dimanche 10 avril 2016

Jeux d'écriture

Trilogie de la quarantaine 2 sur 3

Janvier 2005

J’avais beaucoup pensé à lui, ces derniers temps. Je m’étais lancée dans l’écriture et j’avais eu l’idée d’un texte où je le mettrais en scène. J’avais déjà écrit une dizaine de courts récits, qui associaient des moments marquants de ma vie aux musiques qui les avaient accompagnés. Mon idée, c’était de replacer la musique dans le contexte où elle avait eu de l’importance, d’en fixer le ressenti.

Cela m’obligeait à une introspection intense, parfois douloureuse ; je mettais à nu des blessures anciennes. Je pensais que ce mal était nécessaire, qu’il venait en prolongement de ma psychanalyse. Je venais d’arrêter les séances après cinq années passées sur le divan. L’écriture était venue ensuite, très rapidement. Elle en était l’aboutissement logique et j’avais du plaisir à écrire, à raconter, à décrire. J’aimais aussi beaucoup me relire.

J’ai ressorti une vieille cassette d’une de mes boîtes en plastique, celle que j’avais tant écoutée, avec lui, il y a plus de quinze ans. Je sentais que le moment était venu d’en écrire une histoire. J’étais, dans d’autres textes, remontée beaucoup plus loin, jusqu’à l’enfance. C’était, à chaque fois, une nouvelle expérience. Bientôt, je serais prête à lui consacrer du temps, à plonger dans les souvenirs de mes moments avec lui.

Je me mettrais à taper sur le clavier de mon ordinateur avec deux doigts, bille en tête, buvant des boissons chaudes, tirant lentement sur de petits joints. J’avais recommencé à fumer, alors que je savais pertinemment que je n’en avais pas besoin pour écrire. Il me semblait que le haschisch me permettait de saisir plus précisément les émotions passées : une excuse comme une autre pour me mettre dans cet état de torpeur qui me faisait plaisir, tout simplement.

J’ai passé de longues soirées sur mon texte ; je cherchais à le peaufiner, à l’affiner, à le rendre le plus exact possible. Je suis allée à la médiathèque pour vérifier la date d’un événement important qui avait eu lieu la nuit de notre rencontre. J’ai écouté la vieille cassette en boucle, je m’en suis imprégnée jusqu’à la moelle.

J’ai feuilleté l’un de mes gros albums photos pour revoir sa belle petite gueule de garçon de vingt-cinq ans. Mon texte a fait trois pages. J’y racontais les circonstances de notre rencontre à Paris, puis la curieuse relation qui avait suivi. J’avais toujours gardé l’intime conviction que j’étais passée à côté de quelque chose, avec lui. J’avais des regrets, ils étaient toujours là.

Il m’arrivait d’utiliser, sur Minitel, un service de recherche des abonnés au téléphone sur la France entière. Un jour, par curiosité, j’avais tapé son nom et son prénom et j’avais obtenu une réponse. Il habitait une ville du Gard. À ma dernière recherche, j’avais trouvé, accolé à son nom, un prénom féminin et un autre nom de famille. Il ne vivait plus seul, apparemment : j’avais eu de ses nouvelles, en quelque sorte.

Je n’avais aucune raison de lui téléphoner, pour quoi faire ? Il habitait là-bas, si loin ; maintenant il avait une compagne… Il avait une vie amoureuse, j’en étais heureuse pour lui. Moi, je restais solitaire, dans un studio avec jardin, avec mes chats. J’étais souvent tombée amoureuse, mais mes relations restaient, la plupart du temps, sans lendemain. Je ne me donnais jamais vraiment les moyens pour que ça change. Je savais pourtant, qu’un jour ou l’autre, je devrais prendre les choses en main. Pour le moment, j’écrivais. C’était, selon moi, une étape nécessaire.

Dans les jours qui ont suivi, j’ai encore relu et corrigé mon texte plusieurs fois. Puis l’idée s’est imposée que je devrais lui envoyer, là-bas, dans le Sud. Peu importe qu’il soit en couple, maintenant. Je voulais simplement qu’il sache que j’avais pensé à lui ; je souhaitais qu’il retrouve, en me lisant, les souvenirs qu’il avait en commun avec moi : un clin d’œil à la vie, aux choses qui restent.

J’avais terminé mon texte par une question qui lui était directement posée, employant volontairement le “tu”. Il aurait peut-être envie de me répondre, je trouvais ça amusant. J’ai tapé son nom et son prénom sur le service du Minitel, pour avoir son adresse, dans le Gard. Il y avait une réponse, mais le lieu avait changé. C’était dans mon département, à une quarantaine de kilomètres à peine de chez moi. Ne figuraient ni le nom ni le prénom de sa compagne du Sud.
                       
J’ai noté son adresse, son téléphone. Le lendemain, en revenant d’un déplacement professionnel, j’ai fait un détour, en voiture, par la ville où il habitait. C’était une banlieue triste, désolée, toute proche de la ligne RER. J’ai rapidement trouvé sa rue,  je suis passée devant son numéro.

Je me suis demandée ce qu’il pouvait bien faire par ici. Qu’avait-il bien pu se passer pour qu’il se retrouve là, dans cette petite maison accolée à d’autres, au crépi gris et sale ? Il y avait quand même un petit jardin. Pourquoi avait-il quitté le Gard pour venir vivre dans cette banlieue sinistre ?

J’ai refait le tour du pâté de maisons pour venir me garer juste un peu avant et j’ai marché jusqu’à chez lui. Tous les volets étaient fermés, il semblait n’y avoir personne. Je voulais en avoir le cœur net, vérifier quelque chose sur la boîte aux lettres. Je me suis approchée.

J’ai lu son nom et son prénom, sur une étiquette jaune. Au-dessous, le même nom, et un prénom féminin. Un prénom arabe, comme le sien. Je n’ai pas su quoi penser. Il s’était marié ? Avec une autre ? L’une de ses sœurs habitait avec lui ? Il avait eu une fille ? Je restais dans l’expectative, il me faudrait savoir.

La prochaine étape consisterait à lui téléphoner. J’avais une bonne raison de le faire : nous étions presque voisins ! Je voulais le revoir, savoir ce qu’il avait gardé de sa beauté gracile, en atteignant la quarantaine. Les années avaient-elles renforcé son charme ou l’avaient-elles flétri ?

L’idée de me retrouver bientôt en face de lui me donnait le vertige. Mais c’était bien plus facile d’y penser que d’agir. Je me demandais s’il était bien raisonnable de recontacter un ancien petit ami plus de quinze ans après.

Je me décidais à l’appeler, oui ou non ? J’étais déjà allée trop loin pour reculer. Il me fallait savoir, je me devais d’aller au bout de ma démarche. C’était le prix à payer pour que je puisse, d’une façon ou d’une autre, tourner enfin la page.

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