Nouvelle noire
L’envie l’avait reprise, il lui
fallait un homme. Maintenant. Ce ne serait pas plus difficile que toutes les
autres fois ! Sur l’autoroute, vers Paris, elle passa en revue ses
conquêtes de l’été. De beaux mâles, dans l’ensemble : jeunes, fougueux, musclés.
Elle avait bon goût, en la matière ; elle était rarement déçue.
« Eux aussi ont eu plutôt
bon goût ! » plaisanta-t-elle, esquissant une moue satisfaite. Elle
attirait les hommes, les hommes l’attiraient : de beaux hommes,
exclusivement. Elle-même était une très belle femme, elle prenait soin d’elle,
elle aimait séduire, sentir l’autre troublé….
Elle craquait pour les corps
harmonieux, bien proportionnés, depuis toujours, lui semblait-il. Elle aimait
sentir ses mains parcourir une peau douce ou plus burinée, explorer la grâce
d’un torse ; elle appréciait la fermeté des pectoraux, la rondeur d’une épaule,
la courbe d’un bras, la dureté des muscles.
Elle liait ses caresses au
regard, suivant des yeux le mouvement de ses mains sur le corps appétissant de
son partenaire. Elle gardait les yeux ouverts quand elle s’aventurait plus bas,
vers le ventre, et puis plus bas, encore… Son cœur se mit à battre fort à
l’évocation des souvenirs de ses dernières vacances.
Les séances de massage avec ce
surfeur breton avaient été exquises. Il était doré de la tête aux pieds, de la
couleur du pain d’épices : elle n’en avait fait qu’une bouchée.
Elle s’était régalée de la peau
noire aux saveurs enchanteresses de ce musicien africain, dont elle avait palpé
le corps parsemé d’étranges cicatrices, durant des heures, du bout des doigts.
Elle avait fondu pour ce
nordique, blond aux yeux bleus. Pour lui, elle s’était presque usé la langue à
force de lécher chaque parcelle de sa peau claire, presque trop blanche,
délicieusement sucrée.
Ça lui manquait, ces sensations.
Un sourire malicieux se profila sur ses lèvres gourmandes. « Ce soir, il
me faut du grand art » se dit-elle. « Mon désir est intense dans le
creux de mon ventre, je dois l’assouvir. Je veux un homme à ajouter à ma
collection. C’est là, en moi, je ne peux résister. »
Elle se concentra sur sa
conduite. Bientôt le périphérique, la sortie vers le centre, la Seine, les
quais, les grands boulevards, une place pour se garer, là, sur le trottoir, le
long d’une rue étroite… Elle arrivait enfin. Il était temps que les affaires
reprennent.
Elle s’était décidée à revenir
ici, dans cet endroit accueillant, cosmopolite. Les hommes y étaient peu farouches,
plutôt entreprenants, recherchant les contacts. La dernière fois elle était
repartie bien avant le jour, enlacée à un rocker mince et nerveux, un petit
brun aux cheveux longs, santiags et perfecto. Il n’habitait pas loin, ils y
étaient allés à pied.
C’était vraiment un coup minable.
Quand elle est partie de chez lui, le jour n'était pas encore levé. Elle a
repris sa voiture pour rentrer chez elle, elle rentrait toujours chez elle, de
toute façon. Elle se douchait longuement avant de sombrer dans un sommeil
profond, enfin apaisée. Au moins pour un moment.
Une musique entraînante, aux
guitares saturées, montait du sous-sol enfumé. Elle se sentait d’humeur badine,
un peu moins dans l’urgence, maintenant qu’elle était arrivée. La nuit ne
faisait que commencer ! Elle pourrait prendre le temps de s’amuser.
La salle était bondée, de
nombreux danseurs s’agitaient sur la piste. Elle alla voir de plus près, repéra
quelques hommes à son goût. Elle commanda un soda alcoolisé frais et sucré,
s’accouda au bar, souriante, aux aguets.
La chasse était ouverte. Les
hommes qui s’approchèrent d’elle la laissèrent indifférente. Le premier n’était
vraiment pas son style, le suivant déjà bien soûl, celui-ci un peu gros,
celui-là trop âgé…
« J’aime l’amour ! »
lança-t-elle tout haut, l’esprit rendu léger par l’alcool circulant dans ses
veines. « Moi aussi ! » lui répondit une voix masculine à sa
gauche. « J’ai très envie de vous connaître ! Vous êtes d’accord ? »
Elle répondit par l’affirmative, un large sourire découvrant ses jolies dents
bien plantées. Ils échangèrent quelques plaisanteries avant de rejoindre la
piste de danse.
Le courant était passé entre eux,
ils s’accordaient merveilleusement pour danser. Physiquement, il lui plaisait.
Fin, musclé, les cheveux châtain coupés court, jeans, chaussures de sport,
tee-shirt moulant mettant en valeur une carrure athlétique… « Tu ne
manques pas d’humour, toi ! » conclut-elle en l’enlaçant soudain.
Elle avait besoin de l’avoir près d’elle, de sentir son odeur, goûter sa peau
en sueur. L’entente de leurs corps ne laissait aucun doute.
« Mes amis vont
partir » dit-il un peu plus tard, alors qu’ils discutaient au bar. « Je
n’ai pas pris ma voiture. Tu voudras bien me raccompagner ? » « Le
plaisir sera pour moi » lui répondit-elle en effleurant, de l'index, son
menton. « Qu’est-ce que je ne ferais pas pour un homme aussi charmant que
toi ! » ajouta-t-elle en riant.
Ils dansèrent encore quelque
temps, serrés l’un contre l’autre, attisant leur désir par des mots et des caresses.
Ils se décidèrent à aller chez lui, en banlieue est proche de Paris. Le trajet
fut rapide. Elle trouva à se garer juste à côté. Il la félicita pour son
créneau, qu’elle réussit du premier coup.
Il habitait au rez-de-chaussée
d’un immeuble neuf, résidentiel. Il la fit entrer, lui enleva son manteau, lui
fit faire le tour du propriétaire. Quand il lui montra sa chambre, elle lui
confia, avec aplomb, qu’il pourrait lui demander de faire tout ce qu’il voulait
dans toutes les pièces de l’appartement, mais certainement pas dans celle-là.
Une chambre, c’était fait pour dormir. Et ce qu’elle voulait maintenant…
C’était tout sauf dormir !
« J’ai du Champagne au
frais, ça te dit ? » demanda-t-il, enjôleur. « Ah mais j’adore le Champagne !
Je suis d’origine champenoise, tu sais ? Cela me rend très exigeante !
J’espère que tu as choisi une bonne cuvée, sinon… Je m’en irai fâchée ! »
Pendant qu’il s’activait dans la cuisine, elle regardait avec attention, dans
le salon, toutes ces photos de pays lointains accrochées aux murs.
« Je voyageais, avant »
lui confia-t-il en rapportant deux coupes et la bouteille. « Avant
quoi ? » « Eh bien, avant que je rencontre ma femme, il y a trois
ans, la mère de mon fils… » Elle
resta sans voix un moment, puis reprit de l’assurance : « Je te
remercie pour ta franchise. J’espère seulement qu’ils ne vont pas débarquer
dans les heures qui suivent ? » Il lui assura que non, qu’il serait seul
dans son appartement jusqu’au lendemain soir.
Elle n’allait tout de même pas
rebrousser chemin pour ce genre d’histoire. Il était consentant, après tout, il
l’invitait chez lui… Il savait ce qu’il faisait, non ? S’il s’offrait une
aventure, c’était pour aujourd’hui, pas pour demain. Cinq heures du matin : il
était grand temps pour elle de s’intéresser de plus près à son ravissant
compagnon. Surtout qu’il n’y aurait pas d’autre fois, elle en était certaine.
Ils trinquèrent joyeusement à
leur rencontre, elle le félicita pour le choix du Champagne. Ils mirent de la
musique, tamisèrent la lumière du salon et commencèrent à danser, soudés l’un à
l’autre, afin de reprendre les choses là où ils les avaient laissées. Ils
restaient debout, leurs corps ensorcelés par la musique, mi-orientale,
mi-celtique. Elle se délectait de ce corps solide, de toute beauté, bien
charpenté.
Ça la rendait folle. Elle le
complimenta ardemment sur son physique avantageux, frôlant la perfection.
« C’est du grand art, vraiment ! » murmura-t-elle en plongeant
son regard bleu acier dans ses yeux clairs et brillants. « Mais tu n’as
pas encore tout vu ! » lui souffla-t-il en prenant sa main avec
empressement.
Il lui proposa de continuer leurs
ébats sur le canapé blanc du salon. Il s’allongea et la laissa poursuivre, les
yeux clos. Au comble de l’excitation, elle lâcha soudain :
« L’heure est venue, mets-toi à l’aise, je vais te faire goûter à ma
spécialité. Ta femme pourra aller se rhabiller, je suis la meilleure dans ce
domaine ! »
Plus tard, l’amant comblé glissait
vers une torpeur proche de la béatitude. Le moment était venu : elle se
releva, saisit son sac à mains, en sortit son couteau, un Laguiole parfaitement
affûté, trancha le cou de l’homme d’un coup net, avant qu’il ne puisse
prononcer un seul mot. Le sang s’écoulait déjà de la blessure franche.
Elle se mit à laper le liquide
épais, à l’aspirer à petits coups rapides, avec application. Ses dents, rouges
de sang, s’acharnant sur le cou de l’homme, étincelaient, parfaitement
aiguisées. Quand ce fut terminé, elle s’essuya la bouche d’un revers de la
main, rassembla ses affaires avant de passer à la salle de bains.
« Je te l’avais dit que ce
serait du grand art ! » lança-t-elle au cadavre exsangue, tout en se
dirigeant vers l’entrée. Elle s’assura qu’il n’y avait personne dans le
couloir, referma la porte derrière elle, sortit prudemment pour aller jusqu’à
sa voiture. Le moteur démarra au quart de tour.
Il était huit heures, l’air était
frais, il faisait à peine jour en ce début d’automne. Elle allait être
tranquille pour un moment. La prochaine fois, il lui faudrait redoubler de
prudence, choisir un endroit en province où elle n’était encore jamais allée… Ses
aventures continueraient !
Bien au chaud dans son lit, elle
se remémora sa nuit mouvementée avec ce bel amant qui l’avait tant troublée. Il
avait vraiment très bon goût, un bon goût de vanille : ce fut sa dernière
pensée avant de s'endormir, pour jouir, enfin repue, d'un repos bien mérité.
À lire aussi sur ce blog :
À lire aussi sur Hautetfort :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire