Sixième
partie : 4 août 2015
Mon côté cigale
Cela me trottait
dans la tête depuis un moment déjà, d’écrire sur la Cigale Musclée d’Épernay, quartier
Bernon, dans la Marne. Ce fut l’un des premiers cafés-musiques labellisés par
le ministère de la Culture et de la Communication, un lieu exemplaire et
précurseur, de ceux qui ont servi à la rédaction de la charte des
cafés-musiques et à leur développement sur le territoire français, au début des
années quatre-vingt-dix.
La structure (tout
du moins sa partie musicale) a existé entre 1989 et 1996, sous la forme d’une
association de loi 1901. Structure associative, donc, fondée sur le bénévolat :
coopérative, participative, conviviale, familiale, fraternelle, festive, cosmopolite,
formatrice, constructive, innovante…
Internet n’était pas
encore envisageable même si les ordinateurs avaient déjà leur place dans les
bureaux, on fonctionnait avec le fax ; il y avait tout de même la vidéo,
utilisée judicieusement comme moyen d’expression et de communication par T.C.B.
(Télé Centre Bernon) la télévision du quartier.
Lorsque j’ai
commencé à réfléchir à l’éventualité d’écrire sur la Cigale Musclée, j’ai
d’abord pensé à une fiction, ayant pour cadre la ZUP, le quartier Bernon et
Épernay dans son ensemble, les villages voisins, les villes aux alentours,
notamment Reims et l’Usine, salle de concert réputée de ce temps-là, Château-Thierry
et son association Les Pyramides Bleues, Châlons-sur-Marne (qui ne se nommait
pas encore Châlons-en-Champagne) avec sa radio libre, ses concerts en salle ou
en plein air, les prémices du festival « Musiques d’Ici et d’Ailleurs »…
Les personnages
seraient inspirés de toutes ces fourmis de la Cigale, de toutes ces personnes
ayant participé, de près ou de loin, à la vie de l’association, aux différentes
activités de la salle, de tous ces gens ayant contribué à la faire fonctionner,
à lui donner ce rayonnement, cette envergure, de tous ces musiciens qui sont
venus y jouer. Il faudrait des personnages principaux, des intrigues, du
suspense, une disparition mystérieuse, une mort inexpliquée, une série de
meurtres, envisager un mobile, sans doute une vengeance, des personnages secondaires.
L’histoire se
passerait dans l’ambiance foutraque du début des 90’s où évolueraient les
musiciens sparnaciens, leurs groupies, tous styles confondus, rock, punk, garage,
rockabilly, metal, hardcore, blues, jazz, raï, reggae, world, rap, hip hop, DJ’S…
Le milieu serait plus ou moins marginal, réunissant artistes de tous poils,
habitants du quartier et des environs, faune des soirs de concert. L’esprit de
fête tiendrait une place prioritaire. Le vignoble champenois aurait aussi son
rôle à tenir car à Épernay, capitale du Champagne, les vignes sont partout,
surplombant la vallée de la Marne.
La Cigale Musclée
garde toujours une place dans mon esprit grâce à Myriam, que je continue à voir
régulièrement, depuis plus de vingt ans ! Nous avons partagé nombre de bons
moments associatifs, tant au niveau administratif (je fus, un temps, la
présidente) que pour l’organisation des concerts : de l’accueil des
musiciens en début d’après-midi (les courses du catering auraient été faites le
matin) jusqu’à la fermeture de la salle, le ménage, le lessivage des sols, la
fiesta jusqu’à l’aube. Et de précieux moments d’amitié, bien sûr. Nous évoquons
toujours José Molina, le directeur salarié, arrivé en 1992 pour remplacer
Bernard Guinard, l’initiateur du projet.
Télé Centre Bernon a
réalisé un nombre impressionnant de reportages sur les concerts, les festivals,
les événements organisés par la Cigale Musclée. Avant de quitter définitivement
Épernay, j’avais demandé à ce qu’on me fasse une copie de ces reportages
compilés sur des cassettes VHS. Il en avait fallu quatre pour consigner huit
heures d’enregistrements, réalisés entre
1992 et 1995.
Progrès
technologiques aidant (merci à mon frère Samuel), je suis en possession
aujourd’hui de deux DVD (plus un troisième, l’intégrale du concert que Theo
Hakola y a donné avec Bénédicte Villain le 28 janvier 1993, merci Éric F.B.) retraçant
les heures de gloire passée de feu « La Cigale Musclée ».
Du moins côté
cigale, car la musculation est toujours restée d’actualité au 4 allée Édouard
Lalo. Il semblerait même qu’elle se soit agrandie, jusqu’à occuper désormais
l’espace autrefois dédié à l’animation (bar sans alcool) et aux concerts
(demande de licence exceptionnelle pour les alcools de catégorie 2).
Déménageant en
Seine-et-Marne en juin 1994 pour des raisons professionnelles, j’ai continué à
venir à Épernay pour assister aux concerts de la Cigale Musclée et pour donner
un coup de main en tant que bénévole sur les festivals rock (notamment celui de
juillet 1994 : Atomics Kids, Zebda, Road Runners, Nerve, Spermbirds et peut-être
celui de mai 1995 : Painting Over Picasso, Les Wampas, Les Sheriff).
Libérée des contraintes dues à mes responsabilités dans l’association (j’avais
succédé à Mao en 1992 en tant que présidente, puis laissé ma place à Manu G. en
1994), j’en avais profité pour réaliser des photos.
One shot, à
l’époque. Le résultat disponible seulement après le passage obligé chez le
photographe. Quoique, j’avais fait aussi un reportage sur le troisième festival,
en 1993 (Nihil, Senseless Things, Les Thugs, Treponem Pal). Trésors
inestimables, vingt ans après.
Fin de l’aventure en
1996. Le 31 mars, nous faisions un repas d’adieu chez José et sa femme Régine ;
José quittait les paysages champenois gris, brumeux, humides et froids l’hiver,
pour retourner sous des cieux plus cléments dans le Tarn, du côté d’Albi.
Là aussi, là
surtout, j’avais fait un tas de photos. Je ne regrette pas aujourd’hui de les avoir
toutes gardées, car depuis la vie est passée sous les ponts et en a laissé certains
sur ses berges : Paulo et Rachid ne sont plus de ce monde.
Ce jour-là, il y
avait Toutoune, le bluesman légendaire, Brigitte, sa compagne dévouée, membre
du bureau de l’association et bénévole très active, et leur jeune fils. Jano,
le chanteur guitariste de Nihil et Térésa, sa compagne, ses enfants à elle. Paulo,
le batteur de Nihil, animateur musical salarié de l’association et sa compagne
Dédel, avec laquelle j’ai souvent fait les quatre cent coups.
Il y avait Gérald,
musicien, bénévole au bar ou à la régie son et lumières, membre actif au bureau.
Fafa, animateur radio, journaliste musical, objecteur de conscience à la Cigale
Musclée. Myriam, secrétaire salariée de l’association, assistante de José, en
formation BEATEP, chanteuse, danseuse, belle petite rousse rieuse, impliquée au
plus haut degré, destinée à une carrière brillante dans les métiers du
spectacle.
Il y avait Elsa, bénévole
dès 1989, s’engageant progressivement vers des responsabilités plus importantes,
passant ses journées au bureau de l’association, ses soirées dans la salle
d’animation, ses samedis à l’organisation des concerts, ses dimanches dans la
salle de répétition avec le groupe Cosmo Zikmo, certains jours à Paris en
formation « gestionnaire de café-musiques »…, pendant sa période de
chômage (si l’on peut dire).
Il n’y avait pas
Étienne, ex bassiste de Nihil, technicien son salarié de la Cigale Musclée ni
sa compagne Asùn, qui fut ma colocataire du temps de nos études à Reims. Ni
Rachid, technicien lumières salarié de l’association, ancien bénévole des tous
débuts ni Mao, ni Dom, ni Manu L., pareillement impliqués dès le lancement de
la « Structures Jeunes » en 1989.
On avait bien
rigolé. Beaucoup bu de Champagne. C’était la fin d’une époque, mais the show
must go on. Chacun continuerait son chemin, la plupart dans le domaine de la
musique, les couples feraient des enfants, d’autres retrouveraient des voies
plus conventionnelles, car il faut bien gagner sa vie, quitter le côté cigale
pour aller vers celui plus rassurant de la fourmi, assurer ses arrières, cesser
de chanter, déchanter, jusqu’au désenchantement…
C’est ce qu’il m’est
arrivé. D’actrice passionnée dans l’organisation de concerts, je suis devenue
exclusivement consommatrice, allant volontiers dans les salles parisiennes,
puisque n’habitant dorénavant pas loin.
Il y a eu la Grange
du Château, ma fréquentation de plus en plus assidue de cette salle de concert
« à la dure », sans vrai bar ni frigo, une scène et des équipements
démontables, des bénévoles plus actifs que jamais. Pourtant, l’envie ne m’est
jamais venue de rejoindre l’équipe, de « remettre les mains dans le
cambouis ». On s’embourgeoise, on s’assagit, on s’assoupit… Éric G. l’a
fait, lui.
Le
« café-musiques du Val d’Europe », organisant ses concerts à la
Grange du Château de Chessy, a été fondé fin 1996. En 2002, après de longs travaux,
il se transformait en File 7, SMAC ou Scène de Musiques Actuelles, petite sœur
du café-musiques… J’y vais régulièrement. Il y a certes, heureusement, toujours
des bénévoles, mais l’équipe qui fait tourner le lieu est salariée, formée,
diplômée, motivée, et c’est tant mieux.
Le programme
« café-musiques » décidé en séminaire interministériel du 7 décembre
1990, représentant l’un des enjeux de la Politique de la Ville, a bien porté
ses fruits. File 7, à Magny-le-Hongre (ville rattachée au SAN, Syndicat
d’Agglomération Nouvelle du Val d’Europe), demeure un endroit convivial, ouvert
à tous, mettant à disposition des musiciens des studios de répétition et
d’enregistrement, également sa scène, sa régie son et lumières dans le cadre
d’artistes accompagnés ou de résidences. Il y a une grande salle de concert
(capacité 600 spectateurs debout) et une plus petite, côté café, où ont lieu
des prestations en libre accès.
Les plus jeunes ont
aussi leur programmation musicale, il y a des interventions auprès des écoliers,
collégiens, lycéens, des projets de sensibilisation dans différents milieux (scolaire,
périscolaire, rural, handicap, hospitalier, carcéral…), des projets avec les
écoles de musique, des actions culturelles de proximité, des sourires à
l’entrée…
Ce qui paraissait
utopique il y a vingt-cinq ans prend racine dans la réalité du XXIe siècle. On
n’a pas œuvré pour rien. D’autres s’y sont mis, aussi. Certains y sont
toujours.
La Cigale Musclée (1989/1996) :
il est temps d’en parler sérieusement.
Lien vers ma
série d’articles
Cigale Musclée (51) Café-Musiques
Bonjour,... et l’imam qui assurait à l’époque un calme relatif au sein du quartier de Bernon... et qui avait dirigé religieusement l’inauguration de cette établissement (style MJC...) voulu par le maire de l’époque, Bernard Stasi... qu’est-il devenu en cette année 2024 ???
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