mardi 5 juillet 2016

Exposition

Souvenirs musicaux

La pochette de l’album était en noir et blanc. Sur chacune des faces figurait un grand carré noir, traversé de petits traits blancs à l’horizontale et à la verticale. En haut à gauche, en noir sur blanc, apparaissait le nom du groupe, avec ce jeu de mots insolite : Charles De Goal. Il y avait le logo du label : New Rose. L’album s’appelait "Algorythmes", avec ce y à la place du i. "Exposition" était le premier titre de la face 1.

Ça commençait par une longue nappe de synthé, dont le son allait en augmentant, au fur et à mesure que se greffaient de petits bruits étranges. Arrivaient ensuite la pulsation d’une boîte à rythmes, l’introduction à la guitare, reprise par la basse, puis le chant, en français. La voix grave, hautaine, mystérieuse, attaquait par ces mots : "Rideau tiré sur le carreau cassé, protéger mon intimité, empêcher tous ces regards fixés sur cette pièce aux murs immaculés…"
           
J’ai découvert "Algorythmes" au cours d'une soirée à Paris, en 1986. Un choc profond, qui m'a conduite à acheter l'album dès le lendemain et à me le passer en boucle des jours entiers. J’adhérais totalement à cette musique froide, basique, minimale, qui me correspondait si bien. La cerise sur le gâteau, c’étaient des textes superbement écrits, jouant subtilement avec les mots, distillant un humour très corrosif, noir, parfois cruel.

Je ressentais très fort cette façon d’écrire, d’aborder des sujets sombres, violents, désespérés, dans une langue poétique rigoureusement maniée. Le style musical, brut, sauvage, dépouillé, à la technologie glacée, était parfaitement maîtrisé, créant une atmosphère propre au contenu des textes.

Mais qui jouait dans Charles De Goal ? Sur la pochette d'"Algorythmes", rien n'était précisé. À la boutique New Rose, rue Pierre-Sarrazin, quartier Saint-Michel, j’ai trouvé d’autres disques, on m'a dit que Charles De Goal était une seule et unique personne. Sur les albums, il était à la fois au chant, à la basse, aux synthés, aux programmations rythmiques. J’ai compris pourquoi il y avait une symbiose si forte entre les textes et la musique.

Est sorti l'album "Double Face". Là encore, le noir et le blanc prédominaient sur la pochette. On y voyait un buste massif, présentant, à la manière d’une planche de Rorschach, un seul œil au milieu d’une ébauche de visage. Au verso, deux petites photos carrées : sur chacune un visage, en partie dissimulé par des ombres.

On entendait souvent "Nuit Noire" sur Ouï FM et Radio 7. Moi, celle que je préférais, c’était "ICO". Je suis allée, avec mon frère, au concert du Rex Club. Sur la scène, les éclairages étaient si sombres que je n’ai eu qu’une vision floue de sa personne. D'autant plus que je suis restée loin derrière. Peut-être ne voulais-je pas savoir ?

J’écrivais, à ce moment-là, des textes entre chanson et poésie. Je m’essayais, moi aussi, à décrire des décors, des ambiances, sans tout dévoiler, dans la nuance. Je recherchais une écriture précise et aiguisée. Comme Charles De Goal, je voulais dire les choses sans les nommer ; susciter, chez le lecteur, des interrogations.

Dans le trio que j’avais formé avec mon frère et un copain, j'ai mis mes textes en musique. Nous utilisions une boîte à rythmes, des claviers et une basse. Je chantais. L’absence de guitare, la prédominance des claviers, la basse omniprésente et méthodique, les battements sans faille de la machine, donnaient à l’ensemble une tonalité glaciale, chirurgicale. Nous nous sommes appelés Otto Matik. C’était le personnage, énigmatique, de l’une de mes chansons. Une référence au "maître", en quelque sorte.

J’ai arrêté la musique, j’ai continué à écrire, n'en finissant jamais d'écouter Charles De Goal et de le faire connaître, toujours plus, autour de moi.

Un jour, chez un disquaire, dans les bacs "rock français", je suis tombée sur un petit carré de plastique reproduisant la pochette graphique d’"Algorythmes". Sur le CD, il y avait aussi "Ici l’Ombre", le seul album que je n’avais pas en vinyle ! Le disque démarrait sur "Exposition", on retrouvait le sigle de New Rose, mais la boutique n’existait plus, rue Pierre-Sarrazin.

Charles De Goal est à l’honneur sur mes platines, de temps à autre. Je regrette sincèrement l’avoir manqué au Sentier des Halles, il y a quelques années. Je m’étais dit qu’il allait sûrement sortir un album, qu’il repasserait plus tard, que j’irais à ce moment-là…

Je n’aurais pas dû hésiter : il n’y a eu, du moins pas à ma connaissance, d’autres concerts parisiens. Sa musique était trop pointue, peut-être ? Inclassable, finalement.

Charles De Goal est un pionnier, une référence incontournable du courant électro rock hexagonal des années quatre-vingt. Pourquoi s'est-il arrêté ? Que fait-il aujourd’hui ? Trouve-t-on encore dans les bacs, en 2005, la musique de Charles De Goal ?

En 2016, Charles De Goal fait toujours parler de lui. Je me suis fait groupie, année après année. Depuis ce concert refondateur inattendu à la Flèche d’Or, le 9 mars 2006.

En 2016, le Général en personne, Patrick Blain, se laisse à évoquer en profondeur ses expériences, ses souvenirs, ses conceptions de la musique…, dans une passionnante interview de Warren Bismuth & John Hirsute, à lire ici sans hésiter :

Texte paru précédemment sur Hautetfort :


À lire sur ce blog :
(Trois concerts de Jad Wio, Minimal Compact 1988, Jamais dans le cadre, De JS Bach à Joy Division, Charlélie Couture, Supertramp, Food for Thought, Clan of Xymox, Bossanova, Turn on the Bright Lights, Yeah, Nevermind, The Deep End…)

À lire aussi sur Hautetfort :
(Le secret de Patrice, Impasse du Levant, Laure aimait la vie)

(La veillée, Révélation, La maison)

(Enola Gay, Blood Sugar Sex Magik, Faith, Is this Love, Rodolphe Burger à l’île de Batz, Angie, The Needle and the Damage Done, Pyromane, London Calling, Perfect Kiss, Exposition, Christian Death le 1er novembre 1988)

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