vendredi 15 avril 2016

Courrier du cœur

Lettre ouverte

Bonjour à vous,

Ne cherchez pas. Vous ne me connaissez pas. Je ne fais partie ni de votre famille, ni de vos amis. Vous ne m'avez jamais vue. Vous n'avez jamais fait attention à moi. Vous ignorez mon existence.

Je suis une femme quelconque, insignifiante. Vous ne saurez pas grand-chose à mon sujet. Simplement l'essentiel, juste ce que j'ai à vous dire. Je reste tapie dans l'ombre, bien à l'abri, derrière mon écran. Je tiens à rester anonyme.

Je ne recherche ni votre assentiment, ni votre sympathie, encore moins votre amour. J'ai ma propre famille, j'ai mes propres amis. Je n'ai pas besoin de vous, humainement parlant. Qu'avez-vous de vivant ?

J'ai du mal à concevoir que vous puissiez mener une existence "banale". De toute façon, cela m'intéresse peu. En matière de vie privée, vous avez toujours su faire preuve de discrétion, tant mieux. Peu m'importe qui vous aimez, où et comment vous vivez.

Moi, ce que j'aime chez vous, c'est votre musique. Celle que vous créez, sans faillir, depuis plus d'un quart de siècle. Oui, le temps passe ; on n'y peut rien ; mais vous, vous êtes toujours debout.

J'avais vingt ans à peine lorsque j'ai fait connaissance avec vous. Nous étions au début des années quatre-vingt, une nouvelle vague déferlait d'Angleterre, atteignait ma petite ville de province. Après le "no future" du punk, le spleen de la new wave.

J'ai immédiatement adhéré à cette musique froide, hivernale, à ces sonorités caverneuses, à ces voix d'outre-tombe. Tout cela parlait à mes sens, faisait battre mon coeur, m'allait droit à l'âme.

J'ai quitté mes tenues colorées, un brin baba, pour des vêtements plus sobres, de couleur noire. J'ai coupé et hérissé mes cheveux en touffe compacte, je me suis maquillée en conséquence : fond de teint pâle, yeux charbonneux, lèvres rouge sang.

J'ai changé d'amis, changé mes sorties, changé d'état d'esprit, changé de mode de vie. Alcools forts, stupéfiants, nuits blanches aux issues incertaines, petits matins troubles, angoisse du jour naissant…

J'étais une jeune femme tourmentée, peu sûre d'elle, traversée d'idées morbides. Votre musique accompagnait mes errances.

Pour la plupart des gens, la jeunesse reste la jeunesse et, passé un certain âge, tout rentre dans l'ordre. On oublie les folies, on stoppe les excès, on rentre chez soi, on fait des enfants. C'est légitime. C'est salutaire. Pour moi, les choses se sont passées autrement. Ou ne se sont pas passées. Peu importe. J'avais promis de ne vous dire que le minimum.

Votre musique fait partie intégrante de ma vie. Et si je vous ai fait des infidélités—le courant musical était suffisamment vaste, prolifique, créatif, pour laisser place à une multitude d'artistes—, vous avez toujours été au dessus du panier.

D'abord en termes de qualité : combien ont cherché, cherchent toujours à vous copier ! Personne n'a jamais réussi à vous égaler. En termes d'endurance : vous battez des records de longévité.

Vous continuez. Vous existez. L'inspiration ne vous lâche pas. Vos derniers disques sont aussi dignes d'intérêt que les premiers. Et en concert, vous dépotez !

Maîtrise, aplomb, maturité. Certes, vous avez changé. Certes, vous avez vieilli. Moi aussi, j'en suis là : c'est notre lot à tous, êtres humains faits de chair, de sang, de sentiments.

Pour mes comptes rendus de concert, je fais appel à ma mémoire, à mes cinq sens, à mon registre d'émotions. J'étais là, hier soir, bien entendu, pour votre seule date parisienne ! La scène reste un partage unique, privilégié.

Aujourd'hui, je suis allée sur votre site Internet pour vérifier une information que je voulais inclure dans mon article. Maintenant, avec l'ADSL… Tout va si vite, tout est accessible, le monde entier est à portée de main.

Évidemment, je ne me suis pas contentée de rechercher l'information qui m'intéressait, je suis restée des heures en ligne à tout explorer de fond en comble, à décortiquer les rubriques, à visionner de magnifiques photos d'archives. Du coup, mon compte rendu n'est pas fini et je suis en train de vous écrire.

J'ai besoin de vous dire ce que vous disent sans doute des milliers de fans : que je vous suis toujours fidèle et dévouée, que votre musique me fait du bien ; j'ajouterais beaucoup plus qu'à mes vingt ans.

Je veux vous remercier de continuer à jouer, de toujours innover, sans céder à la facilité. Qu'avez-vous à prouver ? Pourtant, vous vous surpassez !

Avec le recul, je réalise à quel point j'ai eu raison de vous aimer. Ce n'est pas vous qui m'avez rendue triste et mélancolique, cela préexistait chez moi depuis l'enfance. Peut-être, même, avant la naissance.

Votre musique a trouvé un terrain favorable pour s'implanter, vos textes ont trouvé écho en moi, alimenté mon vague à l'âme, nourri mes fantasmes, donné corps à mes obsessions…

Mais je ne suis plus la même femme, aujourd'hui. Le temps a passé et heureusement, je suis un peu plus sereine.

Toutes ces choses étaient au fond de moi depuis trop longtemps ! Je me sens plus légère, à présent. Je vais vous quitter et retourner à mon article. Oh, j'écris sans prétention aucune, à mes heures perdues, par amour de la musique.

Merci à vous.

Continuez à me faire plaisir, à m'étonner, à me surprendre.

Vous : le groupe parfait.

Cette entité indissociable, inaltérable, indestructible.

Restez ensemble, ne me décevez jamais.

Elizabeth

Texte déjà paru sur Hautetfort

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