Souvenirs musicaux
Je l’avais noté dans mon carnet
depuis quelque temps. À la rubrique "Musiques", où se trouvaient
déjà : Nosfell (chanson étrange), Émilie Simon (trip hop, chanson), Avril
(prix Constantin 2002), Beth Gibbons, Carlos Nunez, Du Oud,
"L’imprudence" de Bashung, La Blanche (chanson française électro
pop), System of a Down (metal gothique)…
J’avais rajouté : Interpol (new
wave new-yorkaise). Je venais de lire un article qui présentait le groupe, puis
une critique de l’album. J'étais impatiente de connaître leur musique.
Étaient-ils vraiment bons, comme on avait bien voulu l’écrire ? Est-ce que
ça n’allait pas sentir un peu le réchauffé, leur histoire ? Avaient-ils
juste cherché à faire du neuf avec du vieux ?
La photo du groupe ne m’avait pas
laissée indifférente. Ils posaient tous les quatre en costumes sombres,
étriqués, la veste laissant apparaître un bout de cravate et une chemise unie.
Leur tenue était sobre, stricte, leurs mines mi-figue, mi-raisin. L’un d’eux,
le bassiste, à l’allure fluette, avait une mèche épaisse de cheveux noirs qui
lui mangeait une partie du visage. Le regard habité, il semblait tout droit
sorti d’une pochette de Kraftwerk ou de Marquis de Sade.
Le groupe affichait une apparence
vestimentaire très "années quatre-vingt" à laquelle j’étais toujours
sensible. J’aimais encore les gens en noir, les musiques douces-amères, les
états d’âme, l'introspection… Je n’en avais gardé que le meilleur. Enfin, je
crois. J’étais contente de savoir, qu’ici ou là, la new wave continuait à faire
parler d’elle.
Je continuais à en écouter, par
périodes ; je gravais sur CD les albums que je jugeais dignes d’intérêt.
Je m’étais constitué, au fil des années, une collection de compilations où je
pouvais retrouver des titres connus, sur lesquels j’aimais danser. La dernière
en date se composait de quatre disques et se nommait "Ultimate New
Wave". Depuis, je n’en avais pas racheté d’autres.
La médiathèque de la ville est
plutôt bien fournie en nouveautés, mais ils n’avaient pas encore Interpol quand
je l’ai demandé. Tant pis, je suis passée à autre chose… Un jour, à la fin du
mois d’août 2003, je suis allée faire les boutiques dans un grand centre
commercial, pas très loin de chez moi. Il pleuvait depuis le matin, il faisait
gris et froid ; de quoi donner le cafard, juste avant la rentrée des
classes.
Pas question de céder à la
morosité, de sombrer dans l'inertie ! Comme il fait toujours beau, dans
les galeries des centres commerciaux, je suis venue y chercher les lumières
vives. La chaleur, même artificielle, me ferait du bien. Je pourrais me faire
plaisir, m'acheter quelque chose…
Après avoir visité quelques
magasins de vêtements où je n’ai rien trouvé d’intéressant, je me suis dirigée
vers l’entrée du "marchand de produits culturels" et j’ai foncé droit
vers les rayons disques. J’avais envie de m’abreuver, de boire à la source.
J’ai enchaîné les bornes d’écoute, les unes après les autres.
Au bout du compte, rien ne
m’enchantait vraiment. Je n'arrivais pas à accrocher, ni sur une musique, ni
sur une autre. Tout me semblait fade, je n'avais le goût à rien. J’avais passé
l’été seule, mon dernier petit ami en date m’avait quittée début juillet. La
perspective de la rentrée, du retour au quotidien avec ses lourdeurs, ne
m’enchantait guère. Je ne parvenais pas à apprécier quoi que ce soit,
musicalement et autre. Ce n’était pas mon jour.
Avant de partir, je suis passée
au rayon "rock indépendant". Et là
j'ai vu l'album à la pochette noire et rouge, avec ses petites lampes
rondes, bien alignées : j'ai pensé au pont d’un bateau, la coursive d’une
usine, les feux de la rampe d’un théâtre, ou ceux d’un cinéma… Un rectangle
approximatif, de la couleur du sang, semblait flotter au milieu d’une obscurité
profonde. Les lampes l’éclairaient comme une scène, mais la scène était vide.
Le nom du groupe et le titre de
l’album, "Turn on the Bright Lights", étaient écrits sobrement, en
blanc et en gris. J’ai retourné le carré de plastique : la même photo était
représentée, mais cette fois-ci en noir et blanc. La scène était grise, les
lumières y brillaient plus fort.
J'aimais le côté ferme, glacial,
définitif, de la plupart des titres : "Untitled. Obstacle 1.
NYC. PDA. Say Hello to the Angels. Hands Away. Obstacle 2. Stella was a diver
and she was always down. Roland. The New. Leif Erikson." Je me suis dit
que l’occasion était venue d’écouter Interpol : j’ai pris la direction des
caisses et j’ai sorti ma carte bancaire.
"Turn on the Bright
Lights" a rejoint la pile de mes disques préférés, il ne risque pas d’en
bouger. Tout est dit dans ce jeu de batterie lourd et puissant, ces notes
entêtantes de guitare, ces riffs graves, saturés, ce chant à fleur de peau et
cette basse, impitoyablement efficace.
Évidemment, je ne peux pas m’empêcher
de penser à tous ces groupes de référence qui ont largement inspiré les jeunes
Américains. Ceux que je connais, du moins. J’y retrouve les accents d’Echo and
the Bunnymen, des Smiths, d’Orchestre Rouge, de Bauhaus, de REM et bien sûr,
Joy Division…
Les gars d'Interpol ressuscitent
avec un certain panache l'univers musical des années quatre-vingt, leurs
compositions restent originales, personnelles. C’est presque mieux. Cette fois
c’est sûr, à la fin du mois, je fonce acheter le deuxième album. Les critiques
sont toujours aussi engageantes ; il semblerait même qu'"Antics" soit
encore plus réussi. Que la lumière soit.
À lire sur ce blog :
(Trois concerts de Jad Wio, Minimal Compact 1988, Jamais dans le cadre, De JS Bach à Joy Division, Charlélie Couture, Supertramp, Food for Thought, Clan of Xymox, Bossanova…)
À lire aussi sur Hautetfort :
(Le secret de Patrice, Impasse du Levant, Laure aimait la vie)
(La veillée, Révélation, La maison)
(Enola Gay, Blood Sugar Sex Magik, Faith, Is this Love, Rodolphe Burger à l’île de Batz, Angie, The Needle and the Damage Done, Pyromane, London Calling, Perfect Kiss, Exposition, Christian Death le 1er novembre 1988)
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