samedi 18 juin 2016

Nevermind

Souvenirs musicaux

De Nirvana, je ne connais finalement que "Nevermind" et le live acoustique "Unplugged In New York". J’ai beaucoup écouté ce dernier, sorti l’année de la mort de Kurt Cobain. Les chansons, débarrassées des artifices électriques, n’en sont que plus fortes et sincères.

Je n’avais "Nevermind" que sur une mauvaise cassette, copiée au moment de sa sortie, en 1991. L’occasion m’était souvent donnée, dans les fêtes ou en boîte rock, de danser sur "Smells Like Teen Spirit". Les petits accords nerveux à la guitare, suivis des grands coups de batterie et de cette solide ligne de basse, sont d’entrée de jeu reconnaissables.

Il y a un son "Nirvana". Je ne me suis jamais lassée de l'énergie bouillonnante, teigneuse, sulfureuse, contenue dans ce morceau. C’est plein de rage, de hargne et de furie, Kurt Cobain a une voix d’écorché vif, hurlante, en grande colère.

Allez savoir, des fois, ce qui peut bien déterminer l’achat d’un album plutôt qu’un autre. La semaine dernière, en attendant mon cours de yoga, je suis allée visiter les rayons disques d’une grande surface.

Dans ma tête c'était relativement clair : je repère mais je n’achète pas. Je reviens quand j'ai des sous. Dès mon entrée, j’ai été attirée par des bacs entiers de promos sur des albums "cultes". J’ai mis le nez dedans, j’ai commencé à repérer quelques disques, pour voir.

Je me suis rapidement retrouvée avec "Reggata de Blanc" de Police, le premier Dire Straits et "Nervermind" de Nirvana. J’allais faire une entorse à mon règlement en m’autorisant l’achat d’un de ces disques à un prix, somme toute, très raisonnable.

Lequel des trois m’était le plus indispensable, aujourd’hui ? J’ai fait le choix. De Nirvana. Du bébé sous l’eau nageant vers un billet de un dollar accroché à un hameçon. Ça ne fait rien. Ou ça fait tout.

Depuis, je me nourris littéralement de cette musique sauvage, révoltée, dont j’ai été privée longtemps. Il y a des albums, comme ça, qui redeviennent indispensables, s'ils se trouvent en accord avec ce qu’on est, ce qu’on ressent.

En ce moment, moi c’est plutôt les trucs froids, colériques, désespérés. Alors je m’entends bien avec l’esprit de Nirvana.

Miss Kate, délibérément grunge

Ping-pong, courrier des Inrocks paru dans le numéro 479 (2 au 8 février 2005)

À lire sur Hautetfort :


À lire sur ce blog :
(Trois concerts de Jad Wio, Minimal Compact 1988, Jamais dans le cadre, De JS Bach à Joy Division, Charlélie Couture, Supertramp, Food for Thought, Clan of Xymox, Bossanova, Turn on the Bright Lights, Yeah…)

À lire aussi sur Hautetfort :
(Le secret de Patrice, Impasse du Levant, Laure aimait la vie)

(La veillée, Révélation, La maison)

(Enola Gay, Blood Sugar Sex Magik, Faith, Is this Love, Rodolphe Burger à l’île de Batz, Angie, The Needle and the Damage Done, Pyromane, London Calling, Perfect Kiss, Exposition, Christian Death le 1er novembre 1988)

vendredi 17 juin 2016

Immagini de Firenze, treno i albergo

Firenze, Italia, dal 4 maggio al 7 maggio 2016







Et hop ! Après une bonne nuit dans un train couchette, départ gare de Lyon, changement à Milan au lever du jour, je me trouvais en Toscane, à huit heures du matin, par un temps radieux. 
Au sortir de la gare Santa Maria Novella, long arrêt contemplatif sur la Piazza della Stazione : je m'imprègne de l'ambiance de la ville, de son rythme, de ses rues, de son architecture.
En face de moi, il y a l'église Santa Maria Novella. Premier choc esthétique de la journée, me rendant sur la place et contemplant cette façade décorée d'inspiration romane, ses portails gothiques, ses marbres éclatants dans le ciel bleu, sous un soleil réconfortant.
J'irai boire un café tout au bout de la place, sur une petite terrasse. Je n'oublierai pas de préciser "americano" pour que l'on me serve un allongé.
Plan en main, je ferai rouler ma petite valise jusqu'à mon hôtel, dans la Via Nazionale, pas très loin de la gare. La bonne nouvelle, c'est que ma chambre est déjà prête, que peux prendre possession de la clé et monter au premier étage, jusqu'à mon petit pied-à-terre, pour trois nuits, à Florence.










