Nouvelle noire
Vous m'avez tant manqué, je vous manque de si peu ! Nous voilà tout de même réunis, en quelque sorte. Qu'il en soit ainsi. On ne peut rien contre ce sale coup du destin.
Dire que nous aurions pu passer
notre vie ensemble ! Si seulement j'avais voulu… Nous aurions pu construire
quelque chose de fort, de grand, de beau, d’exceptionnel, n'est-ce pas ? Mais
j'ai refusé. De m'engager. Auprès de vous.
Vous veniez de finir vos études,
vous aviez commencé à travailler. Vous auriez vite une bonne situation ! Vous
vouliez fonder un foyer, vous installer, avoir des enfants… Et vous marier,
absolument.
Pour moi c'était trop tôt, nous
avions bien le temps ! Pourquoi précipiter les choses ? Pour vous, c'était une
preuve d’amour. Si je ne voulais pas, c'était parce que je ne vous aimais pas.
Vous m'avez lancé un ultimatum : le mariage avant la fin de l'année, ou bien…
Je n'ai pas supporté que vous me
mettiez ainsi au pied du mur. C'était cruel ! Alors j'ai fui. Pour ne pas avoir
à vous dire oui. À travers le pays, puis à travers le monde.
Où que j'aille, je pensais à
vous. Comment ne pas avoir de remords ? Mais m'aviez-vous vraiment laissé le
choix ? Si seulement vous aviez fait preuve de patience !
Un jour, j'ai su qu’il me fallait
rentrer. Au fil du temps, des expériences, j'avais mûri. Les voyages forment la
jeunesse, comme on dit ! J'allais vous retrouver, et ne plus vous quitter. Vous
étiez mon seul et mon unique amour ! Je voulais passer le reste de ma vie
avec vous !
Mais qu'est-ce que je croyais ?
Je débarquais comme ça, sans crier gare ? De quel droit vous déclarais-je une
flamme qui n'avait plus lieu d’être, après toutes ces années ? Sans vous donner
une seule nouvelle ? Loin des yeux, loin du cœur ! Vous aviez tourné la
page ! C'était trop tard ! Vous faisiez votre vie ! Depuis longtemps ! Sans
moi !
Moi, je n'ai jamais vraiment fait
la mienne. Une vie de solitaire n’est pas vraiment une vie. Je m’en rends
compte, à présent. Je n'ai jamais assumé mes responsabilités, de toute façon.
Si nous nous étions mariés, n'aurais-je pas fui tout de même, un jour ou
l’autre ?
J'ai repris les voyages, j'en ai
fait mon métier. Toujours en action, reportage sur reportage, dans des pays en
crise, en guerre, dévastés par les épidémies, les attentats, les catastrophes,
les cataclysmes… Il y a toujours eu de quoi faire, de par le monde. La misère
humaine…
L'heure de la retraite a sonné. À
peine le temps de me retourner, toutes ces années passées… Retour en France, à
mes racines, dans la propriété familiale. Priorité : vous retrouver. Vous ne
seriez plus en colère, après tout ce temps ! J’aurais tant voulu que vous me
pardonniez.
Nous aurions évoqué tant de
souvenirs… Vous m’auriez raconté vos joies, vos peines, les événements importants
de votre existence, votre famille, vos enfants, votre carrière professionnelle,
les mariages, les naissances…
Vous avez eu une vie heureuse,
n’est-ce pas ? C’était ce que vous souhaitiez, non ? Le bonheur conjugal, la
fidélité, la stabilité… Moi, je n'ai fait que vous chercher à travers tous ces
êtres fluets, sans personnalité, qui ont jalonné ma vie, ici ou là.
Je n'ai jamais pu vous oublier.
Je n'ai aimé que vous. Je peux bien vous le dire, aujourd'hui, et je vous le
dirai encore, chaque jour qu'il me restera à passer sur cette terre. Car je
vais revenir vous voir, vous savez ! Je ne vous lâche plus, maintenant. Vous me
revenez tard, c’est tout.
Si seulement je n’avais pas eu ce
fâcheux contretemps… J'aurais dû venir vous voir la semaine dernière, comme
nous en avions convenu tous les deux, au téléphone ! Nous aurions pu alors
bavarder en tête-à-tête, vous dans votre lit, moi sur une chaise, tenant vos
mains, une dernière fois…
Votre demeure est là, désormais, à
gauche, tout au fond de l’allée. Elle n'est pas difficile à trouver : c’est
l’endroit le plus fleuri du cimetière.
À lire aussi sur ce blog :
À lire aussi sur Hautetfort :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire