Souvenirs musicaux
La pochette de l’album était en
noir et blanc. Sur chacune des faces figurait un grand carré noir, traversé de
petits traits blancs à l’horizontale et à la verticale. En haut à gauche, en
noir sur blanc, apparaissait le nom du groupe, avec ce jeu de mots
insolite : Charles De Goal. Il y avait le logo du label : New Rose.
L’album s’appelait "Algorythmes", avec ce y à la place du i.
"Exposition" était le premier titre de la face 1.
Ça commençait par une longue
nappe de synthé, dont le son allait en augmentant, au fur et à mesure que se
greffaient de petits bruits étranges. Arrivaient ensuite la pulsation d’une
boîte à rythmes, l’introduction à la guitare, reprise par la basse, puis le
chant, en français. La voix grave, hautaine, mystérieuse, attaquait par ces
mots : "Rideau tiré sur le carreau cassé, protéger mon intimité, empêcher
tous ces regards fixés sur cette pièce aux murs immaculés…"
J’ai découvert
"Algorythmes" au cours d'une soirée à Paris, en 1986. Un choc profond,
qui m'a conduite à acheter l'album dès le lendemain et à me le passer en boucle
des jours entiers. J’adhérais totalement à cette musique froide, basique,
minimale, qui me correspondait si bien. La cerise sur le gâteau, c’étaient des
textes superbement écrits, jouant subtilement avec les mots, distillant un
humour très corrosif, noir, parfois cruel.
Je ressentais très fort cette
façon d’écrire, d’aborder des sujets sombres, violents, désespérés, dans une
langue poétique rigoureusement maniée. Le style musical, brut, sauvage,
dépouillé, à la technologie glacée, était parfaitement maîtrisé, créant une
atmosphère propre au contenu des textes.
Mais qui jouait dans Charles De
Goal ? Sur la pochette d'"Algorythmes", rien n'était précisé. À la
boutique New Rose, rue Pierre-Sarrazin, quartier Saint-Michel, j’ai trouvé
d’autres disques, on m'a dit que Charles De Goal était une seule et unique
personne. Sur les albums, il était à la fois au chant, à la basse, aux synthés,
aux programmations rythmiques. J’ai compris pourquoi il y avait une symbiose si
forte entre les textes et la musique.
Est sorti l'album "Double
Face". Là encore, le noir et le blanc prédominaient sur la pochette. On y
voyait un buste massif, présentant, à la manière d’une planche de Rorschach, un
seul œil au milieu d’une ébauche de visage. Au verso, deux petites photos
carrées : sur chacune un visage, en partie dissimulé par des ombres.
On entendait souvent "Nuit
Noire" sur Ouï FM et Radio 7. Moi, celle que je préférais, c’était
"ICO". Je suis allée, avec mon frère, au concert du Rex Club. Sur la
scène, les éclairages étaient si sombres que je n’ai eu qu’une vision floue de
sa personne. D'autant plus que je suis restée loin derrière. Peut-être ne
voulais-je pas savoir ?
J’écrivais, à ce moment-là, des
textes entre chanson et poésie. Je m’essayais, moi aussi, à décrire des décors,
des ambiances, sans tout dévoiler, dans la nuance. Je recherchais une écriture
précise et aiguisée. Comme Charles De Goal, je voulais dire les choses sans les
nommer ; susciter, chez le lecteur, des interrogations.
Dans le trio que j’avais formé
avec mon frère et un copain, j'ai mis mes textes en musique. Nous utilisions
une boîte à rythmes, des claviers et une basse. Je chantais. L’absence de
guitare, la prédominance des claviers, la basse omniprésente et méthodique, les
battements sans faille de la machine, donnaient à l’ensemble une tonalité
glaciale, chirurgicale. Nous nous sommes appelés Otto Matik. C’était le
personnage, énigmatique, de l’une de mes chansons. Une référence au
"maître", en quelque sorte.
J’ai arrêté la musique, j’ai
continué à écrire, n'en finissant jamais d'écouter Charles De Goal et de le
faire connaître, toujours plus, autour de moi.
Un jour, chez un disquaire, dans
les bacs "rock français", je suis tombée sur un petit carré de
plastique reproduisant la pochette graphique d’"Algorythmes". Sur le
CD, il y avait aussi "Ici l’Ombre", le seul album que je n’avais pas
en vinyle ! Le disque démarrait sur "Exposition", on retrouvait
le sigle de New Rose, mais la boutique n’existait plus, rue Pierre-Sarrazin.
Charles De Goal est à l’honneur
sur mes platines, de temps à autre. Je regrette sincèrement l’avoir manqué au
Sentier des Halles, il y a quelques années. Je m’étais dit qu’il allait
sûrement sortir un album, qu’il repasserait plus tard, que j’irais à ce
moment-là…
Je n’aurais pas dû hésiter : il
n’y a eu, du moins pas à ma connaissance, d’autres concerts parisiens. Sa
musique était trop pointue, peut-être ? Inclassable, finalement.
Charles De Goal est un pionnier,
une référence incontournable du courant électro rock hexagonal des années
quatre-vingt. Pourquoi s'est-il arrêté ? Que fait-il aujourd’hui ?
Trouve-t-on encore dans les bacs, en 2005, la musique de Charles De Goal ?
En 2016, Charles De Goal fait
toujours parler de lui. Je me suis fait groupie, année après année. Depuis ce concert
refondateur inattendu à la Flèche d’Or, le 9 mars 2006.
En 2016, le Général en personne,
Patrick Blain, se laisse à évoquer en profondeur ses expériences, ses souvenirs,
ses conceptions de la musique…, dans une passionnante interview de Warren Bismuth & John Hirsute, à lire ici sans
hésiter :
Texte paru précédemment sur
Hautetfort :
À lire sur ce blog :
(Trois concerts de Jad Wio, Minimal Compact 1988, Jamais dans le cadre, De JS Bach à Joy Division, Charlélie Couture, Supertramp, Food for Thought, Clan of Xymox, Bossanova, Turn on the Bright Lights, Yeah, Nevermind, The Deep End…)
À lire aussi sur Hautetfort :
(Le secret de Patrice, Impasse du Levant, Laure aimait la vie)
(La veillée, Révélation, La maison)
(Enola Gay, Blood Sugar Sex Magik, Faith, Is this Love, Rodolphe Burger à l’île de Batz, Angie, The Needle and the Damage Done, Pyromane, London Calling, Perfect Kiss, Exposition, Christian Death le 1er novembre 1988)
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