samedi 15 août 2015

Le couple

Trilogie du mois d’août 2 sur 3

C’est le soleil d’une fin de journée d’été, le couple est habillé très légèrement, il doit encore faire chaud.

Lui torse nu, un short rouge pour seul vêtement, elle en tee-shirt noir sans manches et jupe courte légère, aux motifs quadrillés mauves et noirs. Ses jambes sont largement découvertes. Elle porte des nus pieds plats, lui a les pieds nus.

Ils sont assis dans l’herbe, très proches l’un de l’autre. En arrière-plan des arbres alignés, une rivière paisible, un banc, un cabanon. Son bronzage à lui, couleur pain d’épices, met en valeur son beau corps lisse. Sa peau à elle paraît très blanche, à ses côtés. Elle a les cheveux blond clair, courts, elle porte des lunettes de soleil.

Sa main droite est perchée délicatement sur l’épaule masculine, sa blancheur tranche avec la belle couleur cuivrée. Il a les cheveux châtains coupés très courts, une petite calvitie dégage son front, déjà large. Il a des pattes joliment dessinées, jusque sur ses joues. Il porte deux colliers autour du cou. L’un est en perles, l’autre est un lacet en cuir sur lequel pend un bijou indien en argent. Son visage esquisse un joli sourire.

Elle fait une moue joyeuse, elle a l’air si content d’être avec lui ! On la sent victorieuse, certainement très amoureuse. Elle pose fièrement avec cet homme paisible, au corps vigoureux, aux courbes pleines de douceur. On voit l’ombre noire allongée du photographe, sur la pelouse.

On ne saura rien d’autre. Il n’y a pas d’annotations, pas de date, au dos de la photo. Aucun élément, dans le paysage, pour donner des indications sur un lieu précis. Ils semblent avoir entre trente et trente-cinq ans, ils sont en pleine santé, minces, finement musclés. Ils sont beaux, ils forment un couple bien assorti. Se connaissent-ils depuis longtemps ?

C’est la fin d’une belle journée d’été. Ils portent la mine détendue des gens en vacances, ou en week-end. Mais elle, n’a pas pris beaucoup le soleil, encore. Elle est juste un peu hâlée. Lui, son bronzage témoigne de longs moments passés au grand air.

Il y a quelque chose entre eux, mais depuis quand ? Peut-être seulement depuis la veille, à moins que ça ne soit depuis de longues années ? Se sont-ils connus au lycée ? À la fac ? Au travail ? En soirée ? En concert ? Sur Internet ? Sont-ils mariés ? Sont-ils amants illégitimes ? Ont-ils des enfants ? Ils viennent de passer une bonne journée ensemble, c’est évident.

Ses jambes à elle, croisées l’une par-dessus l’autre, sont rapprochées des siennes à lui, croisées aussi. Elle est avec "son" homme, il n’y a aucun doute là-dessus. Elle est heureuse, lui le semble aussi. Entre eux, un accord visible, charnel… Quelqu’un a pris la photo, ils ont demandé à être photographiés ensemble, ils ont posé. Étaient-ils là juste tous les deux ? Avec un groupe d’amis ? En famille ?

Ils s’étaient levés tard, ce dimanche, aux alentours de midi. Il faisait très chaud, sous la tente, malgré l’emplacement bien ombragé qu’ils avaient choisi. Les deux soirées précédentes, ils étaient allés à un festival musical, organisé dans cette belle petite ville médiévale. Ils s’y étaient rencontrés, il y a deux ans. Entre deux concerts, elle était venue au bar à thé savourer un "chai". Elle s’était assise sur un coussin en cuir, il s’était penché vers elle, il avait commencé à lui parler… Ils ne s’étaient plus quittés.

C’est elle qui l’avait rejoint, très vite, dans l’Ouest. De toute façon, lui n’aurait pas pu venir habiter en région parisienne, il aurait été malheureux, loin de la mer. Il était Breton, il avait besoin des éléments marins, il faisait du surf toute l’année. L’eau avait une grande importance dans sa vie, il était maître-nageur !

Ils avaient déjeuné à l’ombre, échangeant leurs impressions sur les concerts, les spectacles de rue, les gens qu’ils avaient rencontrés, les décors, les ambiances… Leurs corps rendus poisseux par la sueur et la poussière de leur longue nuit festivalière, ils avaient pris une douche ensemble.

Ils avaient échangé des regards pétillants, pleins de désir, dès qu’ils s’étaient retrouvés nus. Ils s’étaient savonnés l’un l’autre, leurs mains se faisant caressantes, courant sur leurs corps mousseux. Ils avaient laissé la douche couler et avaient fait l’amour, debout, ondulants, l’eau ruisselant sur eux en continu, comme une cascade. Ils avaient essayé de rester discrets.

Ils s’étaient allongés sur leurs serviettes de bain, mi-ombre mi-soleil, ils se donnaient la main. Puis elle lui avait fait un massage, il adorait ça, il adorait lui parler, yeux clos, quand elle le massait. Elle aimait sa peau, ses muscles tout en rondeurs, en fermeté. Elle le lisait les yeux fermés.

Elle s’était équilibrée au contact de cet homme, elle se sentait "sa" femme, elle s’était épanouie dans une relation de plus longue durée que les précédentes. Elle espérait qu’ils n’en étaient qu’à leurs débuts, même si…

Chaque jour avec lui était un nouvel enchantement. Elle se sentait forte, invulnérable. L’amour lui avait donné un aplomb qu’elle n’avait pas, avant. Elle souriait, tout le temps. Lui s’était aguerri auprès d’elle, son amour lui donnait de l’assurance, il avait plein de projets, malgré tout !

Ils revenaient sur le lieu même de leur rencontre. La programmation y était, encore cette année, résolument éclectique. Le site du festival était très agréable, foisonnant d’espaces savamment décorés, pleins de fantaisies, attisant la curiosité… Ils écoutaient beaucoup de musique ; ils aimaient, l’un comme l’autre, faire de nouvelles découvertes sonores. Des noms de groupes allaient s’ajouter sur leur liste d'albums à acheter, à télécharger ou à graver ! Ils resteraient camper jusqu’à lundi matin.

Pour le moment, il faisait beau, et après leur début d’après-midi lascive, ils se sentaient en forme, ils allaient bouger. Il lui proposa d’aller au bord de l’eau, il avait besoin d’eau, toujours plus d’eau ! "C’est un endroit où l’on peut faire du canoë" lui avait-il précisé. "Ça te dit ?" Il connaissait bien la région, il y avait habité quelques années, tout seul, avant de la rencontrer puis d’emménager avec elle dans cette maison en bord de mer.

Elle voulut conduire. Il lui passa les clés. Elle mit ses lunettes de soleil, démarra, il enclencha le lecteur de CD. C’était un disque de -M-, celui qu’ils se passaient en boucle depuis le début de l’été. Elle lui sourit largement, elle lui dit qu’elle l’aimait. En réponse, il plaça sa main sur sa cuisse nue, remontant sa petite jupe.

Ils roulaient vitres ouvertes, leurs bras pendaient nonchalamment à la fenêtre, elle conduisait d'une main. La musique de -M- se distillait dans l’habitacle, ils étaient bien. Ils écoutèrent "leur" chanson : "Qui de nous deux", celle qui donnait son titre à l’album. Les paroles correspondaient bien à ce qu’ils vivaient, à ce qu’ils ressentaient, en tant que couple. 

Ils se sentaient complémentaires, chacun apportant à l’autre sa joie de vivre, son énergie. -M- devait lui aussi être très amoureux, pour écrire des choses aussi vraies sur les sentiments. La suivante : "Ma mélodie", était un slow désarmant de beauté, teintée d’une pointe de mélancolie pour épancher les cœurs…

Ils arrivaient !  Tout en bavardant sur ces petites choses qui les faisaient tant rire, ils se dirigèrent d’un pas léger vers le loueur de bateaux. L’après-midi était déjà bien avancé : presque cinq heures ! Ils louèrent chacun un kayak, pour deux heures, ce qui leur permettrait de faire une longue balade sur l’eau.

Elle avait pris avec elle son appareil photo, au risque de le mouiller si jamais elle se renversait ! Elle voulait immortaliser quelques moments de cette belle journée, une de plus, avec son compagnon. Elle fit des clichés de sa descente d’un petit rapide. Il portait sa rame, bras levés, au-dessus de sa tête, l’air vainqueur, les éclats du soleil se reflétaient dans l’eau, il était rayonnant, avec son corps tout bronzé.

Au retour, elle se mit à chanter, elle aimait le son qu’avait sa voix sur l’eau, elle paraissait plus claire, comme amplifiée. Il chanta avec elle, eut d’autres idées de chansons, ils chantèrent en chœur jusqu’à l’arrivée. Ils rendirent les kayaks, allèrent s’asseoir sur la pelouse, au soleil, pour se sécher. Ils s’étaient aspergés !

C’est là qu’elle eut envie de la photo. Quelqu’un passait, justement, un vacancier en short blanc, tongues et bob Ricard. "Peu importe" pensa-t-elle. "Je ne recherche pas le grand art. Juste une photo pour saisir le bonheur de cette fin de journée. Ça se voit, le bonheur, ça sera flagrant, sur la photo ! Une belle journée de plus, la vie à savourer, à croquer, sans penser à de mauvaises choses…"

Il y avait, pourtant, sa maladie à lui, qui le faisait souffrir, qui le fatiguait énormément. Les anti-douleurs faisaient de moins en moins effet. Personne, dans le corps médical, ne pouvait leur dire comment cette maladie rare allait évoluer. Tant qu’on pouvait stabiliser ses troubles… Il était encore si jeune ! Elle chassa de son esprit tous ces soucis, il serait temps d’y penser, dès lundi soir. Il retournait à l’hôpital, pour un bilan complet qui durerait plusieurs jours.

Elle remercia vivement le photographe amateur puis engagea son beau Neptune à se lever en avançant sa main vers lui… Ils allaient maintenant se choisir un bon petit restaurant, en ville, où ils feraient ripaille : ils avaient faim !

Il fallait bien une ombre noire sur la photo. Ils profitaient des instants présents, au jour le jour, sans se poser de questions. Le bonheur n’est jamais parfait, c’est la vie qui veut ça.

C’est le soleil d’une fin de journée d’été, le couple est habillé très légèrement, il doit encore faire chaud.

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