lundi 11 avril 2016

Un soir en discothèque

Trilogie de la quarantaine 1 sur 3

Décembre 2004

Elle retrouve Iso chez elle, à Paris. Elles ont décidé de sortir, toutes les deux, dans un lieu qu’elles n’ont pas encore défini. Elles se mettent d’accord : elles veulent aller danser. Et, pour changer, ailleurs qu’au New Riverside.

En ce soir doux pour la saison, elles ont l’esprit aventurier. La ville est grande ! Elles entament une recherche sur Internet et relèvent des adresses. Leur soirée se précise : elles iront d’abord au Point Éphémère, quai de Valmy. Plus tard, elles testeront la musique du Globo, boulevard de Strasbourg. Et puis… Elles verront bien.

Leur amitié dure depuis le lycée : plus de vingt ans, en somme. Leurs vies sont différentes, mais elles se retrouvent toujours sur une infinité de sujets de conversation. Elle aime venir chez Iso, Matt et Louise, leur petite fille de sept ans. Elle apprécie leur mode de vie assez peu conventionnel qui, pense-t-elle, lui conviendrait si elle vivait en couple. Ce soir, Matt ne sort pas et Louise dort chez une copine.

Elle vit seule, à 50 kilomètres de Paris. Elle aime son jardin, ses chats, ses balades à pied ou en VTT dans la campagne toute proche. Abonnée aux histoires courtes depuis de longues années, la vie en couple lui est totalement étrangère. Peu à peu, elle renonce à l’idée de la maternité. La solitude lui pèse, parfois. Mais elle y trouve aussi son compte. Elle a toujours été une solitaire. La liberté a ses revers. Ses rencontres de l’été dernier lui ont laissé d’agréables souvenirs, au demeurant.

Elle se confie à Iso, alors qu’elles boivent un verre au Point Éphémère, grand entrepôt aménagé, plein à craquer, traversé de sons électroniques. Les gens sont jeunes : pas plus de trente ans. Ce n’est pas ici qu’elle va rencontrer quelqu’un, pense-t-elle. Elles reboivent un verre, continuent à échanger sur leurs existences personnelles. Elles aiment faire le point ensemble, elles s’apportent mutuellement des idées.

Il est minuit et demi : l’heure de reprendre la voiture et de filer vers le Globo. Devant la porte, le thème de la soirée les dissuade d'entrer : zouk, collé serré... Leur esprit aventurier a trouvé ses limites. "Qu’est-ce qu’on fait ? J’ai envie de danser sur de la musique rock, pas toi ?" "Alors on va au New Riverside ? Allez hop, c’est parti !"

Elles sont étonnées de la facilité avec laquelle elles trouvent à se garer, boulevard Saint-Germain. La rue Grégoire de Tours est là, pas loin, ça y est, elles sont devant, elles entrent. La musique, leur parvenant du fond de la grande cave voûtée, parle tout de suite à leurs sens.

Elles se sourient. Ici, tout peut arriver. Passage obligé aux vestiaires. Des hommes, de leur âge, commencent à leur parler. Iso est très enjouée. Elle, elle reste en retrait, tout en jetant quand même un œil intéressé sur l’un d’eux, qu’elle trouve mignon.

Elle se dirige vers le bar, commande de l’alcool histoire de se chauffer, tout en prenant le temps d’embrasser du regard la gente masculine présente, avant d’aller danser.

Il y a toujours ce moment où elle a le déclic qui la pousse à rejoindre les danseurs sur la petite piste. Un rythme identifié, des sons de guitares familiers, une voix reconnaissable entre toutes, et la voilà partie, levant bras et jambes de façon cadencée.

Les hommes sont, dans l’ensemble, avenants, souriants ; certains se montrent un peu trop entreprenants. Elle reste sur la défensive. Elle finit son verre, recherchant l’ivresse qui lui fera perdre ses inhibitions, puis se lance à corps perdu dans la danse.

L’homme qui lui plaisait, tout à l’heure aux vestiaires, est en recherche effrénée de contacts avec toutes les femmes de la piste.

"Un dragueur de première, qui tire sur tout ce qui bouge", pense-t-elle en reculant, alors qu’il s’approche d’elle. Le genre de type à fuir à tout prix. Il revient à la charge, il veut lui parler, elle n’en a pas envie, elle bat en retraite vers le bar. L’alcool lui a fait suffisamment d’effets, elle demande un verre d’eau.

