mercredi 2 mars 2016

La fête


Nous étions en plein dans les préparatifs. Les invités arriveraient dès dix-neuf heures trente, il était déjà dix-sept heures et nous avions l'impression que rien ne serait prêt. Où étaient donc les seaux à glace ? Les bouteilles de champagne étaient-elles bien toutes au frais ? Il y avait encore une montagne de toasts à tartiner : pâté, tarama, œufs de lump, tapenade… Qui allait s'en charger ?

Toi, tu t'étais déclaré expert en mojitos pour la première partie de soirée et disc-jockey pour la deuxième. La sono, installée par tes soins, diffusait la musique enchanteresse des vieux Cubains du Buena Vista Social Club. Tu avais disposé, derrière le bar, tous les ingrédients nécessaires à la réalisation du rafraîchissant cocktail : feuilles de menthe, citrons verts, sucre de canne, eau gazeuse, bonnes bouteilles de rhum…

La glace pilée attendait bien sagement dans le compartiment congélateur du réfrigérateur. Les verres allongés, légèrement évasés, lavés et essuyés, étaient parfaitement alignés sur le comptoir. Tu avais aussi prévu un pilon, incontournable, des pailles et des "touillettes". Pour le moment, tu faisais des essais, tu testais différentes préparations, tu goûtais tes mélanges, tes yeux pétillaient.

Moi, je m'activais à la décoration de la grande pièce, couvrant les tables de nappes colorées, gonflant des ballons puis en formant des grappes, que j'accrochais aux murs, certainement blancs autrefois, maintenant gris de saleté et de poussière. Jusqu'à présent je n'avais pas remarqué toutes ces toiles d'araignée, il me faudrait les enlever si jamais je trouvais un balai… Je devrais ensuite disposer les assiettes, les couverts, les serviettes en papier assorties aux nappes.

J'apercevais, dans la cuisine, les verres à eau, mais où étaient donc les verres à vin ? Et les coupes de champagne ? Avait-on pensé aux jus de fruits, aux sodas et à l'eau minérale ? Tout le monde ne buvait pas d'alcool, il y aurait des enfants… Et les bouquets de fleurs, pour égayer les tables ? Avaient-ils été livrés ? Pour le gâteau, heureusement, tout était déjà réglé.

Je me demandais si j'aurais le temps d'aller me refaire une beauté avant l'arrivée des premiers convives. Y avait-il au moins, dans cette salle louée pour l'occasion, un miroir au-dessus du lavabo des toilettes pour dames ? Oh, je voulais juste faire un petit raccord de maquillage, remettre ma coiffure en ordre, rajouter un peu de laque… Vingt ans déjà ! Que le temps avait passé vite !

C'était maintenant la salsa colombienne de Yuri Buenaventura qui emplissait gaiement l'espace. Je suis allée vers toi—tu n'avais pas bougé du bar—, rythmant mes pas sur ceux de la musique, te toisant gentiment et te souriant, pour que ce soit plus convaincant. Je t'ai demandé tendrement, mes mains posées sur tes épaules, de bien vouloir prendre en charge l'opération toasts, puisque, apparemment, pour les mojitos, tout était fait.

Tu m'as répondu en bégayant et en ricanant que c'était toi qui étais fait, et bien fait, comme un rat ! Décidément, tu ne changerais pas, on ne pouvait jamais compter sur toi. Et où était la principale intéressée ? Elle nous avait promis de nous donner un coup de main, elle n'était toujours pas arrivée…

Il faisait très chaud en cette fin de printemps. J'accélérais la cadence, je courais sans répit, passant d'une tâche à une autre, d'une pièce à l'autre et plus le temps passait, plus je trouvais de choses à faire. Tu t'étais à moitié endormi sur les toasts, au coin d'une table, dans la cuisine. La musique s'était tue, rendant l'ambiance pesante.

J'allais te réveiller, te houspiller, faire preuve d'autorité, t'ordonner de finir ce que tu avais commencé ! Non, pas le temps de discuter, encore moins de se disputer. Nous réglerions nos comptes plus tard. Et elle ? Que faisait-elle ? Elle n'était toujours pas là, elle exagérait, tout ça c'était pour elle, je commençais à paniquer… Elle n'allait pas tout de même pas nous planter ?

Je transpirais à grosses gouttes, mes vêtements étaient trempés ; ce n'était pas d'un raccord de maquillage dont j'aurais eu besoin, mais d'une bonne douche glacée ! J'aurais aimé me retrouver sur la banquise, en compagnie des phoques, des pingouins et des ours blancs.

Pour le moment, j'avais d'autres chats à fouetter : la fête d'anniversaire de notre fille unique, vingt ans aujourd'hui, allait bientôt commencer… J'entendis des pas sur le gravier : arrivait-elle, enfin ? Apparemment accompagnée ? À la bonne heure ! Il était dix-neuf heures !

Une famille endimanchée, bruyante, gesticulante, se présenta sur le seuil de la salle de réception. Des gens imbus d'eux-mêmes, des casse-pieds, des sans-gêne, des pique-assiettes. Qui les avait invités ? Je réalisai soudain que j'avais oublié d'acheter les bougies ! J'allais leur donner pour mission de m'en trouver.

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