Quatre jours devant moi pour arpenter la ville, pour marcher dans ses rues, traverser ses places, m'y arrêter, revenir en arrière... Je lève la tête en permanence, photographiant, de ci delà, profitant du soleil, de la chaleur de ses rayons, de cieux cléments.
Je flânerai dans ses jardins, je longerai ses quais, je franchirai ses ponts, passant d'une rive à l'autre de l'Arno, préférant ceux moins fréquentés que le Ponte Vecchio.
Je me délecterai de tous ces panoramas sur la ville, du haut du Dôme, du Campanile, depuis le jardin de Boboli, la place Michel-Ange, le parvis de l'église San Miniato al Monte...
J'irai visiter certains de ses musées, certains de ses palais, par hasard ou par choix, selon, ses édifices religieux (pas tant que ça, je me contenterai la plupart du temps de les regarder de l'extérieur, m'étant par ailleurs imprégnée de tant et tant d'autres belles choses). 
Je n'ai pas succombé au syndrome de Stendhal mais tout de même, tant de magnificences m'ont souvent étourdie.





Florence, ville de la Renaissance, séjour régénérant pour mon corps, mon esprit et mon moral, aussi. Quelle douceur de vivre ! C'était, comme pour Venise en août 2015, la deuxième fois que je m'y rendais.

À l'été 1987, j'allais sur mes vingt-quatre ans et j'avais effectué, avec mon amie Christine, un grand périple en voiture dans l'Italie du Nord, d'abord Vérone, puis Venise, Florence, Sienne, Pise. Retour en France avec regret, en suivant la côte méditerranéenne, passant des cols en pleine forêt, traversant les villes balnéaires de la Riviera...

Tout au long de nos vacances ensoleillées, culturelles et touristiques, j'avais été impressionnée par toutes ces œuvres d'art à ciel ouvert, ces monuments, ces fresques, ces sculptures, j'avais eu la révélation de la beauté dans nombre d'églises peintes, décorées, recouvertes de mosaïques, où nous étions entrées.

J'avais aimé les soirées à Vérone où nous étions restées quelque temps, ses endroits animés autour des Arènes... Je me devais de retourner en Italie.

Prochain voyage en prévision : Rome, à l'automne, très certainement !


Pour visionner mes photos de Florence, cliquer sur ce lien :
Quatre jours à Florence



mercredi 15 juin 2016

Yeah

Souvenirs musicaux

Serais-je passée à côté de LCD Soundsystem si je n'avais pas eu l'occasion de les écouter au festival de la Route du Rock, l'été dernier ? Ce soir-là, j'ai été immédiatement happée par les mécanismes redoutables de cette musique tribale, primitive, organique.

James Murphy, le chanteur, avec sa tête hirsute et sa voix brute, taillée dans la masse, m’a fait l’effet d’être joyeusement décalé, très rock'n'roll. Ce groupe américain insolite, mêlant avec panache musique rock et électro, m’avait mise de très bonne humeur. J'étais sortie du set comme régénérée.

Fin août 2004, LCD Soundsystem était à Paris, à la Villette, pour un concert gratuit en plein air, avant Minimal Compact. Si je n’étais pas allée à la Route du Rock, je les aurais de toute façon découverts là, car le concert de Minimal Compact était incontournable.

J'ai encore revu LCD Soundsystem au festival des Inrocks, au mois de novembre, avec toujours un plaisir immense à danser sur ces rythmes hypnotiques, entêtants, dès l’apparition du chanteur leader au visage poupin, à la brosse coiffée à l’arrache. Un physique grassouillet, à la mise vestimentaire banale, quelconque, limite débraillée… Bien loin des critères de la rock star.

J'ai attendu fébrilement la sortie de l’album, fin janvier 2005 : nous y sommes enfin. Je suis allée chercher l’objet de mon désir, le coeur battant, chez le premier disquaire venu et je ne peux déjà plus m’en passer. Toute la musique de mon groupe préféré du moment sur un double CD !

Je l’écoute chez moi sur ma platine, elle m'accompagne dans la voiture ; je m'imprègne jusqu'à la moelle de ces fourmillements de sons, de rythmes, de percussions, du timbre de cette voix si particulière, à la fois désinvolte et rebelle.

Je découvre des morceaux que je n’avais pas entendus en concert, moins dansants mais tout aussi efficaces ; des remixes plus techno… Le titre que je préfère, c’est quand même l’imparable et définitif "Yeah" dans une "crass version" d’un peu plus de neuf minutes, un brin disco, délicieusement psychédélique.

Pourtant, quelque chose me manque terriblement : la scène, les lumières, le gros son, le public, le spectacle, la présence habitée de James Murphy, dorénavant mon idole.

Chose incroyable, LCD Soundsystem repasse prochainement deux fois sur Paris, à la Maroquinerie puis à l’Élysée Montmartre. J’y serai, c’est certain. 


À lire sur ce blog :
(Trois concerts de Jad Wio, Minimal Compact 1988, Jamais dans le cadre, De JS Bach à Joy Division, Charlélie Couture, Supertramp, Food for Thought, Clan of Xymox, Bossanova, Turn on the Bright Lights…)

À lire aussi sur Hautetfort :
(Le secret de Patrice, Impasse du Levant, Laure aimait la vie)

(La veillée, Révélation, La maison)

(Enola Gay, Blood Sugar Sex Magik, Faith, Is this Love, Rodolphe Burger à l’île de Batz, Angie, The Needle and the Damage Done, Pyromane, London Calling, Perfect Kiss, Exposition, Christian Death le 1er novembre 1988)

lundi 13 juin 2016

Turn on the Bright Lights

Souvenirs musicaux

Je l’avais noté dans mon carnet depuis quelque temps. À la rubrique "Musiques", où se trouvaient déjà : Nosfell (chanson étrange), Émilie Simon (trip hop, chanson), Avril (prix Constantin 2002), Beth Gibbons, Carlos Nunez, Du Oud, "L’imprudence" de Bashung, La Blanche (chanson française électro pop), System of a Down (metal gothique)…

J’avais rajouté : Interpol (new wave new-yorkaise). Je venais de lire un article qui présentait le groupe, puis une critique de l’album. J'étais impatiente de connaître leur musique. Étaient-ils vraiment bons, comme on avait bien voulu l’écrire ? Est-ce que ça n’allait pas sentir un peu le réchauffé, leur histoire ? Avaient-ils juste cherché à faire du neuf avec du vieux ?

La photo du groupe ne m’avait pas laissée indifférente. Ils posaient tous les quatre en costumes sombres, étriqués, la veste laissant apparaître un bout de cravate et une chemise unie. Leur tenue était sobre, stricte, leurs mines mi-figue, mi-raisin. L’un d’eux, le bassiste, à l’allure fluette, avait une mèche épaisse de cheveux noirs qui lui mangeait une partie du visage. Le regard habité, il semblait tout droit sorti d’une pochette de Kraftwerk ou de Marquis de Sade.

Le groupe affichait une apparence vestimentaire très "années quatre-vingt" à laquelle j’étais toujours sensible. J’aimais encore les gens en noir, les musiques douces-amères, les états d’âme, l'introspection… Je n’en avais gardé que le meilleur. Enfin, je crois. J’étais contente de savoir, qu’ici ou là, la new wave continuait à faire parler d’elle.

Je continuais à en écouter, par périodes ; je gravais sur CD les albums que je jugeais dignes d’intérêt. Je m’étais constitué, au fil des années, une collection de compilations où je pouvais retrouver des titres connus, sur lesquels j’aimais danser. La dernière en date se composait de quatre disques et se nommait "Ultimate New Wave". Depuis, je n’en avais pas racheté d’autres.

La médiathèque de la ville est plutôt bien fournie en nouveautés, mais ils n’avaient pas encore Interpol quand je l’ai demandé. Tant pis, je suis passée à autre chose… Un jour, à la fin du mois d’août 2003, je suis allée faire les boutiques dans un grand centre commercial, pas très loin de chez moi. Il pleuvait depuis le matin, il faisait gris et froid ; de quoi donner le cafard, juste avant la rentrée des classes.

Pas question de céder à la morosité, de sombrer dans l'inertie ! Comme il fait toujours beau, dans les galeries des centres commerciaux, je suis venue y chercher les lumières vives. La chaleur, même artificielle, me ferait du bien. Je pourrais me faire plaisir, m'acheter quelque chose…

Après avoir visité quelques magasins de vêtements où je n’ai rien trouvé d’intéressant, je me suis dirigée vers l’entrée du "marchand de produits culturels" et j’ai foncé droit vers les rayons disques. J’avais envie de m’abreuver, de boire à la source. J’ai enchaîné les bornes d’écoute, les unes après les autres.

Au bout du compte, rien ne m’enchantait vraiment. Je n'arrivais pas à accrocher, ni sur une musique, ni sur une autre. Tout me semblait fade, je n'avais le goût à rien. J’avais passé l’été seule, mon dernier petit ami en date m’avait quittée début juillet. La perspective de la rentrée, du retour au quotidien avec ses lourdeurs, ne m’enchantait guère. Je ne parvenais pas à apprécier quoi que ce soit, musicalement et autre. Ce n’était pas mon jour.

Avant de partir, je suis passée au rayon "rock indépendant". Et là  j'ai vu l'album à la pochette noire et rouge, avec ses petites lampes rondes, bien alignées : j'ai pensé au pont d’un bateau, la coursive d’une usine, les feux de la rampe d’un théâtre, ou ceux d’un cinéma… Un rectangle approximatif, de la couleur du sang, semblait flotter au milieu d’une obscurité profonde. Les lampes l’éclairaient comme une scène, mais la scène était vide.

Le nom du groupe et le titre de l’album, "Turn on the Bright Lights", étaient écrits sobrement, en blanc et en gris. J’ai retourné le carré de plastique : la même photo était représentée, mais cette fois-ci en noir et blanc. La scène était grise, les lumières y brillaient plus fort.

J'aimais le côté ferme, glacial, définitif, de la plupart des titres : "Untitled. Obstacle 1. NYC. PDA. Say Hello to the Angels. Hands Away. Obstacle 2. Stella was a diver and she was always down. Roland. The New. Leif Erikson." Je me suis dit que l’occasion était venue d’écouter Interpol : j’ai pris la direction des caisses et j’ai sorti ma carte bancaire.

"Turn on the Bright Lights" a rejoint la pile de mes disques préférés, il ne risque pas d’en bouger. Tout est dit dans ce jeu de batterie lourd et puissant, ces notes entêtantes de guitare, ces riffs graves, saturés, ce chant à fleur de peau et cette basse, impitoyablement efficace.

Évidemment, je ne peux pas m’empêcher de penser à tous ces groupes de référence qui ont largement inspiré les jeunes Américains. Ceux que je connais, du moins. J’y retrouve les accents d’Echo and the Bunnymen, des Smiths, d’Orchestre Rouge, de Bauhaus, de REM et bien sûr, Joy Division…

Les gars d'Interpol ressuscitent avec un certain panache l'univers musical des années quatre-vingt, leurs compositions restent originales, personnelles. C’est presque mieux. Cette fois c’est sûr, à la fin du mois, je fonce acheter le deuxième album. Les critiques sont toujours aussi engageantes ; il semblerait même qu'"Antics" soit encore plus réussi. Que la lumière soit.

À lire sur ce blog :
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samedi 11 juin 2016

L'appartement

Trilogie des voisines 1 sur 3

Septembre 2007

Une sorte de malédiction semblait peser sur cet appartement. Le couple qui avait habité là précédemment, au premier étage, s'était déjà montré particulièrement bruyant, peu respectueux du voisinage. Il se manifestait par des cris perçants, violents, cinglants ; ses disputes effroyables étaient généralement suivies de gémissements impudiques, particulièrement gênants pour l'entourage, caractéristiques d'une intense activité sexuelle de réconciliation.

La fille avait un comportement agressif, hystérique ; le garçon subissait, était poussé à bout. C'était, du moins, l'impression que j'avais, dans ce que j'entendais, presque au-dessus de ma tête. Elle le houspillait, le provoquait, lui faisait des reproches ; il ne semblait pas réagir. Alors elle insistait, revenait à la charge, toujours plus colérique, accusatrice. Il devait se contenir un moment puis le ton montait ; il finissait par perdre son calme et répondait lui aussi en criant. Dans mes souvenirs, je ne crois pas qu'ils en soient venus aux mains, qu'ils soient allés jusqu'à se battre. Leurs rapports étaient houleux, très conflictuels, mais la violence était, apparemment, surtout verbale.

Quand il n'en pouvait plus de toute cette agressivité, de toute cette méchanceté de la part de sa compagne, il quittait l'appartement en claquant fortement la porte derrière lui. Tout l'immeuble en vibrait. Ça valait mieux qu'une gifle. S'il parvenait à la "raisonner", s'en suivait une partie de jambes en l'air tout aussi peu discrète que la dispute qui avait précédé. C'est elle qu'on entendait le plus, dans ces moments-là aussi. Lui me faisait l'effet d'un homme objet, d'un pauvre type pris en otage, entraîné malgré lui dans une relation passionnelle orageuse, qui le dépassait et qu'il subissait, en victime consentante. Il devait malgré tout l'aimer sincèrement, cette harpie qui le malmenait si durement. Mais il aurait certainement préféré que les choses soient plus simples.

Ça a duré ainsi un an ou deux, peut-être davantage, je ne sais plus vraiment. C'était de temps en temps seulement, ça restait supportable. On en riait plutôt, dans l'immeuble. Mon voisin de gauche, qui habitait au rez-de-chaussée, comme moi, juste au-dessous de l'appartement des "gêneurs", m'avait raconté comment un repas familial printanier, pris sur la terrasse, avait été fortement perturbé par les manifestations plus qu'explicites du couple, qui baisait fenêtres ouvertes.

Dans cet immeuble où je suis toujours locataire, les appartements sont petits : ce sont des studios de 30 m2 avec salle de bain et WC séparés. Les gens qui viennent y vivre en couple et même quelquefois en famille ne sont là que transitoirement, en dépannage, en attente d'un endroit plus spacieux. Ça se comprend ! Nous ne sommes qu'une poignée d'irréductibles—tous des gens seuls— à vivre là depuis longtemps ; cela fera dix ans pour moi cette année ! Nous nous plaisons ici, la campagne est toute proche ; nous nous connaissons bien, nous nous rendons service…

Le couple infernal a fini par déménager, nous n'en avons plus entendu parler. Ont-ils trouvé un pavillon isolé, dans lequel se livrer, en toute impunité, à leurs petits jeux sadomasochistes ? Se sont-ils séparés ? Nous ne le saurons probablement jamais. D'autres locataires se sont installés dans l'appartement du premier étage sans que nous ayons à nous plaindre de quoi que ce soit. Du bruit, il y en a toujours un peu, dans ce genre d'immeuble aux cloisons minces, peu insonorisées ; mais tant que ça ne dépasse pas ni un certain niveau sonore ni une certaine fréquence… Nous acceptons la musique de l'un, la fête bien arrosée d'un autre, un chien qui aboie, des enfants qui jouent dans le couloir… Et si nous nous sentons vraiment dérangés, nous pouvons toujours aller frapper, en toucher deux mots.

Ce fut au tour d'une jeune femme blonde, très mince, environ la trentaine, plutôt jolie, d'emménager dans l'appartement du premier. C'était il y a deux ou trois ans, peut-être plus, je ne m'en souviens pas précisément. J'ai reçu une fois sa visite : elle était souriante, toute pimpante, très polie. Elle venait me dire que des ouvriers passeraient le lendemain par mon jardin pour lui installer une antenne parabolique ; elle s'inquiétait de savoir si je n'y voyais pas d'inconvénients. Elle voulait mon accord, pour ne pas avoir d'ennuis, a-t-elle rajouté. Je le lui donnai, bien sûr !

C'est quelques mois plus tard que les ennuis ont commencé, il me semble que c'était au printemps de l'an dernier. On se réveille en pleine nuit, on entend une violente dispute entre un homme et une femme. On ne sait pas de quel appartement ça vient, peut-être bien que ça se passe dehors ? C'est fort et intense, ça dure longtemps, sans apaisement. On essaye de se rendormir, on n'y parvient pas ; on hésite à sortir de chez soi pour aller voir ce qui se passe, on sort quand même, on ne voit rien, on n'arrive pas à déterminer d'où ça provient. De toute façon, c'est tellement délicat d'intervenir dans l'histoire d'un couple qui se déchire… On prend son mal en patience, ça finit par s'arrêter, on se rendort ; le lendemain on a presque oublié, on a juste mal dormi, fait un mauvais rêve…

Un mois après, ça recommence, on entend des insultes de part et d'autre, une voix de femme qui hurle : "Dégage !" et une voix d'homme qui la traite de salope. On comprend alors que ça vient du premier étage, de l'appartement du fond, à gauche, côté jardin. On repense à la jeune femme blonde, on a du mal à l'imaginer en furie, elle qui paraît si délicate, si douce, si calme. On se demande qui la maltraite, qui lui manque à ce point de respect. Cette nuit-là, elle le jette dehors, on entend la porte claquer et des pas dévaler les escaliers ; on pense alors : "Bon débarras !"

Mais quelques nuits plus tard, il revient à la charge, à une heure où tout le monde dort ; il cogne à sa porte, il crie, il veut qu'elle lui ouvre, elle ne veut pas, elle parle fort, elle est dans les reproches, il la supplie de lui ouvrir, il s'énerve, il donne des coups de pied, elle hurle de l'autre côté… Ça dure longtemps, c'est insupportable, personne n'intervient, on ne sait pas quoi faire, peut-être qu'il faudrait appeler la police ? Les bruits cessent enfin, il nous semble qu'il s'en va. On se dit, en cherchant le sommeil, qu'une histoire se termine ; que lorsqu'on en est là, dans les injures, la colère, le mépris, quand on ne se supporte plus, à ce point-là, il est temps que ça s'arrête.

Ça recommence, tout l'été, à l'automne, puis en hiver. Ils continuent à se voir, apparemment il vit chez elle, au moins par intermittence. Il lui fait des scènes terribles de jalousie, elle l'affronte, elle lui répond, ils se traitent de tous les noms ; elle le met à la porte, il revient, il demande pardon, elle accepte. Pendant quinze jours c'est le beau fixe, puis les crises recommencent, toujours en pleine nuit, indifféremment en semaine ou le week-end.

La police se déplace plusieurs fois. Il y a bien des gens que ça gêne, tout de même ! Ne serait-ce parce qu'en premier lieu, c'est du tapage nocturne : appelons les choses par leur nom ! Et puis surtout, cette jeune femme blonde, n'est-elle pas en danger, avec un homme jaloux, violent, qui la menace continuellement ? Nous en parlons, entre voisins. La retraitée nouvellement arrivée, au premier, dans l'appartement mitoyen, juste au-dessus du mien, nous affirme qu'il la frappe ; elle entend les claques, les coups, les pleurs, les plaintes. C'est elle qui a appelé la police à plusieurs reprises : elle ne pouvait pas supporter d'entendre cette femme se faire ainsi humilier, démolir, de l'autre côté de la cloison. Nous ne comprenons pas comment elle puisse rester avec un homme pareil. D'autant plus qu'une fois la police sur place, elle affirme que ce n'est rien, qu'il ne s'est rien passé de grave.

