Trilogie hivernale : 2/3
28 décembre
Ça y est j'y suis, dans
l'Eurostar, avec une heure de retard (tu sais pourquoi), mais j'y suis tout de
même. Il est neuf heures et quart, j'arriverai à Londres dans deux heures et
demie à peine. C'est bizarre de partir ainsi, ce n'est pas ça qui était au
programme. Quand je foulerai les quais de la gare Saint-Pancras, la grosse
pendule ronde affichera dix heures quarante. J'aurai gagné une heure sur ma
première journée de tourisme londonien.
29 décembre
Je ne savais pas vraiment où se
trouvait, dans Londres, la gare Saint-Pancras, ni à quelle distance elle était
de l'hôtel où je devais me rendre… La fois précédente, j'étais descendue à
Waterloo Station. Mais c'était il y a dix ans ! Les choses se sont avérées
très simples, à l'arrivée. Earl's Court se trouvait sur la Piccadilly Line,
c'était direct depuis la gare, une dizaine de stations… J'y ai été très vite.
Ça n'a pas été difficile non plus de trouver l'hôtel, j'ai juste tourné un peu,
j'orientais mal le plan. Eardley Crescent y était bien indiquée, mais de quel
côté ? J'ai fini par trouver. Quartier résidentiel, rues en courbe,
pavées, maisons blanches en enfilade…
Le Boka Hotel est à deux pas de
la grande salle de spectacle, la bien nommée Earl's Court. On est pile devant
quand on sort du métro. J'ai pris une photo, hier, en arrivant. La chambre que
l'on m'a donnée comporte trois lits, j'ai trouvé ça étonnant, mais je n'ai rien
dit. La réservation avait bien été faite, c'était le principal, on m'avait
donné la clé du 202…
À l'entrée, il y a une petite
cuisine, un réfrigérateur, une bouilloire, une corbeille avec du thé, du café
en poudre, du sucre, de la crème… Les Anglais ont le sens de l'hospitalité. Je
dois dire que j'ai vraiment été bien accueillie, dans cet hôtel. J'ai passé une
bonne nuit. Le breakfast, ce matin, était typiquement anglais, bien consistant.
J'ai mangé avec appétit ! Café noir, toasts, beurre, confiture, lait,
sucre, corn-flakes, assiette chaude avec oeufs, bacon, saucisse et beans… J'ai
rajouté du ketchup. Un régal !
Hier en arrivant, je me suis
donné du temps pour prendre possession des lieux, ouvrir mon sac de voyage, en
sortir quelques affaires… Dans le train, j'avais déjà pris pleinement
conscience de la situation. À l'hôtel, les choses se concrétisaient. J'étais
déterminée à passer tout de même un agréable séjour, c'était prévu depuis
longtemps, j'avais payé pour ça. Je n'avais pas voulu renoncer à mes vacances,
j'en prenais mon parti, qu'il en soit ainsi. Mon objectif de l'après-midi
était, en partant de l'hôtel, d'aller à pied, à l'aventure, à travers les rues
de Londres. J'avais déniché dans le hall un plan gratuit du centre, assez
détaillé, donnant les grands axes, des repères touristiques…
Quand je suis sortie, il n'était
qu'une heure et demie de l'après-midi, le soleil brillait faiblement certes,
mais il brillait. Le ciel était bleu, il faisait frais, l'air était pur… Un
beau temps d'hiver. J'avais envie d'aller vers la Tamise, il me suffirait de
continuer tout droit depuis Warwick Road, d'enchaîner les rues, selon mon
inspiration…
J'ai commencé par visiter un
cimetière, le Brompton Cemetery. Il m'attirait, de loin. La lumière y était
déjà rasante, orangée, il y avait toutes ces vieilles pierres tombales fichées dans
l'herbe, ces grands arbres, cette végétation un peu sauvage, des buissons, des
broussailles… Un cimetière à l'anglaise, avec une grande allée principale que
les gens empruntaient à pied, à vélo, d'autres même s'entraînaient à la course.
Il y avait des bancs pour s'asseoir, l'ambiance était comme celle d'un parc.
J'y ai vu mes premiers écureuils gris.
J'ai marché jusque Victoria
Station, un bon bout depuis Chelsey ! J'ai pu voir en chemin la Batter Sea
Power station, je l'ai prise en photo de façon de plus en plus détaillée au fur
et à mesure que je m'avançais, le long de la Tamise. J'ai visité Westminster
Cathedral, je me suis dirigée, depuis Victoria Road, vers Westminster Abbey.
J'ai vu le Parlement, Big Ben, j'ai traversé le Westminster Bridge… La nuit
tombait, la lune se levait, les monuments s'allumaient, il n'était même pas
quatre heures.
J'ai poussé jusqu'à Buckingham
Palace, en passant par Saint-James's Park. J'ai voulu monter vers Piccadilly
Circus, mais je me suis un peu paumée, me retrouvant dans le quartier luxueux
de Mayfair. J'aime les jeux de piste alors, le plan à la main, je me suis fait
une joie de retrouver mon chemin. Il y avait du monde, sur Regent Street. Je me
suis sentie fatiguée, d'un coup. Mes pieds me faisaient mal, j'avais beaucoup
marché ! J'en avais bien profité, il était temps de rentrer.
Je suis allée dans un supermarché
Boot's faire des emplettes pour mon repas du soir. Une salade aux pâtes avec du
poulet épicé, un yaourt aux fruits rouges et aux céréales, des barres Cadbury
chocolatées, au caramel et aux fruits secs, des en-cas énergétiques pour le
lendemain… Je n'allais pas me laisser abattre. À l'hôtel, j'ai mangé sur l'un
des lits en regardant la télé, zappant d'une chaîne à l'autre. Je me suis fait
un thé au lait, la bouilloire me tendait les bras ! Je me suis couchée
tôt, endormie tôt, bercée par les dialogues insipides d'une mauvaise série
britannique.
La météo prévoyait de la pluie
aujourd'hui. Elle tombe sans arrêt, depuis ce matin. J'en profite pour visiter
la Tate Britain, de fond en comble (ou presque)… Il y a dix ans, quand j'y
étais venue, elle se nommait la Tate Gallery. La Tate Britain, c'est plus
évocateur : n'y sont exposés que des artistes anglais, des plus anciens
aux plus contemporains… J'ai revu avec plaisir les toiles des préraphaélites,
et tant et tant d'autres encore, quel émerveillement ! J'ai beaucoup aimé
les portraits féminins de John Singer Sargent et ceux de Thomas Lawrence, leurs
œuvres mises en perspective dans une salle qui leur est consacrée.
J'ai acheté quelques cartes
postales, dont deux de Dante Gabriel Rossetti : "Beata Beatrix"
et "The Beloved (The Bride)", de saisissants portraits de femmes. Là,
je fais une longue pause au Café Tate, je bois du thé sucré, j'ai mangé un
cookie au chocolat, des barres aux céréales… Il me faut des forces avant
d'attaquer l'exposition permanente consacrée à JHW Turner, et puis l'autre, la
temporaire : "Turner and the Masters", que je tiens à tout prix
à voir. Pour les salles modernes et contemporaines, je reviendrai un autre
jour. Je suis là pour visiter Londres, arpenter ses rues, aller dans ses
musées… Demain, ce sera la National Gallery.
30 décembre
"The weather is damp and
grey." Ce n'est pas moi qui le dis, mais la BBC. J'ai bien
"petit-déjeuné" ce matin à l'hôtel, dans la salle en sous-sol, niveau
moins un. C'est chaleureux, juste ce qu'il faut pour que je me sente bien.
Maintenant je suis assise à une table du National Café, je suis venue recharger
mes batteries avant de continuer ma visite. De là où je suis, je vois la statue
de Napoléon, sur Trafalgar Square, noyée dans la grisaille. Je bois un thé Earl
Grey sucré, avec du lait, servi dans un grand gobelet en carton recyclable. Je
me délecte de sucreries : tarte au citron, barres aux céréales… Ça fait du
bien au moral !
La National Gallery est immense,
un vrai labyrinthe, il faut prendre du temps pour s'y repérer. J'avais décidé
d'arpenter les salles dans l'ordre chronologique, des œuvres les plus anciennes
(treizième siècle) jusqu'aux plus récentes, début vingtième (les
impressionnistes). Là encore, un vrai jeu de piste ! Ça en vaut la
chandelle, j'en prends plein la vue, je me régale, vraiment ! Ce qu'il
m'en restera après ? Peu m'importe. Je prends des notes…
Ce qui compte, c'est ce que j'éprouve
sur l'instant, ce sont ces émotions qui jaillissent devant une toile, puis
devant une autre, une autre encore… La collection est époustouflante, il y a là
des chefs d'oeuvre provenant de l'Europe entière, le choc esthétique est
présent en permanence… Et je n'ai pas encore tout vu ! J'ai parcouru avec
plaisir les salles consacrées à la peinture hollandaise, ça m'a rappelé des
souvenirs. Cet après-midi, je ne veux pas louper celle des peintres
espagnols : Vélasquez, El Greco, Goya, Murillo…
Hier, après la Tate Britain, j'ai
pris un bateau reliant Millbank à Bankside (proche de la Tate Modern),
m'offrant ainsi une belle petite balade nocturne. Si, à cette heure avancée de
la journée, je n'allais pas retourner au musée, j'étais partante pour une bonne
marche, l'idée étant d'aller jusqu'au Tower Bridge en suivant la Tamise, de le
traverser pour rejoindre London Tower… Il avait plu sans discontinuer, il
pleuvait encore, bien dru, mais ce n'était pas grave, j'étais correctement
chaussée, bien équipée.
Vers dix-neuf heures, mes pieds
ont déclaré forfait. Cette fois-ci j'ai fait mes courses dans un Tesco :
une nouvelle salade de pâtes, un yaourt au citron, du cheddar aux piments, des
petits pains, du chocolat Cadbury… J'ai acheté aussi du "lemon curd"
et de la "marmalade" pour rapporter chez moi. À la télé, je suis
tombée sur des épisodes de "Cold Case", en version originale,
évidemment : un épisode inédit, un autre que j'avais déjà vu. Ce n'était
pas très difficile à comprendre.
31 décembre
Hier soir, après mon cours
d'histoire de l'art grandeur nature à la National Gallery (il faisait déjà
nuit), j'ai décidé d'aller à Covent Garden repérer des boutiques, peut-être
faire des achats. Chez Fred Perry, ce n'était que dévastation, quelques polos
se battaient en duel ici ou là. Même en soldes, ça ne me faisait pas envie.
L'adresse que j'avais, pour les
Dr. Martens, n'était plus valable : c'est devenu un magasin de vêtements.
J'ai très bien reconnu l'immeuble, sur King's Street, près du marché couvert,
où j'avais acheté, dix ans plus tôt, ces grosses chaussures rouges, à la
semelle épaisse, que j'ai finalement peu mises. Chez Camper non plus je n'ai
rien trouvé d'exceptionnel. Et puis ce monde, ce monde grouillant, parlant
toutes les langues de la terre… Je me suis repliée vers un Marks & Spencer,
j'y ai vu quelques articles intéressants : chaussettes, collants,
écharpes… J'y retourne tout à l'heure, dans l'après-midi. Demain, ça sera
fermé.
Pour l'heure, je domine la
Tamise, face à Saint-Paul's Cathedral, du haut du bar-restaurant de la Tate
Modern, au septième étage. Le temps est nuageux, mais il ne pleut pas. Je bois
un Darjeeling, en feuilles, infusé en théière, dans une "vraie"
tasse. Je le trouve excellent, il a une belle couleur ambrée… Je n'ai pas mis
de lait, juste du sucre brun. Je crois que je le préfère à l’Earl Grey. Ce
matin, j'ai goûté à l'art contemporain, à commencer par l'installation
"How is it" de Miroslaw Balka. Je suis entrée dans un container géant
où j'ai fait l'expérience de l'obscurité, testant mes sensations face à
l'inconnu… Finalement, je suis quelqu'un qui va de l'avant, qui ose affronter
les choses à l'aveuglette, bravant les peurs, sans reculer.
Ensuite, j'ai choisi de visiter
l'exposition "Pop Life : Art in a Material World". J'y ai pris
mon temps, pour ne pas juste "survoler", sinon à quoi bon ? J'ai
découvert qu'Andy Warhol avait joué (son propre rôle) dans l'épisode 200 de
"Love Boat" (oui, "La Croisière s'amuse" !), ça m'a
bien amusée d'en visionner des extraits. Jeff Koons est plutôt bel homme, je ne
savais pas, ses exhibitions "Made in Heaven" avec la Cicciolina m'ont
laissé rêveuse…
"Les Nazis" de Piotr
Uklanski (où l'on voit une quantité impressionnante de photos d'acteurs ayant
joué le rôle d'un Nazi) pose question. J'ai trouvé très drôle l'affiche de
l'office de tourisme polonais sur laquelle un plombier très sexy dit :
"Je reste en Pologne, venez nombreux." Il y avait de la bonne musique
dans la boutique (refaite à l'identique) de Keith Haring. J'y ai acheté deux
badges. Pour finir, j'ai découvert l'œuvre hallucinante de l'artiste japonais
Takashi Murakami (né en 1963), sa vaste entreprise, dans tous les sens du
terme. Tant pis pour les cubistes, les surréalistes, le mouvement Arte Povera,
les contemporains… Je reviendrai !
