dimanche 30 août 2015

Les fourmis de la Cigale (6)

Sixième partie : 4 août 2015

Mon côté cigale

Cela me trottait dans la tête depuis un moment déjà, d’écrire sur la Cigale Musclée d’Épernay, quartier Bernon, dans la Marne. Ce fut l’un des premiers cafés-musiques labellisés par le ministère de la Culture et de la Communication, un lieu exemplaire et précurseur, de ceux qui ont servi à la rédaction de la charte des cafés-musiques et à leur développement sur le territoire français, au début des années quatre-vingt-dix.

La structure (tout du moins sa partie musicale) a existé entre 1989 et 1996, sous la forme d’une association de loi 1901. Structure associative, donc, fondée sur le bénévolat : coopérative, participative, conviviale, familiale, fraternelle, festive, cosmopolite, formatrice, constructive, innovante…

Internet n’était pas encore envisageable même si les ordinateurs avaient déjà leur place dans les bureaux, on fonctionnait avec le fax ; il y avait tout de même la vidéo, utilisée judicieusement comme moyen d’expression et de communication par T.C.B. (Télé Centre Bernon) la télévision du quartier.

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à l’éventualité d’écrire sur la Cigale Musclée, j’ai d’abord pensé à une fiction, ayant pour cadre la ZUP, le quartier Bernon et Épernay dans son ensemble, les villages voisins, les villes aux alentours, notamment Reims et l’Usine, salle de concert réputée de ce temps-là, Château-Thierry et son association Les Pyramides Bleues, Châlons-sur-Marne (qui ne se nommait pas encore Châlons-en-Champagne) avec sa radio libre, ses concerts en salle ou en plein air, les prémices du festival « Musiques d’Ici et d’Ailleurs »…

Les personnages seraient inspirés de toutes ces fourmis de la Cigale, de toutes ces personnes ayant participé, de près ou de loin, à la vie de l’association, aux différentes activités de la salle, de tous ces gens ayant contribué à la faire fonctionner, à lui donner ce rayonnement, cette envergure, de tous ces musiciens qui sont venus y jouer. Il faudrait des personnages principaux, des intrigues, du suspense, une disparition mystérieuse, une mort inexpliquée, une série de meurtres, envisager un mobile, sans doute une vengeance, des personnages secondaires.

L’histoire se passerait dans l’ambiance foutraque du début des 90’s où évolueraient les musiciens sparnaciens, leurs groupies, tous styles confondus, rock, punk, garage, rockabilly, metal, hardcore, blues, jazz, raï, reggae, world, rap, hip hop, DJ’S… Le milieu serait plus ou moins marginal, réunissant artistes de tous poils, habitants du quartier et des environs, faune des soirs de concert. L’esprit de fête tiendrait une place prioritaire. Le vignoble champenois aurait aussi son rôle à tenir car à Épernay, capitale du Champagne, les vignes sont partout, surplombant la vallée de la Marne.

La Cigale Musclée garde toujours une place dans mon esprit grâce à Myriam, que je continue à voir régulièrement, depuis plus de vingt ans ! Nous avons partagé nombre de bons moments associatifs, tant au niveau administratif (je fus, un temps, la présidente) que pour l’organisation des concerts : de l’accueil des musiciens en début d’après-midi (les courses du catering auraient été faites le matin) jusqu’à la fermeture de la salle, le ménage, le lessivage des sols, la fiesta jusqu’à l’aube. Et de précieux moments d’amitié, bien sûr. Nous évoquons toujours José Molina, le directeur salarié, arrivé en 1992 pour remplacer Bernard Guinard, l’initiateur du projet.

Télé Centre Bernon a réalisé un nombre impressionnant de reportages sur les concerts, les festivals, les événements organisés par la Cigale Musclée. Avant de quitter définitivement Épernay, j’avais demandé à ce qu’on me fasse une copie de ces reportages compilés sur des cassettes VHS. Il en avait fallu quatre pour consigner huit heures d’enregistrements, réalisés entre  1992 et 1995.

Progrès technologiques aidant (merci à mon frère Samuel), je suis en possession aujourd’hui de deux DVD (plus un troisième, l’intégrale du concert que Theo Hakola y a donné avec Bénédicte Villain le 28 janvier 1993, merci Éric F.B.) retraçant les heures de gloire passée de feu « La Cigale Musclée ».

Du moins côté cigale, car la musculation est toujours restée d’actualité au 4 allée Édouard Lalo. Il semblerait même qu’elle se soit agrandie, jusqu’à occuper désormais l’espace autrefois dédié à l’animation (bar sans alcool) et aux concerts (demande de licence exceptionnelle pour les alcools de catégorie 2).

Déménageant en Seine-et-Marne en juin 1994 pour des raisons professionnelles, j’ai continué à venir à Épernay pour assister aux concerts de la Cigale Musclée et pour donner un coup de main en tant que bénévole sur les festivals rock (notamment celui de juillet 1994 : Atomics Kids, Zebda, Road Runners, Nerve, Spermbirds et peut-être celui de mai 1995 : Painting Over Picasso, Les Wampas, Les Sheriff). Libérée des contraintes dues à mes responsabilités dans l’association (j’avais succédé à Mao en 1992 en tant que présidente, puis laissé ma place à Manu G. en 1994), j’en avais profité pour réaliser des photos.

One shot, à l’époque. Le résultat disponible seulement après le passage obligé chez le photographe. Quoique, j’avais fait aussi un reportage sur le troisième festival, en 1993 (Nihil, Senseless Things, Les Thugs, Treponem Pal). Trésors inestimables, vingt ans après.