La voisine dit que maintenant, puisque cette femme couvre l'homme qui la bat, elle n'appellera plus la police. Nous savons dorénavant à quoi cet homme ressemble : petit, brun, baraqué, le regard fuyant, nous le voyons souvent attendre sa copine sur le parking. Il possède une énorme BMW noire et brillante, dont il prend grand soin. Nous nous demandons quand tout cela va s'arrêter, si cela va s'arrêter un jour. C'est toujours le même scénario : elle le met à la porte après un nouveau drame, il revient quelques jours plus tard faire le scandale devant sa porte à trois heures du matin, elle finit par lui ouvrir, ils vivent ensemble jusqu'à ce que la situation tourne à nouveau au vinaigre, elle le jette dehors…

La retraitée a déménagé fin mai, pour un appartement plus grand, et certainement plus calme. Cela fait maintenant plus d'un an que nous subissons des tapages incessants. Le plus triste là-dedans, c'est que contrairement au couple d'avant, aucun bruit dans l'appartement, ne vient, apparemment, témoigner d'une vie sexuelle démonstrative et débridée. Il n'y aurait donc pas de réconciliation sur l'oreiller ? Ou alors seulement des emportements pudiques, furtifs et silencieux, ne laissant aux voisins que le pire de leur vie intime ?

Les choses se sont accélérées à l'aube d'un nouvel été. Les clashs sont devenus de plus en plus fréquents, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, augmentant en volume et en violence. Ça devenait impossible à gérer. Le jour, je n'étais pas tranquille dans mon jardin, ils hurlaient les fenêtres ouvertes, les volets à moitié fermés, se jetant les pires insultes au visage. La nuit, mon sommeil était interrompu par des cris déments, surexcités ; j'entendais des objets qui tombaient par terre ou qu'on jetait contre les murs, des bruits de lutte, des corps qui s'affrontent, qui s'attrapent, qui se font mal ; et toujours ces injures insupportables, toujours les mêmes odieuses injures, et puis d'infâmes vulgarités.

Je ne parvenais pas à appeler la police, non par peur des représailles, mais parce que dans ma tête, je voyais clignoter les mots "délation", "collaboration", "pacte avec l'ennemi".  Mon camp n'a jamais été du côté de la police, alors j'ai choisi d'autres modes de "résistance", plus pacifiques mais peu efficaces, je dois l'avouer. J'ai prévenu le syndicat des propriétaires, j'ai affiché dans le couloir de l'immeuble des mots de mécontentement au lendemain d'une nouvelle crise, j'ai adressé au couple plusieurs lettres anonymes, courtoises mais menaçantes… Rien n'y a fait, bien sûr.

Lorsque je les croisais, ensemble ou individuellement, je détournais la tête et le regard, je ne leur disais pas bonjour. Ils me pourrissaient littéralement la vie mais je ne parvenais pas à le leur dire en face. J'avais peur d'affronter des gens capables de se comporter de façon aussi extrême, si loin de ma propre façon d'être et de penser. Car en retour, j'aurais reçu à coup sûr des agressions verbales, peut-être même des menaces, je n'avais pas envie d'alimenter leur rapport déjà exacerbé à la violence. Alors quoi ? Compter sur le ras-le-bol des voisins, attendre que les autres réagissent à ma place ?

Beaucoup ont essayé d'intervenir, à ce que j'en ai su, mais ils se sont faits proprement rembarrés. "Occupez-vous de vos affaires" leur a-t-on répondu. "Ne vous mêlez pas de ça, ça ne vous regarde pas !" L'enfer a continué tout l'été. Le couple fonctionnait toujours selon le même processus destructeur, c'était cyclique, personne n'était dupe. Que faire pour que ça cesse ?

J'en voulais à la jeune femme blonde d'aimer un tel homme, car il fallait bien qu'elle l'aime, pour accepter tout ça ? Je lui en voulais d'avoir aussi peu d'amour-propre, de se laisser frapper au point d'avoir à porter, pendant plus d'une semaine, des grosses lunettes noires pour cacher ses yeux meurtris. C'était malsain, mais je ne faisais rien ; c'en était d'autant plus malsain, je m'en voulais de ne rien faire.