L'après-midi est déjà bien
entamé, je vais quitter mon poste d'observation et continuer mon exploration
pédestre des quartiers de Londres. D'abord aller vers le Nord, en direction du
Museum of London, du Wall of London, de Barbican… Puis je prendrai des rues
vers l'Ouest, pour retrouver les quartiers de shopping. Je veux m'acheter
quelques bricoles, faire deux ou trois cadeaux, je dois penser à mon repas (de
réveillon). Salade de pâtes, avec fruits de mer ou saumon ? Un yaourt au
citron ? Du chocolat Cadbury ? De quoi ai-je envie ? Pour
changer, j'irai dans un supermarché Sainsbury's. Tu te doutes bien que ce soir,
je ne fais pas la noce. Je ne vais ni au pub, ni au restau, je resterai juste
un peu plus tard dans les rues… J'irai peut-être à Leicester Square ?
C'est réputé, pour les cinémas.
1er janvier
Déjà le train du retour, mon
Eurostar est parti à seize heures vingt-cinq, je serai à Paris gare du Nord à
dix-neuf heures quarante-sept (j'aurai alors avancé ma montre d'une heure).
Pour mon dernier jour à Londres, j'avais décidé d'une balade à Regent's Park,
pas loin (pour qui aime marcher) de la gare Saint-Pancras. L'intérêt, c'est que
je pouvais déposer mon sac de voyage à la consigne et partir librement me
promener.
Il y avait du soleil, un vent
froid soufflait et il avait neigé ! Je ne m'en suis rendu compte qu'en
arrivant aux abords de Regent's Park, c'était blanc partout. Quelle
surprise ! J'y ai fait un grand tour, l'étang était gelé, de bonnes âmes
nourrissaient moult volatiles, oies, canards, mouettes, pigeons… C'était joli,
cette nature en pleine ville, avec ses teintes hivernales. Près du London Zoo,
sur une pelouse à perte de vue, des gens jouaient avec leur chien, les
faisaient courir, rattraper la balle. Sur les chemins goudronnés, il y avait
des familles, des enfants, des poussettes, des couples ou des amis, de tous les
âges. Majoritairement des Anglais, m'a-t-il semblé. Tout ce petit monde
semblait ravi par tant de merveilles, avait plaisir à être là.
Vers midi et demie, j'ai eu faim,
un peu froid. Une halte s'imposait ! Une petite auberge nommée "The
Honest Sausage" m'est apparue, à un tournant… J'étais sauvée ! Après
avoir commandé un thé (un Earl Grey, ils n'avaient pas de Darjeeling), j'ai pu
m'asseoir à l'intérieur. Il faisait bon, c'était rustique, le soleil y entrait
par ses rayons obliques, dehors la neige scintillait sous un ciel bleu très
pur. La radio diffusait de la musique classique… Un moment de grâce, calme et
serein.
L'après-midi, j'ai continué à
marcher, me rapprochant de la gare en suivant de petites rues transversales à
Euston Road, laissant derrière moi la grande tour cylindrique (Telecom Tower)
qui affichait le message : "Happy New Year". Je suis passée devant le
British Museum (il était fermé), les hauts bâtiments de l'University College,
le grand hôtel Russell… Je regardais ma montre de plus en plus souvent, l'heure
tournait. Bientôt, il me faudrait récupérer mon sac à la consigne, dépenser mes
dernières livres Sterling, passer les douanes, patienter dans la salle d'enregistrement…
Retour à la case départ. J'occupe
la place 28, côté fenêtre, en première classe. Il n'y a personne à côté de moi,
et pour cause. C'est le fauteuil que tu aurais dû avoir. J'ai eu parfois les
yeux humides, au cours de ces cinq jours à Londres. J'ai même pleuré, une ou
deux fois, à l'hôtel. Mais je ne regrette pas ce que j'ai fait. Je reviens de
Londres avec des ampoules aux pieds, une boîte de cinquante sachets de
Darjeeling, cent soixante-dix-huit photos en souvenir, l'envie de réécouter les
Beatles (mais pas en version remasterisée).
Voir aussi les photos, sur ce blog, de Welcome London !
Voir aussi les photos, sur ce blog, de Welcome London !
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