres cafés du quartier ferment à 20 heures), une salle de musculation très
équipée : la structure a trouvé ses marques, en accord avec la mairie.
La Cigale Musclée
remplit ainsi sa mission sociale. Les animateurs du Club de Prévention local
rencontrent les jeunes au café-musiques, qui emploie par ailleurs des personnes
profitant d’un contrat emploi-solidarité et poursuivant une formation
(ingénieur du son, secrétaire, animateur…).
Bénévole, Elsa
Songis, elle, est au chômage. Mais, son expérience à la tête de la Cigale
Musclée lui permettra peut-être de trouver un emploi dans ce domaine qui la
passionne.
Valérie Humbert
La Cigale Musclée (1989/1996) :
il est temps d’en parler sérieusement.
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