mardi 31 décembre 2013

Les nouveaux bonheurs

Octobre 2013

Première partie : Kiwi

C’est moi la plus douce, la plus mignonne, la plus câline, ma maîtresse me le dit tous les jours. Et tous les soirs, quand je m’endors avec elle, tandis qu’elle me caresse le ventre. C’est tellement agréable ! Je vais moins dehors la nuit, en ce moment. D’abord, il fait plus froid ou alors il pleut. Ensuite, il y a des chats qui me font peur, qui m’attaquent, qui me griffent, alors je préfère rester chez moi.

Tempo, toujours aussi gros et encore plus méchant qu’avant, aime être dehors, autant le jour que la nuit. Il vient manger aux heures où notre gentille maîtresse remplit nos gamelles puis repart, non sans avoir déposé çà et là des petits jets de pisse. C’est dégoûtant ! Ma maîtresse se met en colère contre lui, elle ne comprend pas pourquoi il fait ça, il est choyé, bien traité, il n’a aucune raison de se comporter ainsi. C’est pénible, à la longue. Quel triste individu !

Il est toujours fourré avec monsieur Patate, ce rouquin énorme, patibulaire, qui ne me fait que des misères, me prenant de haut, grognant, me menaçant. Il me poursuit, il me donne des coups de griffe, il m’entaille les oreilles… Monsieur Patate et Tempo, c’est la fine équipe, spécialisée dans les mauvais coups. De bien vilains personnages !

En ce moment, ça m’est plutôt égal, car je passe mes journées et mes nuits à dormir bien au chaud sur la couverture rouge. Ah ! Que je l’aime, cette couverture rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Le matin, ma maîtresse refait le lit, le met en position canapé et plie la couverture avec précaution. Elle m’invite à venir m’y coucher, après que j’ai eu mangé de bonnes croquettes, une bonne pâtée, et bu un peu de lait.

Je ne me fais pas prier ! Je ronronne, je piétine de mes pattes avant, je tète, je m’installe en rond, accompagnée par les encouragements et les caresses de ma maîtresse. Elle s’en va, je m’endors, contente, le ventre plein. Tout va bien.

J’ai six ans, maintenant. Ma maîtresse n’y croyait pas, l’autre jour, quand elle a feuilleté mon carnet de santé. « Et cela fait déjà trois ans que nous avons emménagé ici » a-t-elle ajouté à mon intention, tout en me caressant affectueusement le front. « Tu reviens de loin, toi ! Quelle aurait été ta vie si je ne t’avais pas recueillie ? Tu es la plus belle créature féline de toute la Terre ! »

Au début, quand je suis arrivée ici, j’ai eu un peu de mal à m’y faire. Le jardin est beaucoup moins grand, les voitures roulent à deux pas de la maison, sans parler des camions et des bus… Je ne me sentais pas en sécurité. Dans l’appartement, il n’y avait que des cartons. Des montagnes de cartons, où j’allais me cacher pour échapper à Tempo, toujours prêt à me harceler. Au fil des jours, ma maîtresse a aménagé l’espace, elle a construit des meubles, elle a rangé ses affaires dedans, les cartons ont disparu…

Il y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime tellement les chats !

 
Deuxième partie : Tempo

Plus les années passent, moins mon caractère s’arrange, ma maîtresse me le dit souvent, trop souvent à mon goût, ça me met en rogne ! Enfin oui, c’est vrai, je suis désagréable, je grogne, je hérisse les poils, je ne veux pas qu’elle me touche et si elle le fait quand même je la griffe et je crache… Malgré tout, elle reste gentille avec moi, elle me nourrit copieusement, elle me ressert, si j’ai encore faim.

Je n’ai jamais manqué de rien, je suis ici comme un coq en pâte, bien portant mais pas obèse, non. D’ailleurs, mon ami monsieur Patate, bien enrobé, corpulent comme moi, affirme ce que je sais déjà : être gros, c’est être beau, et cela donne un certain avantage sur les autres chats de la résidence. C’est lui le chef, il s’est imposé comme tel, avec sa carrure, sa force, sa combativité. Il n’hésite pas à flanquer de bonnes raclées à ceux ou celles qui voudraient se rebeller !

Cette chère Kiwi, si naïve, si craintive, en sait quelque chose ! Il se livre à de véritables courses poursuites avec elle quand il croise son chemin et ça ne se termine jamais bien. Ah ! La jolie petite chose n’est pas bien fière quand elle revient à la maison avec des griffures sur son corps longiligne et ses oreilles délicates…

Moi aussi j’ai subi les pires tortures et humiliations de la part de monsieur Patate. Au début de son arrivée ici, tout du moins. Car maintenant, je suis son plus fidèle serviteur et son meilleur ami. Je le respecte, je suis soumis, il le sait et j’en prends mon parti. Il me laisse à peu près tranquille et j’ai le privilège de l’accompagner dans ses virées nocturnes. Nous livrons de sacrés combats, tous les deux ! Nous leur en faisons voir, à ces chats qui se croient tout permis sur notre territoire !

Il y en a une qui ne va pas être facile à mater, cependant. Ah ! Qu’est-ce que je rigole quand je vois monsieur Patate se sauver devant elle ! Il n’a pas spécialement peur, il est plutôt surpris par l’affront de cette petite créature bondissante ! C’est Pirouette, un curieux chaton, têtu, monté sur piles, qui ne pense qu’à jouer et à provoquer les anciens. Moi aussi, je me laisse distraire par son cirque permanent, ses pitreries. Ça me rappelle ma tendre jeunesse, mon enfance, mon innocence…

Je ne suis pas souvent chez moi, en ce moment. Quand j’ai sommeil, je dors sous un buisson, à l’abri du vent, de la pluie ou du soleil quand il y en a. Parfois, la journée, quand ma maîtresse reste à la maison, je reste avec elle. Et si la couverture rouge, bien pliée sur le canapé lit, est libre, je m’y couche et je m’y endors, heureux comme un pape… Ah ! Que je l’aime, cette couverture rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Je ne la partage pas, ça non. J’y suis, j’y reste, et jusqu’au soir.

Quand ma maîtresse veut gentiment me caresser, me flatter et que je lui attrape la main pour la griffer, elle me dit que je suis fou, que j’ai eu de la chance d’avoir été adopté par elle, que chez d’autres gens, on m’aurait mis à la porte depuis longtemps, envoyé à la SPA ou ramené à l’école du chat... Je suis irrécupérable, complètement taré, malfaisant. Ce sont ses propres mots lorsqu’elle est vraiment très en colère.

Je viens d’avoir onze ans, c’est encore le bel âge, je me sens jeune, en pleine possession de mes moyens, même si mon pelage noir se constelle, ici et là, de petites taches blanches. C’est la maturité, la force de l’âge. Jamais malade, toujours dehors, en toute saison. J’aime la pluie, la neige, le vent, les bourrasques.

Ce n’est pas comme la petite précieuse, qui n’aime pas se mouiller les pattes, qui pleure si par hasard une goutte lui tombe sur le coin du museau… Toujours fourrée à la maison, celle-là, à couiner devant la maîtresse pour qu’elle la prenne dans ses bras !

Moi, je ne me chauffe pas de ce bois-là. Certes, j’aime la chaleur du foyer après quelques nuits passées dehors à m’occuper de mes affaires, je mange alors copieusement avant de m’affaler dans un endroit où je vais être tranquille, comme la baignoire, j'adore ! Ma maîtresse, avec sa gentillesse habituelle, y dépose une serviette de toilette exprès pour moi. Je ronronne, je piétine de mes pattes avant, je me mets en rond et je finis par m’endormir, repus et satisfait.

J’aime ma maison, malgré tout, cette nouvelle maison où nous sommes depuis trois ans maintenant. La maîtresse a bien arrangé son nouveau lieu de vie, un peu plus grand que le précédent, en rez-de-chaussée également, avec une porte-fenêtre. C’est si pratique, pour entrer et sortir !

Il y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime tellement les chats !

 
Troisième partie : Léa

On me croyait mourante, me voici plus en forme que jamais ! Coriace, vivace, tenace, vorace, me dit ma maîtresse, qui me connaît si bien, qui s’occupe de moi à la perfection, me donnant tous les jours un cachet pour le cœur et pour les reins, m’emmenant chez le vétérinaire si je suis malade…

Comme cet été, quand je ne pouvais plus faire pipi, que ça me brûlait dans le ventre, que je n’avais plus ni faim ni soif. Heureusement, tout s’est arrangé. Ma maîtresse m’a forcée à avaler des cachets dont je ne voulais pas, que j’essayais par tous les moyens de recracher, mais dans le fond je le savais que c’était pour mon bien, pour ma santé. Ma maîtresse a tout fait pour me soigner.

J’ai fêté mes dix-huit ans au mois de juin. Ce n’est pas si courant, dix-huit ans, pour un chat ! Ma maîtresse m’a complimentée, elle est très fière de moi, elle me prend dans ses bras, elle m’appelle son « vieux chat ». Elle me parle doucement, tout près de mes oreilles. Elle sait que je suis sourde, complètement sourde, sourde comme un pot. Elle sait aussi que je la comprends quand elle me parle, quand elle me flatte par de jolis mots, exprès pour moi.

Je continue à manger avec appétit, parfois trop vite, et cela me fait vomir. C’est sûr, dès le matin au petit-déjeuner, ça n’enchante pas ma maîtresse de nettoyer. Je n’y peux rien, je suis âgée, j’ai les intestins dérangés. Au cours des années, j’ai perdu de la graisse, des muscles. J’aimerais bien être moins maigre, moins décharnée.

Quelquefois, la nourriture me dégoûte ; à d’autres moments je suis très affamée. Surtout quand ma maîtresse mange de ces choses à la si bonne odeur : du thon, du jambon, du steak… Elle en garde toujours un peu pour moi. Quand elle considère qu’elle m’en a donné assez, si j’insiste elle se fâche. Si j’insiste encore, elle me prend sous un bras, ouvre la porte fenêtre et me dépose délicatement sur la terrasse, sans un mot, puis retourne à son repas. J’ai beau gratter au carreau, rien n’y fait, je suis condamnée à rester dehors, comme une pauvre malheureuse. Pourquoi n’ai-je pas droit à ces bonnes choses plus souvent ?

D’accord, j’ai mes croquettes, « les croquettes de Léa » que ma jeune colocataire noire et blanche s’obstine à vouloir chiper sans cesse. Elle monte jusqu’à l’endroit qui m’est réservé, sur la machine à laver le linge, et avale ouvertement ma nourriture. Cela amuse plutôt ma maîtresse, qui prend la petite coupable dans ses bras, la pose par terre près de son plateau et lui verse une poignée de « mes » croquettes dans sa gamelle. Pauvre chérie !

Enfin j’en ai vu d’autres, et comparé à l’affreux Tempo qui éprouve un malin plaisir à me martyriser, Kiwi, avec ses jolies pattes blanches, son cou et ses moustaches assorties, est de bonne compagnie. Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi, quand l’un ou l’autre m’exaspère, à venir me flairer de trop près, je grogne, je souffle, je crache et je menace. Cela suffit à les faire reculer, à se tenir tranquille, à me laisser tranquille.

Quand je suis vraiment contrariée, je m’énerve au point de tousser, de m’étrangler ; je sais, c’est moche. Quand ma maîtresse me voit dans cet état, elle me dit en riant : « Ne sois pas ridicule, Léa, tu te fais du mal pour rien ! » Je suis vieille, voilà tout, et je n’ai plus autant de patience qu’avant, dans mes jeunes années.

J’ai vécu seule, longtemps, avec ma maîtresse pour moi, exclusivement. Il y avait bien quelques invités, de temps en temps, pour les vacances : Igor, le chat élégant tout blanc, Speedy, la tigrée grise. Ils sont morts maintenant, paix à leur âme… Plus tard, Bianco s’est installé à la maison : une créature magnifique, blanc aux yeux vairons, un jaune, un bleu. Charmant, vraiment. Il a disparu du jour au lendemain. Ma maîtresse en a été fort triste, moi aussi, je l’aimais bien. Puis l’horrible chaton Tempo est arrivé et celui-là, rien à faire pour s’en débarrasser. Sale bête !

J’ai une belle vie, une longue et belle vie, bien remplie. Je ne sors plus beaucoup, j’apprécie l’intérieur de ma nouvelle maison, un peu plus spacieuse que la précédente, avec tous ces endroits que ma maîtresse met à ma disposition pour que je pique un gros roupillon. Ce que je préfère, c’est quand elle s’installe confortablement sur le canapé après avoir préparé un film à regarder sur l’écran de la télé ou de l’ordinateur.

Elle déplie la couverture rouge, se cale contre les oreillers, manie les télécommandes et démarre la projection… Je viens alors la rejoindre, je m’installe moi aussi, tout près d’elle. Ah ! Que je l’aime cette couverture rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Je m’endors contre ma maîtresse en ronronnant. Elle s’endort parfois, aussi. C’est malin ! Nous voilà bien, toutes les deux, ronflant sur le canapé, devant un film qui défile sans spectatrices…

Il y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime tellement les chats !

 
Quatrième partie : Pirouette, décembre 2013

Oh là là ! Quelle aventure ! Depuis que la dame blonde m’ouvre sa porte et me donne à manger, qu’elle ne me chasse plus, qu’elle s’occupe de moi, qu’elle joue avec moi, je me sens tellement mieux, bien plus heureuse !

Je peux même dormir chez elle, de temps en temps, le jour ou la nuit, sur son canapé lit. Il y a dessus une couverture rouge, moelleuse et confortable, si agréable pour s’abandonner au sommeil…

Moi, Pirouette, arrivée tout bébé chez mon maître à la fin du printemps, je préfère et de loin la maison de la dame blonde ! Alors dès que je peux, je viens chez elle. Surtout que mon maître me laisse souvent et longtemps dehors ; il rentre tard, au milieu de la nuit, au petit matin… Je ne sais pas où aller, moi, quand il pleut, quand il fait froid…

Maintenant, quand je me poste à la fenêtre de la dame blonde, elle n’hésite plus à m’ouvrir, à me faire partager son intérieur, son quotidien avec ses trois autres chats. D’ailleurs, ils sont plutôt gentils avec moi, ils me laissent prendre mes aises sur la couverture rouge. Je verrai bien ce que l’avenir me réservera, la vie est devant moi !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire