Première partie : Kiwi
C’est
moi la plus douce, la plus mignonne, la plus câline, ma maîtresse me le dit
tous les jours. Et tous les soirs, quand je m’endors avec elle, tandis qu’elle
me caresse le ventre. C’est tellement agréable ! Je vais moins dehors la
nuit, en ce moment. D’abord, il fait plus froid ou alors il pleut. Ensuite, il
y a des chats qui me font peur, qui m’attaquent, qui me griffent, alors je
préfère rester chez moi.
Tempo,
toujours aussi gros et encore plus méchant qu’avant, aime être dehors, autant
le jour que la nuit. Il vient manger aux heures où notre gentille maîtresse
remplit nos gamelles puis repart, non sans avoir déposé çà et là des petits
jets de pisse. C’est dégoûtant ! Ma maîtresse se met en colère contre lui,
elle ne comprend pas pourquoi il fait ça, il est choyé, bien traité, il n’a
aucune raison de se comporter ainsi. C’est pénible, à la longue. Quel triste
individu !
Il
est toujours fourré avec monsieur Patate, ce rouquin énorme, patibulaire, qui
ne me fait que des misères, me prenant de haut, grognant, me menaçant. Il me
poursuit, il me donne des coups de griffe, il m’entaille les oreilles… Monsieur
Patate et Tempo, c’est la fine équipe, spécialisée dans les mauvais coups. De bien
vilains personnages !
En
ce moment, ça m’est plutôt égal, car je passe mes journées et mes nuits à
dormir bien au chaud sur la couverture rouge. Ah ! Que je l’aime, cette
couverture rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Le matin, ma
maîtresse refait le lit, le met en position canapé et plie la couverture avec précaution.
Elle m’invite à venir m’y coucher, après que j’ai eu mangé de bonnes
croquettes, une bonne pâtée, et bu un peu de lait.
Je
ne me fais pas prier ! Je ronronne, je piétine de mes pattes avant, je
tète, je m’installe en rond, accompagnée par les encouragements et les caresses
de ma maîtresse. Elle s’en va, je m’endors, contente, le ventre plein. Tout va
bien.
J’ai
six ans, maintenant. Ma maîtresse n’y croyait pas, l’autre jour, quand elle a
feuilleté mon carnet de santé. « Et cela fait déjà trois ans que nous
avons emménagé ici » a-t-elle ajouté à mon intention, tout en me caressant
affectueusement le front. « Tu reviens de loin, toi ! Quelle aurait
été ta vie si je ne t’avais pas recueillie ? Tu es la plus belle créature
féline de toute la Terre ! »
Au
début, quand je suis arrivée ici, j’ai eu un peu de mal à m’y faire. Le jardin
est beaucoup moins grand, les voitures roulent à deux pas de la maison, sans
parler des camions et des bus… Je ne me sentais pas en sécurité. Dans
l’appartement, il n’y avait que des cartons. Des montagnes de cartons, où
j’allais me cacher pour échapper à Tempo, toujours prêt à me harceler. Au fil
des jours, ma maîtresse a aménagé l’espace, elle a construit des meubles, elle
a rangé ses affaires dedans, les cartons ont disparu…
Il
y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare
le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier
vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus
rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la
porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime tellement
les chats !
Deuxième partie : Tempo
Plus
les années passent, moins mon caractère s’arrange, ma maîtresse me le dit
souvent, trop souvent à mon goût, ça me met en rogne ! Enfin oui, c’est
vrai, je suis désagréable, je grogne, je hérisse les poils, je ne veux pas
qu’elle me touche et si elle le fait quand même je la griffe et je crache…
Malgré tout, elle reste gentille avec moi, elle me nourrit copieusement, elle
me ressert, si j’ai encore faim.
Je
n’ai jamais manqué de rien, je suis ici comme un coq en pâte, bien portant mais
pas obèse, non. D’ailleurs, mon ami monsieur Patate, bien enrobé, corpulent
comme moi, affirme ce que je sais déjà : être gros, c’est être beau, et
cela donne un certain avantage sur les autres chats de la résidence. C’est lui
le chef, il s’est imposé comme tel, avec sa carrure, sa force, sa combativité.
Il n’hésite pas à flanquer de bonnes raclées à ceux ou celles qui voudraient se
rebeller !
