lundi 17 août 2015

Contrebandière

Trilogie du mois d’août 1 sur 3

Bruits secs et sourds, crépitements. Poêle sur le feu, grésillements. Beurre frétillant, oeufs et bacon tout frissonnants. Odeur de pain grillé, fumet d'un bol de café : j’ai faim.

Sons élastiques, rebondissants. Applaudissements. Ovation de milliers de spectateurs en liesse. Sur la scène, je salue : plaisir intense, jeu, joie, jouissance.

Les coups redoublent, montent en puissance. Peau d’un tambour martyrisée. Sombre forêt, obscurité. Gifles données : une joue puis l’autre, accéléré.

Violence immense, colère lâchée. Vieilles souffrances.

Clappements, clapotis, clapotements. Idée de l’eau, senteurs de terre. Pluie rageuse, lourdes gouttes tombant en rangs serrés.

Réveil forcé, rêve éveillé, demi-sommeil.

Je me souviens. Allongée sur le dos, les yeux fermés, je me rassemble, reprends conscience. La Bretagne, les vacances, les festivals, le temps humide et la grisaille.

Il fait bon, sous la tente. Je m'y sens bien. Étanche et rassurante, chaleur diffuse dans le duvet.

Longues minutes tambourinées : il pleut si fort ! Des trombes, des seaux, des cordes !

Voilà que ça se calme, que ça va decrescendo, que ça s’arrête. De l’eau il y en a déjà eu hier, presque toute la journée.

Quelques belles éclaircies, aussi. Des moments scintillants, lumineux. Générosité, brillance des pierres.

Éclat des prairies, des forêts… La récompense, après la pluie. Instants bénis. 

Il ne va plus pleuvoir, hein, c’est fini ? J’exige dorénavant le règne du ciel bleu et l’éclat des rayons !

Optimisme, joie de vivre, curiosité, ivresse. La journée sera belle, j’en suis certaine.

Les arbres se secouent, la terre étanche sa soif. Absorption, écoulements, glissements, goutte-à-goutte.

Des chants d’oiseaux mêlés, enchevêtrés. Affinités, intimité, sérénité. Abandon.

Son souffle régulier se mêle au mien. Ancré dans le sommeil, il m’enlace. Sa main repose sur ma taille, je me sens protégée. Rien ne peut m’arriver. Il m’appartient, je suis à lui.

Chaque journée commencée en sa compagnie me remplit d’aise. Je suis fière, nous sommes ensemble. Nous avons passé une bonne partie de notre existence à nous chercher, nous passerons la suivante sans jamais nous quitter.

On va en profiter ! C’est court, la vie ! Pas facile à accepter, ce cours du temps qui court, sans jamais s’arrêter…

Le feu s'éteint. Le froid emplit mon être. Frissons glacés le long de la nuque. J’éloigne de moi, du plus loin que je peux, cette angoisse insidieuse. Cette peur de vivre, celle de mourir.

J’ouvre les yeux : il fait nuit. Dôme d’une grotte aux parois arrondies. Ventre maternel, placentaire, matriciel. Béatitude, douce euphorie.

Quelle heure est-il ? Encore de longs moments à rester assoupie, avec lui, contre lui, sa main bien chaude sur ma peau nue…

Depuis la nuit des temps je l’aime. Sentiment étrange, ancestral, primitif. Rester comme ça entre deux eaux, laisser divaguer mes pensées.

Cela faisait longtemps que j’en rêvais, de vacances comme celles-ci, en tête à tête, toujours en quête ! En couple d’amoureux, amoureux de tous les plaisirs, de toutes les fêtes !

Fous furieux de musique : expériences, découvertes, oreilles expertes… Épicuriens, mélomanes, philosophes. Tout se passe bien, entre nous. Pour le moment, du moins.

Il bouge dans son sommeil, il gémit, se retourne. Sa main me quitte, il se replie, se met en boule. Posture foetale. Je change de position, me lovant contre lui. Poitrine collée à son dos, je l’entoure de mes bras.

Échange de chaleurs. Je laisse aller ma tête contre la sienne. Je le respire tout entier, je l’appréhende dans ses moindres détails.

J’écoute son corps vibrer, respirer. L’odeur de ses cheveux, le goût de sa bouche, son sourire charmeur, sa voix angélique, son érudition, son intelligence… Tout, en lui, m’enchante.

Privilège de l’âge, moitié de la vie. Quarantaine débutante, rugissante, triomphante. Piaffant d’impatience. Nous sommes des produits finis, affirmés, aboutis. En parfait état de marche.

Quelques années de répit avant la grande dégringolade, la débandade, sans retour en arrière. Freiner des quatre fers, savourer chaque instant. 

Je goûte à la joie de ne plus être seule. Ça change tout, l’amour de l’autre. J'apprécie sa sensualité, sa maturité, le regard qu’il me porte… J'aime sa force, sa résistance. Fougueux, virtuose, sensible. Il connaît bien les femmes.

La pluie a eu du bon : tous les deux sous la tente, des heures mouillées à faire l’amour sur la longueur et la distance.

J’ai envie de son essence, de sa semence. Virilité, fertilité, enchantement, enfantement. Je n’ai pas eu d’enfant. Ma vie s’est déroulée sans que cela se fasse, il n'y avait pas la place. Chaos, blessures, malchance…

Là, maintenant : je prends, je glane, je passe en fraude, je louvoie, je maraude.

Je garde le meilleur, en prévision des mauvais jours. Un vieux réflexe, toujours le doute, je ne me sens pas à l’abri d’un prochain coup dur.

C’est l’été, les vacances, pas de contraintes, itinérance… Je me nourris. Je fais des provisions, pour les jours "sans". Je vis dans l’instant, tout entière au présent.

Je suis contente : bonheur trouvé, gagné, bien mérité. Ça va durer, cette fois, pas vrai ?

Langueur, lascivité, paresse. Lueurs de l’aube, un nouveau jour.

Il s’étire, se détend. Il se tourne vers moi, ouvre les yeux, les referme. Il les rouvre, me sourit, approche ses lèvres des miennes, m’embrasse très tendrement.

Illumination, foudroiement, éclairs. Amour essentiel, bonheur éternel. Seuls au monde.

Je me laisse emporter par le flot de désir qui me submerge et m’entraîne loin du large, vers des terres inconnues, en friches.

Temps houleux, vent violent, je perds pied, je suffoque. Je me noie sous les vagues de ses baisers, de ses caresses.

Naufrage. Je me laisse assaillir, envahir, engloutir, posséder.

Plus rien d’autre ne compte.

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