Fin de l’aventure en 1996. Le 31 mars, nous faisions un repas d’adieu chez José et sa femme Régine ; José quittait les paysages champenois gris, brumeux, humides et froids l’hiver, pour retourner sous des cieux plus cléments dans le Tarn, du côté d’Albi.

Là aussi, là surtout, j’avais fait un tas de photos. Je ne regrette pas aujourd’hui de les avoir toutes gardées, car depuis la vie est passée sous les ponts et en a laissé certains sur ses berges : Paulo et Rachid ne sont plus de ce monde.

Ce jour-là, il y avait Toutoune, le bluesman légendaire, Brigitte, sa compagne dévouée, membre du bureau de l’association et bénévole très active, et leur jeune fils. Jano, le chanteur guitariste de Nihil et Térésa, sa compagne, ses enfants à elle. Paulo, le batteur de Nihil, animateur musical salarié de l’association et sa compagne Dédel, avec laquelle j’ai souvent fait les quatre cent coups.

Il y avait Gérald, musicien, bénévole au bar ou à la régie son et lumières, membre actif au bureau. Fafa, animateur radio, journaliste musical, objecteur de conscience à la Cigale Musclée. Myriam, secrétaire salariée de l’association, assistante de José, en formation BEATEP, chanteuse, danseuse, belle petite rousse rieuse, impliquée au plus haut degré, destinée à une carrière brillante dans les métiers du spectacle.

Il y avait Elsa, bénévole dès 1989, s’engageant progressivement vers des responsabilités plus importantes, passant ses journées au bureau de l’association, ses soirées dans la salle d’animation, ses samedis à l’organisation des concerts, ses dimanches dans la salle de répétition avec le groupe Cosmo Zikmo, certains jours à Paris en formation « gestionnaire de café-musiques »…, pendant sa période de chômage (si l’on peut dire).

Il n’y avait pas Étienne, ex bassiste de Nihil, technicien son salarié de la Cigale Musclée ni sa compagne Asùn, qui fut ma colocataire du temps de nos études à Reims. Ni Rachid, technicien lumières salarié de l’association, ancien bénévole des tous débuts ni Mao, ni Dom, ni Manu L., pareillement impliqués dès le lancement de la « Structures Jeunes » en 1989.

On avait bien rigolé. Beaucoup bu de Champagne. C’était la fin d’une époque, mais the show must go on. Chacun continuerait son chemin, la plupart dans le domaine de la musique, les couples feraient des enfants, d’autres retrouveraient des voies plus conventionnelles, car il faut bien gagner sa vie, quitter le côté cigale pour aller vers celui plus rassurant de la fourmi, assurer ses arrières, cesser de chanter, déchanter, jusqu’au désenchantement…

C’est ce qu’il m’est arrivé. D’actrice passionnée dans l’organisation de concerts, je suis devenue exclusivement consommatrice, allant volontiers dans les salles parisiennes, puisque n’habitant dorénavant pas loin.

Il y a eu la Grange du Château, ma fréquentation de plus en plus assidue de cette salle de concert « à la dure », sans vrai bar ni frigo, une scène et des équipements démontables, des bénévoles plus actifs que jamais. Pourtant, l’envie ne m’est jamais venue de rejoindre l’équipe, de « remettre les mains dans le cambouis ». On s’embourgeoise, on s’assagit, on s’assoupit… Éric G. l’a fait, lui.

Le « café-musiques du Val d’Europe », organisant ses concerts à la Grange du Château de Chessy, a été fondé fin 1996. En 2002, après de longs travaux, il se transformait en File 7, SMAC ou Scène de Musiques Actuelles, petite sœur du café-musiques… J’y vais régulièrement. Il y a certes, heureusement, toujours des bénévoles, mais l’équipe qui fait tourner le lieu est salariée, formée, diplômée, motivée, et c’est tant mieux.

Le programme « café-musiques » décidé en séminaire interministériel du 7 décembre 1990, représentant l’un des enjeux de la Politique de la Ville, a bien porté ses fruits. File 7, à Magny-le-Hongre (ville rattachée au SAN, Syndicat d’Agglomération Nouvelle du Val d’Europe), demeure un endroit convivial, ouvert à tous, mettant à disposition des musiciens des studios de répétition et d’enregistrement, également sa scène, sa régie son et lumières dans le cadre d’artistes accompagnés ou de résidences. Il y a une grande salle de concert (capacité 600 spectateurs debout) et une plus petite, côté café, où ont lieu des prestations en libre accès.

Les plus jeunes ont aussi leur programmation musicale, il y a des interventions auprès des écoliers, collégiens, lycéens, des projets de sensibilisation dans différents milieux (scolaire, périscolaire, rural, handicap, hospitalier, carcéral…), des projets avec les écoles de musique, des actions culturelles de proximité, des sourires à l’entrée…

Ce qui paraissait utopique il y a vingt-cinq ans prend racine dans la réalité du XXIe siècle. On n’a pas œuvré pour rien. D’autres s’y sont mis, aussi. Certains y sont toujours.


La Cigale Musclée (1989/1996) : il est temps d’en parler sérieusement.

Lien vers ma série d’articles
Cigale Musclée (51) Café-Musiques


1 commentaire:

  1. Bonjour,... et l’imam qui assurait à l’époque un calme relatif au sein du quartier de Bernon... et qui avait dirigé religieusement l’inauguration de cette établissement (style MJC...) voulu par le maire de l’époque, Bernard Stasi... qu’est-il devenu en cette année 2024 ???

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