Nous étions en plein dans les
préparatifs. Les invités arriveraient dès dix-neuf heures trente, il était déjà
dix-sept heures et nous avions l'impression que rien ne serait prêt. Où étaient
donc les seaux à glace ? Les bouteilles de champagne étaient-elles bien toutes
au frais ? Il y avait encore une montagne de toasts à tartiner : pâté,
tarama, œufs de lump, tapenade… Qui allait s'en charger ?
Toi, tu t'étais déclaré expert en
mojitos pour la première partie de soirée et disc-jockey pour la deuxième. La
sono, installée par tes soins, diffusait la musique enchanteresse des vieux
Cubains du Buena Vista Social Club. Tu avais disposé, derrière le bar, tous les
ingrédients nécessaires à la réalisation du rafraîchissant cocktail :
feuilles de menthe, citrons verts, sucre de canne, eau gazeuse, bonnes
bouteilles de rhum…
La glace pilée attendait bien
sagement dans le compartiment congélateur du réfrigérateur. Les verres
allongés, légèrement évasés, lavés et essuyés, étaient parfaitement alignés sur
le comptoir. Tu avais aussi prévu un pilon, incontournable, des pailles et des
"touillettes". Pour le moment, tu faisais des essais, tu testais
différentes préparations, tu goûtais tes mélanges, tes yeux pétillaient.
Moi, je m'activais à la
décoration de la grande pièce, couvrant les tables de nappes colorées, gonflant
des ballons puis en formant des grappes, que j'accrochais aux murs,
certainement blancs autrefois, maintenant gris de saleté et de poussière.
Jusqu'à présent je n'avais pas remarqué toutes ces toiles d'araignée, il me
faudrait les enlever si jamais je trouvais un balai… Je devrais ensuite
disposer les assiettes, les couverts, les serviettes en papier assorties aux
nappes.
J'apercevais, dans la cuisine,
les verres à eau, mais où étaient donc les verres à vin ? Et les coupes de
champagne ? Avait-on pensé aux jus de fruits, aux sodas et à l'eau minérale ?
Tout le monde ne buvait pas d'alcool, il y aurait des enfants… Et les bouquets
de fleurs, pour égayer les tables ? Avaient-ils été livrés ? Pour le gâteau,
heureusement, tout était déjà réglé.
Je me demandais si j'aurais le
temps d'aller me refaire une beauté avant l'arrivée des premiers convives. Y
avait-il au moins, dans cette salle louée pour l'occasion, un miroir au-dessus
du lavabo des toilettes pour dames ? Oh, je voulais juste faire un petit
raccord de maquillage, remettre ma coiffure en ordre, rajouter un peu de laque…
Vingt ans déjà ! Que le temps avait passé vite !
C'était maintenant la salsa
colombienne de Yuri Buenaventura qui emplissait gaiement l'espace. Je suis
allée vers toi—tu n'avais pas bougé du bar—, rythmant mes pas sur ceux de la
musique, te toisant gentiment et te souriant, pour que ce soit plus
convaincant. Je t'ai demandé tendrement, mes mains posées sur tes épaules, de
bien vouloir prendre en charge l'opération toasts, puisque, apparemment, pour
les mojitos, tout était fait.
Tu m'as répondu en bégayant et en
ricanant que c'était toi qui étais fait, et bien fait, comme un rat ! Décidément,
tu ne changerais pas, on ne pouvait jamais compter sur toi. Et où était la
principale intéressée ? Elle nous avait promis de nous donner un coup de main,
elle n'était toujours pas arrivée…
Il faisait très chaud en cette
fin de printemps. J'accélérais la cadence, je courais sans répit, passant d'une
tâche à une autre, d'une pièce à l'autre et plus le temps passait, plus je
trouvais de choses à faire. Tu t'étais à moitié endormi sur les toasts, au coin
d'une table, dans la cuisine. La musique s'était tue, rendant l'ambiance
pesante.
J'allais te réveiller, te
houspiller, faire preuve d'autorité, t'ordonner de finir ce que tu avais
commencé ! Non, pas le temps de discuter, encore moins de se disputer. Nous
réglerions nos comptes plus tard. Et elle ? Que faisait-elle ? Elle
n'était toujours pas là, elle exagérait, tout ça c'était pour elle, je
commençais à paniquer… Elle n'allait pas tout de même pas nous planter ?
Je transpirais à grosses gouttes,
mes vêtements étaient trempés ; ce n'était pas d'un raccord de maquillage dont
j'aurais eu besoin, mais d'une bonne douche glacée ! J'aurais aimé me retrouver
sur la banquise, en compagnie des phoques, des pingouins et des ours blancs.
Pour le moment, j'avais d'autres
chats à fouetter : la fête d'anniversaire de notre fille unique, vingt ans
aujourd'hui, allait bientôt commencer… J'entendis des pas sur le gravier :
arrivait-elle, enfin ? Apparemment accompagnée ? À la bonne heure ! Il était
dix-neuf heures !
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