mercredi 12 août 2015

Erreur de jeunesse

Nouvelle noire

Vous m'avez tant manqué, je vous manque de si peu ! Nous voilà tout de même réunis, en quelque sorte. Qu'il en soit ainsi. On ne peut rien contre ce sale coup du destin.

Dire que nous aurions pu passer notre vie ensemble ! Si seulement j'avais voulu… Nous aurions pu construire quelque chose de fort, de grand, de beau, d’exceptionnel, n'est-ce pas ? Mais j'ai refusé. De m'engager. Auprès de vous.

Vous veniez de finir vos études, vous aviez commencé à travailler. Vous auriez vite une bonne situation ! Vous vouliez fonder un foyer, vous installer, avoir des enfants… Et vous marier, absolument.

Pour moi c'était trop tôt, nous avions bien le temps ! Pourquoi précipiter les choses ? Pour vous, c'était une preuve d’amour. Si je ne voulais pas, c'était parce que je ne vous aimais pas. Vous m'avez lancé un ultimatum : le mariage avant la fin de l'année, ou bien…

Je n'ai pas supporté que vous me mettiez ainsi au pied du mur. C'était cruel ! Alors j'ai fui. Pour ne pas avoir à vous dire oui. À travers le pays, puis à travers le monde.

Où que j'aille, je pensais à vous. Comment ne pas avoir de remords ? Mais m'aviez-vous vraiment laissé le choix ? Si seulement vous aviez fait preuve de patience !

Un jour, j'ai su qu’il me fallait rentrer. Au fil du temps, des expériences, j'avais mûri. Les voyages forment la jeunesse, comme on dit ! J'allais vous retrouver, et ne plus vous quitter. Vous étiez mon seul et mon unique amour ! Je voulais passer le reste de ma vie avec vous !

Mais qu'est-ce que je croyais ? Je débarquais comme ça, sans crier gare ? De quel droit vous déclarais-je une flamme qui n'avait plus lieu d’être, après toutes ces années ? Sans vous donner une seule nouvelle ? Loin des yeux, loin du cœur ! Vous aviez tourné la page ! C'était trop tard ! Vous faisiez votre vie ! Depuis longtemps ! Sans moi !

Moi, je n'ai jamais vraiment fait la mienne. Une vie de solitaire n’est pas vraiment une vie. Je m’en rends compte, à présent. Je n'ai jamais assumé mes responsabilités, de toute façon. Si nous nous étions mariés, n'aurais-je pas fui tout de même, un jour ou l’autre ?

J'ai repris les voyages, j'en ai fait mon métier. Toujours en action, reportage sur reportage, dans des pays en crise, en guerre, dévastés par les épidémies, les attentats, les catastrophes, les cataclysmes… Il y a toujours eu de quoi faire, de par le monde. La misère humaine…

L'heure de la retraite a sonné. À peine le temps de me retourner, toutes ces années passées… Retour en France, à mes racines, dans la propriété familiale. Priorité : vous retrouver. Vous ne seriez plus en colère, après tout ce temps ! J’aurais tant voulu que vous me pardonniez.

Nous aurions évoqué tant de souvenirs… Vous m’auriez raconté vos joies, vos peines, les événements importants de votre existence, votre famille, vos enfants, votre carrière professionnelle, les mariages, les naissances…

Vous avez eu une vie heureuse, n’est-ce pas ? C’était ce que vous souhaitiez, non ? Le bonheur conjugal, la fidélité, la stabilité… Moi, je n'ai fait que vous chercher à travers tous ces êtres fluets, sans personnalité, qui ont jalonné ma vie, ici ou là.

Je n'ai jamais pu vous oublier. Je n'ai aimé que vous. Je peux bien vous le dire, aujourd'hui, et je vous le dirai encore, chaque jour qu'il me restera à passer sur cette terre. Car je vais revenir vous voir, vous savez ! Je ne vous lâche plus, maintenant. Vous me revenez tard, c’est tout.

Si seulement je n’avais pas eu ce fâcheux contretemps… J'aurais dû venir vous voir la semaine dernière, comme nous en avions convenu tous les deux, au téléphone ! Nous aurions pu alors bavarder en tête-à-tête, vous dans votre lit, moi sur une chaise, tenant vos mains, une dernière fois…

Votre demeure est là, désormais, à gauche, tout au fond de l’allée. Elle n'est pas difficile à trouver : c’est l’endroit le plus fleuri du cimetière.

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