vendredi 25 septembre 2015

Le présage

Quadrilogie francilienne, 3 sur 4


Le présage

Le 16 août 2015

À l’orée de la cinquantaine, je me suis aperçue que mon corps avait changé. J’avais forci, pour ne pas dire grossi mais le résultat était le même ; j’avais perdu des muscles, notamment dans les bras, malgré une hygiène de vie relativement correcte. Natation, gym aqua-cardio, marche active, course à pied, parfois du vélo…

J’étais mal dans mon corps, mal dans ma tête, un peu comme à l’adolescence. Malheureusement pour moi, j’en étais loin, de l’adolescence ; dorénavant de l’autre côté de la pente, avec le compte à rebours déjà enclenché. Je n’avais plus qu’à faire avec. Accepter que les choses changent, autour de moi, à l’intérieur de moi. Je prenais de l’âge, c’est tout, et je n’y pouvais rien, sinon entretenir mon corps, me mettre au régime, continuer le sport.

Pour mes cinquante ans, je n’avais pas organisé la « partie de jardin » habituelle du mois de septembre où j’invitais mes amis ; j’avais réuni ma famille « pour marquer le coup » mais sans grand enthousiasme, cela en deux fois, car mes parents ne souhaitaient pas se rencontrer à la fête d’anniversaire de leur fille quinqua. La dernière fois qu’ils avaient daigné le faire, c’était en 1999, pour le mariage de mon frère.

Presque quinze ans plus tard, ils n’étaient pas décidés à renouveler l’expérience ; c’est dire, malgré leur vie respective refaite et réussie (avec, pour ma mère un mari, pour mon père une compagne), le lourd contentieux dont ils se sentaient encore redevables, près de quarante ans après leur séparation. Moi, j’avais proposé de nous réunir tous ensemble, au restaurant, avec aussi mes meilleur(e)s ami(e)s…

La première fête se fit dans mon jardin pour l’apéro, puis au restaurant marocain tout proche où nous pourrions aller à pied, comme cela nous pourrions boire sans modération et sans la peur du gendarme. Étaient présents ma mère et son mari, mon frère et sa femme, leurs deux enfants, mon ami de l’époque. Après le repas, nous irions nous promener à la base de loisirs de Jablines, nous profiterions du soleil, assis sur des bancs, en face du lac.

La deuxième fête se fit plus tard, en comité réduit : mon père, sa compagne et moi. Après un court passage dans mon jardin, je les emmènerais en voiture jusqu’à Claye-Souilly, j’avais réservé dans un restaurant traditionnel, nous y boirions l’apéro, j’avais pris une coupe de Champagne. Nous ferions une balade digestive le long du canal de l’Ourcq, nous parlerions de nos lectures, de films, d’émissions de radio ou de télévision, de la famille, de connaissances communes, de nos vies respectives ; nous évoquerions des souvenirs.

Le « vrai » jour de mes cinquante ans, c’était un vendredi, je me souviens ; après le travail j’étais allée en voiture jusqu’à Paris pour retrouver mon ami accompagné de son ami d’enfance, qui l’hébergeait à ce moment-là.

Rendez-vous à Barbès, en face du cinéma Le Louxor, où nous irions plus tard dans la soirée voir « Jimmy P. » de l’excellent Arnaud Desplechin (et les non moins géniaux Benicio del Toro et Mathieu Almaric). Je leur avais offert plusieurs coups à boire, eux de la bière, moi du vin blanc. Nous avions mangé dans un self oriental, pas cher, pas bon.

Mon ami m’a dit qu’il avait profité de son après-midi à Paris pour chercher une belle labradorite à m’offrir, que celle qu’il avait choisie n’était pas sertie, qu’il l’avait réservée, qu’elle serait prête la semaine prochaine, qu’il me faudrait donc attendre un peu pour mon cadeau d’anniversaire.

Ce bijou devait remplacer celui qu’on m’avait volé lors du cambriolage de mon appartement, début septembre. À l’occasion de notre premier Noël ensemble, mon ami m’avait offert une jolie labradorite ovale, à porter en pendentif ; elle était rangée dans ma boîte à bijoux le jour fatidique.

De cette nouvelle labradorite, je n’en ai jamais vu la couleur. Mon ami est revenu vivre chez moi, mais il n’est jamais revenu de Paris avec une petite boîte contenant mon cadeau. Il ne me faisait pas de cadeau, à cette époque, de toute façon.

Plus tard, lorsque je lui ai posé la question au sujet de la labradorite qu’il devait m’offrir, il m’a dit que les relations étant mauvaises entre nous, il avait préféré annuler la commande. Je ne l’ai pas cru. Je pense qu’il m’avait menti dès le soir de mes cinquante ans, qu’il n’était pas allé à la bijouterie de la rue Saint-André des Arts ce jour-là, qu’il m’avait dit ça pour me faire plaisir, devant son ami.

Finalement, je me la suis offerte, cette labradorite. Elle est fine et ovale, avec un support en argent ; j’ai acheté aussi la petite chaîne, en argent elle aussi. C’était à l’occasion d’un séjour dans le Jura, en février dernier. Visitant le musée lapidaire et des pierres précieuses, l’idée a jailli, lumineuse, que je pouvais me faire ce cadeau, remplacer le bijou disparu.

Je ne suis pas de ces femmes qui collectionnent les breloques. Aux oreilles j’ai trois anneaux en argent. À la main droite, à l’annulaire, la bague en onyx (et en argent) offerte par ma mère pour mes trente ans ; au cou « ma » labradorite, que je ne quitte plus.

J’ai attendu l’année suivante pour refaire une « partie de jardin ». En bien meilleure condition morale (pour le physique, il y avait toujours des kilos superflus) que pour les cinquante ans « officiels » et subis.

La journée avait permis à mes amis de se revoir entre eux, aux nouveaux de faire connaissance avec les plus anciens, aux enfants de jouer ensemble, aux grands de boire et de manger, dans la bonne humeur, dans la richesse des échanges, dans les rires joyeux et les sourires détendus.

Début juillet de cette année, j’ai lancé les invitations pour un prochain dimanche de septembre, qui tombera pile le jour de mon anniversaire. J’ai même demandé à un couple d’amis rémois de venir jouer sur ma terrasse, ils font des reprises 80’s, 90’s, pop, rock, électro, etc. M’y prenant à l’avance, tous les invités pourront s’organiser pour être là le jour J. Nous fêterons surtout les vingt ans de Léa, mon chat coriace, vorace, vivace. Extraordinaire !

Ma cinquantaine est plus sereine. Je m’offre des séjours en ville, à la mer, à la campagne, à la montagne, dès que je suis en vacances. Je pars seule et j’aime ça. Je me sens dans l’urgence, dans l’envie de faire, de voir, de vivre. Tout à la fois plus aventureuse et plus réaliste. Ne rien me refuser, me faire plaisir, oser, assurer, me sentir heureuse. Maintenant, quand, sinon ?

Je reperds peu à peu les kilos qui s’étaient installés, pour lesquels je ne parvenais pas à « me faire une raison ». Je me sens mieux dans mon corps, je remets les petites robes dans lesquelles j’étais boudinée l’été dernier.

Mon moral est de fer, j’ai toujours autant envie de sortir, de m’amuser, de danser, de faire la fête. Nombreux sont les gens de mon âge qui aiment le côté festif de la vie, heureusement ! Alors on organise des soirées amusantes, avec un thème de déguisement, on loue un endroit sympa où l’on pourra dormir sur place, on se calle trois jours en tout pour pouvoir se remettre… Cool, cet esprit « je suis rock’n’roll et je sais faire la fête ».

Seulement en rêve. Ou alors je ne connais pas les bons endroits. Pour mon amie qui vit à Angers, c’est différent. Avec son compagnon, ils ont réellement des occasions de s’amuser et de participer à des soirées, entre Angers et Poitiers.

Elle m’avait invitée un samedi d’octobre, pour ses quarante ans, dans le Poitou où elle avait loué un gîte très rustique, avec couchage en maisons en bois dans les arbres. J’étais venue avec mon amie de Vaires-sur-Marne en voiture ; on avait fait des bornes mais je ne voulais louper ça pour rien au monde, je n’étais pas si souvent invitée à ce genre de fiesta !

Il fallait venir habillé coloré, c’était la seule condition ; on pouvait se déguiser, si on le souhaitait. Tout le monde mettait la main à la pâte pour les préparations culinaires, la décoration de la salle, l’installation des chaises et des tables, le branchement de la sono et des éclairages, la mise en route d’un chauffage (la journée avait déjà été bien fraîche, alors la nuit !), les essais de la pompe à bière, l’ouverture des bouteilles de vin rouge, la mise en place des cacahuètes, pistaches, fruits secs, cakes, chips, gâteaux pour l’apéro…

Quelle joie que cet anniversaire de mon amie d’Angers ! Quel bons délires, quelles longues parties de danse, quels dialogues insensés avec Spock, Mario, Princesse Daisy, Endora, un bûcheron tyrolien, la fée de Peau d’âne… Le feu de camp à l’extérieur était aussi extrêmement sympathique. Voilà ce que j’aimerais vivre plus souvent. Voilà pourquoi je vais à des concerts, j’aime y trouver l’ambiance de fête.

Récemment, mon amie de Château-Thierry m’a parlé d’un endroit où elle va quelquefois, où l’on peut danser, un bar pas très loin de chez elle, d’où elle est revenue à l’aube ! Nous nous sommes promis de nous y faire une soirée, un samedi au mois d’octobre.