Il vient vers elle, tout sourire, et lui déclare, de but en blanc : "Je tenais à te dire que tu me plais et je voudrais savoir si je te plais aussi, ou si tu vas continuer à me fuir comme ça pendant toute la soirée." Elle est impressionnée par tant d’assurance, alors elle lui répond qu’elle ne sait pas encore, qu’il y a la beauté physique mais aussi la beauté de l’âme, que pour elle, c’est plus important…

Ils échangent quelques banalités, elle se laisse charmer ; après tout elle a toujours aimé la compagnie des beaux hommes et celui-ci est dans ses cordes. Cheveux châtains courts, visage bien dessiné, yeux bleus, sourire ravageur, tenue décontractée : jeans, chaussures de sport, tee-shirt imprimé, gilet près du corps, mettant en valeur des épaules et un torse athlétiques.

Qu'a-t-elle à perdre ? Il est venu vers elle, l’a fait sortir de ses retranchements. "Il est direct mais au moins, je sais que je lui plais" : ces pensées lui donnent de l’assurance. Ce soir, elle est en jupe droite noire, petit pull bleu turquoise cintré et collant rayés. Féminine et féline. Il lui propose d’aller danser. Elle accepte, joue l’effrontée : d’accord, mais sur des slows !

Tout de suite il la colle mais c’est trop tard pour reculer. Elle a ce qu’elle voulait, non ? Elle est venue ici pour quoi, exactement ? Pour danser sur la musique qu’elle aime, bien sûr, mais une petite voix lui souffle que c’est aussi, peut-être, pour rencontrer l’amour… Serait-ce possible avec cet homme qui la serre dans ses bras, qui la caresse si délicatement ? La petite voix lui recommande, quand même, de rester prudente.

Pour le moment, elle trouve la situation plutôt agréable. C’est si rare qu’elle accepte de se laisser faire, de danser si près d’un homme, et qui plus est, un inconnu. Elle se détend, place ses mains sur les épaules masculines rondes et fermes, tandis qu’il plaque les siennes sur ses hanches, l’invitant à se chalouper sur un hard rock plus qu’énervé. Le décalage entre leur rythme, à eux, et celui de la musique, la fait sourire. La situation l’amuse : autant en profiter !

Ils vont danser ainsi, longtemps, soudés l’un à l’autre, sur la piste bondée. Il ne fume pas, elle lui en fait la remarque, elle trouve ça bien. "Je suis sportif", lui confie-t-il. "Je m’entraîne pour des marathons, cela exige d’avoir une discipline de fer." Elle aime l’idée, s’autorise à penser qu’au lit, il doit être performant.

Il n’est pas venu seul : il est tard, ses amis veulent partir. Il lui demande son numéro de téléphone, il aimerait la revoir, elle accepte, ils vont vers le bar. Elle a des questions à lui poser, il faut le faire tout de suite, c’est la petite voix qui le lui suggère.

Elle lui lance, en affront : "Est-ce que tu es marié ?" Il lui dit non. "Tu as été marié ?" Encore un non. Elle continue sur sa lancée : "Tu as des enfants ?" Il lui répond : "Oui, un fils." Elle ose :"Quel âge a-t-il ?"

Sa réponse lui paraît totalement déplacée après ce qu’ils viennent de vivre sur la piste de danse : "Il a trois semaines, d’ailleurs, ce soir, avec les copains, on est venus ici pour fêter sa naissance, et…" Elle ne perd pas la face : "Et sa mère, elle te laisse tomber pour le bébé, en ce moment ? Alors tu cherches les câlins ailleurs ?"

Il lui dit non, que ce qui se passe avec elle, il ne l’avait pas prévu, il a vraiment envie de  la revoir. Elle lui dit qu’elle ne le croit pas. Il se débrouille pour trouver du papier et un crayon. Elle lui donne tout de même son fixe, mais elle n’est plus sûre du numéro. Ils discutent encore un peu, l’un près de l’autre. Elle l’embrasse sur les joues, il s’en va.

Elle retrouve Iso, qui l’invite à s’asseoir avec les gens qu’elle a rencontrés, de son côté, au cours de la soirée. Iso aime danser, discuter, s’amuser. Elle sait qu’elle prend des risques, à se laisser draguer. Mais sa vie avec Matt lui convient, elle ne compte pas en changer ; ils se sont même mariés, l’été dernier. Néanmoins, personne n’est à l’abri d’une faiblesse, d’une attirance incontrôlable pour quelqu’un d’autre…

Iso la questionne au sujet de son mystérieux cavalier : "Alors ?" Elle lui relate son aventure. En omettant la fin. Elle est un peu secouée par ce qu’elle vient de vivre. Aurait-elle été abusée ? La petite voix lui chantonne, sur un air de reproche, que la prochaine fois, les questions importantes, il faudra les poser avant.

Elle se lève, sourit à Iso et retourne danser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire