Lettre ouverte
Bonjour à vous,
Ne cherchez pas. Vous ne me
connaissez pas. Je ne fais partie ni de votre famille, ni de vos amis. Vous ne
m'avez jamais vue. Vous n'avez jamais fait attention à moi. Vous ignorez mon
existence.
Je suis une femme quelconque,
insignifiante. Vous ne saurez pas grand-chose à mon sujet. Simplement
l'essentiel, juste ce que j'ai à vous dire. Je reste tapie dans l'ombre, bien à
l'abri, derrière mon écran. Je tiens à rester anonyme.
Je ne recherche ni votre
assentiment, ni votre sympathie, encore moins votre amour. J'ai ma propre
famille, j'ai mes propres amis. Je n'ai pas besoin de vous, humainement
parlant. Qu'avez-vous de vivant ?
J'ai du mal à concevoir que
vous puissiez mener une existence "banale". De toute façon, cela
m'intéresse peu. En matière de vie privée, vous avez toujours su faire preuve
de discrétion, tant mieux. Peu m'importe qui vous aimez, où et comment vous
vivez.
Moi, ce que j'aime chez vous,
c'est votre musique. Celle que vous créez, sans faillir, depuis plus d'un quart
de siècle. Oui, le temps passe ; on n'y peut rien ; mais vous, vous
êtes toujours debout.
J'avais vingt ans à peine
lorsque j'ai fait connaissance avec vous. Nous étions au début des années
quatre-vingt, une nouvelle vague déferlait d'Angleterre, atteignait ma petite
ville de province. Après le "no future" du punk, le spleen de la new
wave.
J'ai immédiatement adhéré à
cette musique froide, hivernale, à ces sonorités caverneuses, à ces voix
d'outre-tombe. Tout cela parlait à mes sens, faisait battre mon coeur, m'allait
droit à l'âme.
J'ai quitté mes tenues
colorées, un brin baba, pour des vêtements plus sobres, de couleur noire. J'ai
coupé et hérissé mes cheveux en touffe compacte, je me suis maquillée en
conséquence : fond de teint pâle, yeux charbonneux, lèvres rouge sang.
J'ai changé d'amis, changé mes
sorties, changé d'état d'esprit, changé de mode de vie. Alcools forts,
stupéfiants, nuits blanches aux issues incertaines, petits matins troubles,
angoisse du jour naissant…
J'étais une jeune femme
tourmentée, peu sûre d'elle, traversée d'idées morbides. Votre musique
accompagnait mes errances.
Pour la plupart des gens, la
jeunesse reste la jeunesse et, passé un certain âge, tout rentre dans l'ordre.
On oublie les folies, on stoppe les excès, on rentre chez soi, on fait des
enfants. C'est légitime. C'est salutaire. Pour moi, les choses se sont passées
autrement. Ou ne se sont pas passées. Peu importe. J'avais promis de ne vous
dire que le minimum.
Votre musique fait partie
intégrante de ma vie. Et si je vous ai fait des infidélités—le courant musical
était suffisamment vaste, prolifique, créatif, pour laisser place à une
multitude d'artistes—, vous avez toujours été au dessus du panier.
D'abord en termes de qualité :
combien ont cherché, cherchent toujours à vous copier ! Personne n'a jamais
réussi à vous égaler. En termes d'endurance : vous battez des records de
longévité.
Vous continuez. Vous existez.
L'inspiration ne vous lâche pas. Vos derniers disques sont aussi dignes
d'intérêt que les premiers. Et en concert, vous dépotez !
Maîtrise, aplomb, maturité.
Certes, vous avez changé. Certes, vous avez vieilli. Moi aussi, j'en suis là :
c'est notre lot à tous, êtres humains faits de chair, de sang, de sentiments.
Pour mes comptes rendus de
concert, je fais appel à ma mémoire, à mes cinq sens, à mon registre
d'émotions. J'étais là, hier soir, bien entendu, pour votre seule date
parisienne ! La scène reste un partage unique, privilégié.
Aujourd'hui, je suis allée sur
votre site Internet pour vérifier une information que je voulais inclure dans
mon article. Maintenant, avec l'ADSL… Tout va si vite, tout est accessible, le
monde entier est à portée de main.
Évidemment, je ne me suis pas
contentée de rechercher l'information qui m'intéressait, je suis restée des
heures en ligne à tout explorer de fond en comble, à décortiquer les rubriques,
à visionner de magnifiques photos d'archives. Du coup, mon compte rendu n'est
pas fini et je suis en train de vous écrire.
J'ai besoin de vous dire ce que
vous disent sans doute des milliers de fans : que je vous suis toujours fidèle
et dévouée, que votre musique me fait du bien ; j'ajouterais beaucoup plus qu'à
mes vingt ans.
Je veux vous remercier de
continuer à jouer, de toujours innover, sans céder à la facilité. Qu'avez-vous
à prouver ? Pourtant, vous vous surpassez !
Avec le recul, je réalise à
quel point j'ai eu raison de vous aimer. Ce n'est pas vous qui m'avez rendue
triste et mélancolique, cela préexistait chez moi depuis l'enfance. Peut-être,
même, avant la naissance.
Votre musique a trouvé un
terrain favorable pour s'implanter, vos textes ont trouvé écho en moi, alimenté
mon vague à l'âme, nourri mes fantasmes, donné corps à mes obsessions…
Mais je ne suis plus la même
femme, aujourd'hui. Le temps a passé et heureusement, je suis un peu plus
sereine.
Toutes ces choses étaient au
fond de moi depuis trop longtemps ! Je me sens plus légère, à présent. Je vais
vous quitter et retourner à mon article. Oh, j'écris sans prétention aucune, à
mes heures perdues, par amour de la musique.
Merci à vous.
Continuez à me faire plaisir, à
m'étonner, à me surprendre.
Vous : le groupe parfait.
Cette entité indissociable,
inaltérable, indestructible.
Restez ensemble, ne me décevez
jamais.
Elizabeth
Texte déjà paru sur Hautetfort
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