Il y a cette salle, près de Chalifert, qui organise une soirée disco le 29 août et sans doute d’autres, à venir… Le 29 août justement, c’est le concert de La Famille Grendy, à Lagny-sur-Marne, sur la péniche Le Lapin Vert (si si, je vous jure !) amarrée au Quai Saint-Père. Le 26 septembre, il est fort possible que j’aille au concert gospel en l’église de Doue, avec mon amie de Sammeron.

Vendredi 11 septembre, Fête de l’Huma avec, peut-être, mon amie de Vaires-sur-Marne et sa fille, samedi 12, virée à Loos pour les cinquante ans d’un vieux copain rémois, je tiens à y être, dimanche 20 c’est ma « partie de jardin » en l’honneur, principalement, des vingt ans de mon chat… Le 19, si je veux, ce seront les Journées du Patrimoine.

L’agenda 2015/2016 se remplit déjà. Des dates de concert en octobre, novembre, décembre, des spectacles de théâtre à rajouter, la reprise des activités : la pré-rentrée le 31 août, la rentrée des élèves le 1er septembre, ma séance chez la psy le matin du 2, l’aqua vélo le 10, l’atelier d’écriture le 18, pas encore (mais ça ne saurait tarder) des réunions professionnelles…

Les affaires vont reprendre, obligé, après ce creux de mi-août. Mais d’abord, un séjour en solo à Venise. Après Amsterdam en juillet, Venise me semblait tout indiquée pour août, autre ville d’eau, avec des maisons magnifiques, des ponts majestueux, des canaux innombrables…

Une autre fois ce sera Bruges, Delft, Gouda, Anvers, Bruxelles, Berlin, Rome, Prague, Budapest, Lisbonne, Madrid, Stockholm… J’ai décidé de voyager. Beaucoup de mes amis voyagent, en ou hors d’Europe. New York, Marrakech, Pékin, Shanghai, le Laos, le Cambodge, la Bolivie, le Pérou…

Pour Venise, j’ai choisi le train. Un train de nuit, à partir de Munich. Pour arriver en gare de Santa-Lucia au petit matin, avoir du temps devant moi pour entrer dans la ville, la redécouvrir par les souvenirs que j’en ai gardés, me remémorer cette longue et belle journée d’été passée là-bas, j’avais vingt-trois ans, presque vingt-quatre.

Je voyageais en Italie en compagnie de mon amie de Bordeaux ; j’avais déjà beaucoup aimé Vérone et là, j’étais littéralement émerveillée, quel choc ! J’avais pris des photos, bien réussies pour la plupart ; nous nous étions plusieurs fois éloignées du centre touristique pour flâner dans des rues plus calmes.

Au début de mes vacances, je me suis mise à repenser à une poésie que j’avais écrite lorsque j’habitais encore Paris, dans ma petite chambre de bonne. Je me souvenais de quelques vers, notamment le début : « Nous sommes des mutants, nous vivrons cent mille ans » et la fin : « Nous serons vos mémoires pour les siècles à venir ».

Voilà qu’aujourd’hui, je la relis cette poésie, car je l’ai gardée, et bien gardée, archivée même, facilement retrouvable, numérotée ; j’en ai trois versions. Les choses n’ont pas beaucoup changé pour moi depuis l’avènement de l’informatique. Aujourd’hui, sous Word, je crée des dossiers aisément identifiables, j’enregistre mes textes, je les sauvegarde sur une clé USB, je n’imprime plus rien.

Le temps

Nous sommes des mutants,
Nous vivrons cent mille ans,
Peut-être davantage ;
Aberration du temps,
Vision démesurée
D’un avenir illimité.

Nous sommes si jeunes encore
Que rien ne nous altère,
Nous avons le pouvoir
Du retour en arrière,
De l’abstraction des ans,
Du jeu avec le temps.

Nous sommes si vieux pourtant,
Le miroir nous surprend,
Traquer dans ce visage
Quelques marques de l’âge,
Même après tout ce temps
Toujours la même image ?

La déraison nous pousse
À nous croire immortels
Vivre dans l’illusion
D’un présent éternel,
Distorsion temporelle,
Existence perpétuelle.

Vous assisterez tous,
Vieillissants, impuissants,
À la grande victoire
Contre le cours du temps.
Nous serons vos mémoires
Pour les siècles à venir. 

Un singulier présage, à l’approche de mes vingt-cinq ans. Les X-Men et autres Heroes ne sont pas très loin, ceci dit.

1 commentaire:

  1. Quel superbe texte, tu t'es surpassée, on sent vraiment l'amour de l'écriture. Quel étalage ! Ca va, tu t'es fait plaisir ? Quel manque de pudeur, d'humanité (dont tu te gargarises)... Tu vas passer à autre chose, un jour ?
    Sinon, tout était vrai pour la labradorite. Je m'étais d'abord rendu à St Michel, puis direction Barbès à pied. Je ne suis simplement jamais allé la récupérer, ensuite.
    N'efface pas stp, si tu as un minimum de principes. J'ai un droit de réponse.

    RépondreSupprimer