Lettre ouverte
Cher Gérard,
Ce matin, la nouvelle se trouvait
en première page du journal local. C'est vraiment génial ! Félicitations ! Ce
n'était pourtant pas ton fort, la comédie, quand on se fréquentait !
Mon pauvre ami ! Tu mentais si
mal ! Tu arrivais en retard à nos rendez-vous ou alors tu me posais carrément
un lapin, et tu avais toujours une bonne excuse pour te faire pardonner. Panne
de voiture ou train raté de justesse, ça passait encore.
Mais quand tu t'embarquais dans
des histoires rocambolesques, alambiquées, avec enlèvement, séquestration,
règlement de comptes, bataille au couteau ou fusillade—tu te trouvais toujours
là par hasard—et que ton visage s'empourprait, devenait cramoisi…
Tu t'embourbais, tu t'empêtrais
dans des mensonges plus gros que toi. Je ne pouvais m'empêcher de rire, et de
te rire au nez ! C'était si drôle ! Mais où allais-tu donc chercher tout ça ?
Remarque, ça ne m'étonne pas trop
que tu sois devenu comique. Artiste comique ! Et tu as du succès, ce qui ne
gâche rien ! Difficile de faire rire, de nos jours, pas vrai ?
Tu nous fais donc l'honneur de
jouer "chez nous" prochainement, de présenter ton dernier spectacle
dans cette charmante petite ville provinciale où tu es né, où tu as passé ton
enfance et ton adolescence, où tu as connu tes premiers émois, avec moi…
Et moi, et moi, et moi, te
souviens-tu de moi ? Je vais venir te voir, sacré Gérard ! Vas-tu au moins me
faire sourire ? Vais-je rire autant qu'au temps où nous étions ensemble ?
Avec toi, j'ai souvent ri de bon
cœur, aux éclats, à me pisser dessus, même. J'ai ri jaune, aussi, ceci étant.
J'ai même pleuré à chaudes larmes quand tu es parti, du jour au lendemain,
quand tu m'as quittée sans explication. Sur ce coup-là, pas de discours
invraisemblable, pas d'excuse, même bidon ! Rien !
Je n'ai plus jamais eu de tes
nouvelles. J'ai même cru que tu étais mort, que tu t'étais suicidé, qu'on
t'avait tué. J'ai mis des années à m'en remettre ! Avec le recul, je comprends
parfaitement que tu aies voulu tenter ta chance ailleurs, loin d'ici, que tu
sois "monté" dans la capitale, comme on dit. Mais pourquoi ne m'as-tu
pas proposé de t'accompagner ?
On formait un beau couple, toi et
moi, non ? On aurait pu créer un sacré duo ! Toi dans le rôle du beau parleur,
moi dans celui de la chiante pas très futée… On pouvait facilement s'inspirer
du vécu !
Tu sais, j'ai suivi et je
continue à suivre de façon assidue les cours de l'atelier théâtre, à la MJC de
mon quartier. Ça m'a beaucoup aidée. Deux fois par an, pour Noël et pour
l'arrivée des vacances d'été, nous montons un spectacle, tous ensemble, petits
et grands.
Nous n'avons beau être que des
amateurs, des provinciaux, ceux dont tu te moques tant dans tes sketches, nous
nous débrouillons bien ! Tu devrais venir nous voir, à l'occasion. Ça
t'inspirerait peut-être…
Je crois savoir qu'en ce moment,
tu es célibataire. C'est, en tout cas, ce qu'écrivent les journaux.
M'inviteras-tu à te rejoindre dans ta loge, après ton spectacle ? J'aimerais
bien te faire part de mes impressions à chaud !
Quand la fête sera finie,
peut-être auras-tu envie d'un dernier verre chez moi plutôt que de rentrer seul
à ton hôtel ? J'ai réservé, dès l’ouverture de la billetterie du théâtre, une
place au premier rang. Tu me reconnaîtras à mon rire. Si tu parviens à me faire
rire, bien sûr ! Alors à bientôt, mon Gérard !
Ta Janine
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