Quadrilogie francilienne, 3 sur 4
Le présage
Le 16 août 2015
À l’orée de la
cinquantaine, je me suis aperçue que mon corps avait changé. J’avais forci,
pour ne pas dire grossi mais le résultat était le même ; j’avais perdu des
muscles, notamment dans les bras, malgré une hygiène de vie relativement
correcte. Natation, gym aqua-cardio, marche active, course à pied, parfois du
vélo…
J’étais mal dans mon
corps, mal dans ma tête, un peu comme à l’adolescence. Malheureusement pour
moi, j’en étais loin, de l’adolescence ; dorénavant de l’autre côté de la
pente, avec le compte à rebours déjà enclenché. Je n’avais plus qu’à faire
avec. Accepter que les choses changent, autour de moi, à l’intérieur de moi. Je
prenais de l’âge, c’est tout, et je n’y pouvais rien, sinon entretenir mon
corps, me mettre au régime, continuer le sport.
Pour mes cinquante
ans, je n’avais pas organisé la « partie de jardin » habituelle du
mois de septembre où j’invitais mes amis ; j’avais réuni ma famille
« pour marquer le coup » mais sans grand enthousiasme, cela en deux
fois, car mes parents ne souhaitaient pas se rencontrer à la fête
d’anniversaire de leur fille quinqua. La dernière fois qu’ils avaient daigné le
faire, c’était en 1999, pour le mariage de mon frère.
Presque quinze ans
plus tard, ils n’étaient pas décidés à renouveler l’expérience ; c’est
dire, malgré leur vie respective refaite et réussie (avec, pour ma mère un
mari, pour mon père une compagne), le lourd contentieux dont ils se sentaient
encore redevables, près de quarante ans après leur séparation. Moi, j’avais
proposé de nous réunir tous ensemble, au restaurant, avec aussi mes meilleur(e)s
ami(e)s…
La première fête se
fit dans mon jardin pour l’apéro, puis au restaurant marocain tout proche où
nous pourrions aller à pied, comme cela nous pourrions boire sans modération et
sans la peur du gendarme. Étaient présents ma mère et son mari, mon frère et sa
femme, leurs deux enfants, mon ami de l’époque. Après le repas, nous irions
nous promener à la base de loisirs de Jablines, nous profiterions du soleil,
assis sur des bancs, en face du lac.
La deuxième fête se
fit plus tard, en comité réduit : mon père, sa compagne et moi. Après un
court passage dans mon jardin, je les emmènerais en voiture jusqu’à
Claye-Souilly, j’avais réservé dans un restaurant traditionnel, nous y boirions
l’apéro, j’avais pris une coupe de Champagne. Nous ferions une balade digestive
le long du canal de l’Ourcq, nous parlerions de nos lectures, de films,
d’émissions de radio ou de télévision, de la famille, de connaissances
communes, de nos vies respectives ; nous évoquerions des souvenirs.
Le
« vrai » jour de mes cinquante ans, c’était un vendredi, je me
souviens ; après le travail j’étais allée en voiture jusqu’à Paris pour
retrouver mon ami accompagné de son ami d’enfance, qui l’hébergeait à ce moment-là.
Rendez-vous à
Barbès, en face du cinéma Le Louxor, où nous irions plus tard dans la soirée voir
« Jimmy P. » de l’excellent Arnaud Desplechin (et les non moins
géniaux Benicio del Toro et Mathieu Almaric). Je leur avais offert plusieurs
coups à boire, eux de la bière, moi du vin blanc. Nous avions mangé dans un
self oriental, pas cher, pas bon.
Mon ami m’a dit
qu’il avait profité de son après-midi à Paris pour chercher une belle
labradorite à m’offrir, que celle qu’il avait choisie n’était pas sertie, qu’il
l’avait réservée, qu’elle serait prête la semaine prochaine, qu’il me faudrait donc
attendre un peu pour mon cadeau d’anniversaire.
Ce bijou devait
remplacer celui qu’on m’avait volé lors du cambriolage de mon appartement, début
septembre. À l’occasion de notre premier Noël ensemble, mon ami m’avait offert
une jolie labradorite ovale, à porter en pendentif ; elle était rangée
dans ma boîte à bijoux le jour fatidique.
De cette nouvelle
labradorite, je n’en ai jamais vu la couleur. Mon ami est revenu vivre chez moi,
mais il n’est jamais revenu de Paris avec une petite boîte contenant mon
cadeau. Il ne me faisait pas de cadeau, à cette époque, de toute façon.
Plus tard, lorsque
je lui ai posé la question au sujet de la labradorite qu’il devait m’offrir, il
m’a dit que les relations étant mauvaises entre nous, il avait préféré annuler
la commande. Je ne l’ai pas cru. Je pense qu’il m’avait menti dès le soir de
mes cinquante ans, qu’il n’était pas allé à la bijouterie de la rue Saint-André
des Arts ce jour-là, qu’il m’avait dit ça pour me faire plaisir, devant son
ami.
