De sa vie d'avant, il n'avait
gardé que bien peu de choses. Le reste, on le lui avait pris, on le lui avait
volé ; il l'avait vendu, il l'avait donné, il l'avait jeté ; il l'avait
abandonné sur le trottoir.
Plus il était allé loin dans la
dégringolade, plus il avait perdu ce sentiment d'appartenance vis-à-vis des
objets. Contraint, forcé, au pied du mur, il avait bien été obligé de lâcher du
lest.
Maintenant, du "matériel",
il ne lui restait rien ou presque, si peu. Où était l'essentiel ? Dans ses bons
jours, il se disait qu'en perdant tout, il avait gagné au moins une chose : la
liberté.
Il se sentait libre comme l'air,
comme il ne l'avait jamais été. Mais l'air, ces derniers temps, se faisait
froid et rendait ses nuits pénibles, plus difficiles.
Il fixa un à un ses objets, les
derniers qui lui restaient, ceux qu'on ne lui enlèverait pour rien au monde,
qu'il garderait toujours avec lui. Il les avait étalés sur son duvet, comme
chaque soir avant de s'endormir, ou de se reposer, au moins.
Ces objets le réconfortaient, lui
donnaient la sensation d'être quelqu'un, d'avoir eu une vie d'homme. Une vraie
vie. Du moins, la vie d'avant, quand tout allait bien, ou semblait aller bien.
Une vie acceptable, socialement parlant.
Étaient réunis là, sous ses yeux,
quelques vestiges de son existence :
- un vieil agenda d'une année
canonique, la dernière où il avait eu un emploi "à responsabilités",
- un stylo à bille presque vide,
il ne savait plus pourquoi il tenait tant à le conserver,
- un foulard qui avait appartenu
à sa femme, quand elle était encore amoureuse de lui, avant qu'elle s'en aille,
qu'elle disparaisse sans laisser d'adresse,
- une petite maquette de bateau à
voiles qu'il avait assemblée et peinte, enfant, avec son père,
- cette lunette d'astronomie qui
lui venait de son grand-père, avec lequel il avait appris à décoder les
mystères du ciel.
Le goût de dormir à la belle
étoile lui venait de là, de son enfance, de ses vacances chez ses
grands-parents, au grand air, à la campagne ; de ces nuits claires où il
observait la voûte céleste, où il contemplait la voie lactée avec
émerveillement.
Il avait été un petit garçon
sage, curieux de tout, cherchant à faire plaisir, appréciant la compagnie des
adultes, aimant lire, dessiner, fabriquer, construire, inventer, rêver.
Dans sa jeunesse, il avait
beaucoup voyagé. Dès qu'il pouvait, quand il avait suffisamment de sous en
poche, il partait à l'aventure, à la découverte du monde, avec son sac à dos et
sa tente canadienne.
Il ne s'était jamais séparé de
son matériel de camping. Il avait bien failli s'en débarrasser quand il avait
déménagé pour aller habiter ce joli pavillon qu'ils s'étaient fait construire,
lui et sa femme. Puis il s'était dit qu'il s'en resservirait peut-être un
jour ; ça ne coûtait rien de tout garder, il y avait de la place dans le
grenier ! Il avait bien fait.
C'est sous sa vieille toile de
tente, résistante, imperméable, juste un peu rafistolée, qu'il dormait
aujourd'hui ; c'est dans ce sac à dos, solide et confortable, qu'il
transportait ses maigres affaires.
Il était loin derrière, le temps
des vacances et des grands voyages ! À la fin de l'automne, après les dernières
vendanges, son périple s'était—pour le moment—arrêté ici : sur cette pelouse,
en pleine ville, avec d'autres compagnons d'infortune, piètres campeurs, comme
lui.
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