Au tout début de ce mois de septembre 2007, après qu'elle l'a chassé une nouvelle fois avec perte et fracas, hurlements et claquements de porte—c'était un samedi soir—, j'ai pensé qu'on avait atteint les limites, qu'il fallait vraiment que ça s'arrête, que tout le monde allait devenir dingue. Le dimanche fut étrangement calme et reposant : il faisait beau, j'ai passé la journée dans le jardin, les volets sont restés fermés dans l'appartement du premier étage.

Les bruits ont démarré vers vingt heures trente, un boucan du diable, tonitruant, pétaradant, assourdissant. On aurait cru soudain que l'immeuble était en travaux : ça tapait avec un marteau, ça attaquait le métal à la perceuse ou à la scie, ça vrillait les oreilles, ça faisait trembler les murs, ça couvrait le son de la télé. Qu'avaient-ils encore inventé ?

Ça s'arrête puis ça recommence, une heure plus tard ça continue encore, ça devient intenable. Je me décide à sortir dans le couloir pour voir d'un peu plus près ce qui se passe—ça provient, à n'en pas douter, du premier étage—, je tombe nez à nez avec l'homme brun qui dévale les escaliers. Il me fait peur mais je trouve le courage de l'interpeller : "Qu'est-ce qu'il se passe ?" Il me répond que sa copine n'est pas là et qu'il veut entrer, ça ne prendra plus longtemps maintenant, son copain serrurier est venu l'aider pour ouvrir la porte. En fait, il cherchait à me rassurer, comme si la situation était tout à fait normale ! Je savais bien qu'il n'avait pas le droit de faire ça, qu'il n'était pas le locataire !

De retour chez moi, j'ai failli appeler la police—je savais maintenant qu'il fallait composer le 17—, puis je me suis dit que c'était à elle de régler ça. Cette fois-ci, puisqu'il allait vraiment trop loin, elle serait obligée de prendre les choses en main quand elle verrait sa porte fracturée à son retour ! Le vacarme a duré jusque vingt-deux heures trente sans que personne, apparemment, ne réagisse.

Le lundi soir en rentrant du travail, j'ai vu, sur le parking, une voiture de la police municipale. Dans le couloir, au rez-de-chaussée, l'homme se justifiait : c'était sa vie privée, ce qu'il avait fait ne regardait que lui. Le policier tentait de lui rappeler la loi, lui expliquait qu'il n'avait pas le droit, qu'on n'entrait pas chez les gens comme ça… Il lui a demandé de le suivre, l'a fait monter dans la voiture et j'ai pensé qu'il n'avait que ce qu'il méritait.

Dans la nuit du lundi au mardi, il y a eu de nouveau des coups et des cris, des échanges d'insultes dans l'appartement maudit. La femme hurlait, appelait au secours. Et rebelote ! C'en était trop ! Ça ne pouvait plus durer ! J'ai décroché le téléphone, j'ai tapé fébrilement le 17 et expliqué ce qu'il se passait à la dame du standard. Une demi-heure après, j'ai entendu des policiers monter jusqu'au premier. Ils sont redescendus avec l'homme, très excité, qui protestait.

Le mercredi matin, on me convoquait dans les locaux de la police nationale, pour témoigner. J'ai appris que la jeune femme blonde avait osé porter plainte, l'abcès pouvait enfin crever. "Avec tout ce que ce monsieur a à se reprocher, il ne devrait pas sortir avant un bon moment" m'a dit le policier. "Vous allez pouvoir souffler !"

Ce même mercredi, en fin de journée, je jardinais, quand j'ai entendu de la musique, des rires de filles dans l'appartement du premier étage. La jeune femme blonde avait invité ses copines ; les volets, habituellement entrebâillés, étaient ouverts en grand. C'est elle qui avait grand besoin de respirer, d'avoir la paix ! Le répit a été de courte durée : quinze jours plus tard, l'homme est revenu, comme si de rien n'était.