Finalement, je me la
suis offerte, cette labradorite. Elle est fine et ovale, avec un support en argent ;
j’ai acheté aussi la petite chaîne, en argent elle aussi. C’était à l’occasion
d’un séjour dans le Jura, en février dernier. Visitant le musée lapidaire et des
pierres précieuses, l’idée a jailli, lumineuse, que je pouvais me faire ce
cadeau, remplacer le bijou disparu.
Je ne suis pas de
ces femmes qui collectionnent les breloques. Aux oreilles j’ai trois anneaux en
argent. À la main droite, à l’annulaire, la bague en onyx (et en argent)
offerte par ma mère pour mes trente ans ; au cou « ma »
labradorite, que je ne quitte plus.
J’ai attendu l’année
suivante pour refaire une « partie de jardin ». En bien meilleure
condition morale (pour le physique, il y avait toujours des kilos superflus)
que pour les cinquante ans « officiels » et subis.
La journée avait
permis à mes amis de se revoir entre eux, aux nouveaux de faire connaissance
avec les plus anciens, aux enfants de jouer ensemble, aux grands de boire et de
manger, dans la bonne humeur, dans la richesse des échanges, dans les rires joyeux
et les sourires détendus.
Début juillet de
cette année, j’ai lancé les invitations pour un prochain dimanche de septembre,
qui tombera pile le jour de mon anniversaire. J’ai même demandé à un couple
d’amis rémois de venir jouer sur ma terrasse, ils font des reprises 80’s, 90’s,
pop, rock, électro, etc. M’y prenant à l’avance, tous les invités pourront
s’organiser pour être là le jour J. Nous fêterons surtout les vingt ans de Léa,
mon chat coriace, vorace, vivace. Extraordinaire !
Ma cinquantaine est
plus sereine. Je m’offre des séjours en ville, à la mer, à la campagne, à la
montagne, dès que je suis en vacances. Je pars seule et j’aime ça. Je me sens
dans l’urgence, dans l’envie de faire, de voir, de vivre. Tout à la fois plus
aventureuse et plus réaliste. Ne rien me refuser, me faire plaisir, oser,
assurer, me sentir heureuse. Maintenant, quand, sinon ?
Je reperds peu à peu
les kilos qui s’étaient installés, pour lesquels je ne parvenais pas à « me
faire une raison ». Je me sens mieux dans mon corps, je remets les petites
robes dans lesquelles j’étais boudinée l’été dernier.
Mon moral est de
fer, j’ai toujours autant envie de sortir, de m’amuser, de danser, de faire la
fête. Nombreux sont les gens de mon âge qui aiment le côté festif de la vie,
heureusement ! Alors on organise des soirées amusantes, avec un thème de
déguisement, on loue un endroit sympa où l’on pourra dormir sur place, on se
calle trois jours en tout pour pouvoir se remettre… Cool, cet esprit « je
suis rock’n’roll et je sais faire la fête ».
Seulement en rêve.
Ou alors je ne connais pas les bons endroits. Pour mon amie qui vit à Angers,
c’est différent. Avec son compagnon, ils ont réellement des occasions de s’amuser
et de participer à des soirées, entre Angers et Poitiers.
Elle m’avait invitée
un samedi d’octobre, pour ses quarante ans, dans le Poitou où elle avait loué un
gîte très rustique, avec couchage en maisons en bois dans les arbres. J’étais
venue avec mon amie de Vaires-sur-Marne en voiture ; on avait fait des
bornes mais je ne voulais louper ça pour rien au monde, je n’étais pas si
souvent invitée à ce genre de fiesta !
Il fallait venir
habillé coloré, c’était la seule condition ; on pouvait se déguiser, si on
le souhaitait. Tout le monde mettait la main à la pâte pour les préparations
culinaires, la décoration de la salle, l’installation des chaises et des
tables, le branchement de la sono et des éclairages, la mise en route d’un
chauffage (la journée avait déjà été bien fraîche, alors la nuit !), les
essais de la pompe à bière, l’ouverture des bouteilles de vin rouge, la mise en
place des cacahuètes, pistaches, fruits secs, cakes, chips, gâteaux pour
l’apéro…
Quelle joie que cet
anniversaire de mon amie d’Angers ! Quel bons délires, quelles longues
parties de danse, quels dialogues insensés avec Spock, Mario, Princesse Daisy,
Endora, un bûcheron tyrolien, la fée de Peau d’âne… Le feu de camp à
l’extérieur était aussi extrêmement sympathique. Voilà ce que j’aimerais vivre
plus souvent. Voilà pourquoi je vais à des concerts, j’aime y trouver l’ambiance
de fête.
Récemment, mon amie
de Château-Thierry m’a parlé d’un endroit où elle va quelquefois, où l’on peut
danser, un bar pas très loin de chez elle, d’où elle est revenue à
l’aube ! Nous nous sommes promis de nous y faire une soirée, un samedi au
mois d’octobre.
Il y a cette salle,
près de Chalifert, qui organise une soirée disco le 29 août et sans doute
d’autres, à venir… Le 29 août justement, c’est le concert de La Famille Grendy,
à Lagny-sur-Marne, sur la péniche Le Lapin Vert (si si, je vous jure !) amarrée
au Quai Saint-Père. Le 26 septembre, il est fort possible que j’aille au
concert gospel en l’église de Doue, avec mon amie de Sammeron.
Vendredi 11
septembre, Fête de l’Huma avec, peut-être, mon amie de Vaires-sur-Marne et sa
fille, samedi 12, virée à Loos pour les cinquante ans d’un vieux copain rémois,
je tiens à y être, dimanche 20 c’est ma « partie de jardin » en
l’honneur, principalement, des vingt ans de mon chat… Le 19, si je veux, ce
seront les Journées du Patrimoine.
L’agenda 2015/2016 se
remplit déjà. Des dates de concert en octobre, novembre, décembre, des
spectacles de théâtre à rajouter, la reprise des activités : la
pré-rentrée le 31 août, la rentrée des élèves le 1er septembre, ma
séance chez la psy le matin du 2, l’aqua vélo le 10, l’atelier d’écriture le
18, pas encore (mais ça ne saurait tarder) des réunions professionnelles…
Les affaires vont
reprendre, obligé, après ce creux de mi-août. Mais d’abord, un séjour en solo à
Venise. Après Amsterdam en juillet, Venise me semblait tout indiquée pour août,
autre ville d’eau, avec des maisons magnifiques, des ponts majestueux, des
canaux innombrables…
Une autre fois ce
sera Bruges, Delft, Gouda, Anvers, Bruxelles, Berlin, Rome, Prague, Budapest,
Lisbonne, Madrid, Stockholm… J’ai décidé de voyager. Beaucoup de mes amis voyagent,
en ou hors d’Europe. New York, Marrakech, Pékin, Shanghai, le Laos, le
Cambodge, la Bolivie, le Pérou…
Pour Venise, j’ai
choisi le train. Un train de nuit, à partir de Munich. Pour arriver en gare de
Santa-Lucia au petit matin, avoir du temps devant moi pour entrer dans la
ville, la redécouvrir par les souvenirs que j’en ai gardés, me remémorer cette
longue et belle journée d’été passée là-bas, j’avais vingt-trois ans, presque
vingt-quatre.
Je voyageais en
Italie en compagnie de mon amie de Bordeaux ; j’avais déjà beaucoup aimé
Vérone et là, j’étais littéralement émerveillée, quel choc ! J’avais pris
des photos, bien réussies pour la plupart ; nous nous étions plusieurs
fois éloignées du centre touristique pour flâner dans des rues plus calmes.
Au début de mes vacances,
je me suis mise à repenser à une poésie que j’avais écrite lorsque j’habitais
encore Paris, dans ma petite chambre de bonne. Je me souvenais de quelques
vers, notamment le début : « Nous sommes des mutants, nous vivrons
cent mille ans » et la fin : « Nous serons vos mémoires pour les
siècles à venir ».
Voilà
qu’aujourd’hui, je la relis cette poésie, car je l’ai gardée, et bien gardée,
archivée même, facilement retrouvable, numérotée ; j’en ai trois versions.
Les choses n’ont pas beaucoup changé pour moi depuis l’avènement de
l’informatique. Aujourd’hui, sous Word, je crée des dossiers aisément
identifiables, j’enregistre mes textes, je les sauvegarde sur une clé USB, je
n’imprime plus rien.
Le temps
Nous sommes des mutants,
Nous vivrons cent mille ans,
Peut-être davantage ;
Aberration du temps,
Vision démesurée
D’un avenir illimité.
Nous sommes si jeunes encore
Que rien ne nous altère,
Nous avons le pouvoir
Du retour en arrière,
De l’abstraction des ans,
Du jeu avec le temps.
Nous sommes si vieux pourtant,
Le miroir nous surprend,
Traquer dans ce visage
Quelques marques de l’âge,
Même après tout ce temps
Toujours la même image ?
La déraison nous pousse
À nous croire immortels
Vivre dans l’illusion
D’un présent éternel,
Distorsion temporelle,
Existence perpétuelle.
Vous assisterez tous,
Vieillissants, impuissants,
À la grande victoire
Contre le cours du temps.
Nous serons vos mémoires
Pour les siècles à venir.
Un singulier
présage, à l’approche de mes vingt-cinq ans. Les X-Men et autres Heroes ne sont
pas très loin, ceci dit.
Quel superbe texte, tu t'es surpassée, on sent vraiment l'amour de l'écriture. Quel étalage ! Ca va, tu t'es fait plaisir ? Quel manque de pudeur, d'humanité (dont tu te gargarises)... Tu vas passer à autre chose, un jour ?
RépondreSupprimerSinon, tout était vrai pour la labradorite. Je m'étais d'abord rendu à St Michel, puis direction Barbès à pied. Je ne suis simplement jamais allé la récupérer, ensuite.
N'efface pas stp, si tu as un minimum de principes. J'ai un droit de réponse.