Cette
chère Kiwi, si naïve, si craintive, en sait quelque chose ! Il se livre à
de véritables courses poursuites avec elle quand il croise son chemin et ça ne
se termine jamais bien. Ah ! La jolie petite chose n’est pas bien fière
quand elle revient à la maison avec des griffures sur son corps longiligne et ses
oreilles délicates…
Moi
aussi j’ai subi les pires tortures et humiliations de la part de monsieur
Patate. Au début de son arrivée ici, tout du moins. Car maintenant, je suis son
plus fidèle serviteur et son meilleur ami. Je le respecte, je suis soumis, il
le sait et j’en prends mon parti. Il me laisse à peu près tranquille et j’ai le
privilège de l’accompagner dans ses virées nocturnes. Nous livrons de sacrés
combats, tous les deux ! Nous leur en faisons voir, à ces chats qui se
croient tout permis sur notre territoire !
Il
y en a une qui ne va pas être facile à mater, cependant. Ah ! Qu’est-ce
que je rigole quand je vois monsieur Patate se sauver devant elle ! Il n’a
pas spécialement peur, il est plutôt surpris par l’affront de cette petite
créature bondissante ! C’est Pirouette, un curieux chaton, têtu, monté sur
piles, qui ne pense qu’à jouer et à provoquer les anciens. Moi aussi, je me
laisse distraire par son cirque permanent, ses pitreries. Ça me rappelle ma
tendre jeunesse, mon enfance, mon innocence…
Je
ne suis pas souvent chez moi, en ce moment. Quand j’ai sommeil, je dors sous un
buisson, à l’abri du vent, de la pluie ou du soleil quand il y en a. Parfois,
la journée, quand ma maîtresse reste à la maison, je reste avec elle. Et si la
couverture rouge, bien pliée sur le canapé lit, est libre, je m’y couche et je
m’y endors, heureux comme un pape… Ah ! Que je l’aime, cette couverture
rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Je ne la partage pas, ça non.
J’y suis, j’y reste, et jusqu’au soir.
Quand
ma maîtresse veut gentiment me caresser, me flatter et que je lui attrape la
main pour la griffer, elle me dit que je suis fou, que j’ai eu de la chance
d’avoir été adopté par elle, que chez d’autres gens, on m’aurait mis à la porte
depuis longtemps, envoyé à la SPA ou ramené à l’école du chat... Je suis
irrécupérable, complètement taré, malfaisant. Ce sont ses propres mots
lorsqu’elle est vraiment très en colère.
Je
viens d’avoir onze ans, c’est encore le bel âge, je me sens jeune, en pleine
possession de mes moyens, même si mon pelage noir se constelle, ici et là, de
petites taches blanches. C’est la maturité, la force de l’âge. Jamais malade,
toujours dehors, en toute saison. J’aime la pluie, la neige, le vent, les
bourrasques.
Ce
n’est pas comme la petite précieuse, qui n’aime pas se mouiller les pattes, qui
pleure si par hasard une goutte lui tombe sur le coin du museau… Toujours
fourrée à la maison, celle-là, à couiner devant la maîtresse pour qu’elle la
prenne dans ses bras !
Moi,
je ne me chauffe pas de ce bois-là. Certes, j’aime la chaleur du foyer après
quelques nuits passées dehors à m’occuper de mes affaires, je mange alors
copieusement avant de m’affaler dans un endroit où je vais être tranquille,
comme la baignoire, j'adore ! Ma maîtresse, avec sa gentillesse habituelle,
y dépose une serviette de toilette exprès pour moi. Je ronronne, je piétine de
mes pattes avant, je me mets en rond et je finis par m’endormir, repus et
satisfait.
J’aime
ma maison, malgré tout, cette nouvelle maison où nous sommes depuis trois ans
maintenant. La maîtresse a bien arrangé son nouveau lieu de vie, un peu plus
grand que le précédent, en rez-de-chaussée également, avec une porte-fenêtre.
C’est si pratique, pour entrer et sortir !
Il
y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare
le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier
vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus
rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la
porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime
tellement les chats !
Troisième partie : Léa
On
me croyait mourante, me voici plus en forme que jamais ! Coriace, vivace,
tenace, vorace, me dit ma maîtresse, qui me connaît si bien, qui s’occupe de
moi à la perfection, me donnant tous les jours un cachet pour le cœur et pour
les reins, m’emmenant chez le vétérinaire si je suis malade…
Comme
cet été, quand je ne pouvais plus faire pipi, que ça me brûlait dans le ventre,
que je n’avais plus ni faim ni soif. Heureusement, tout s’est arrangé. Ma
maîtresse m’a forcée à avaler des cachets dont je ne voulais pas, que
j’essayais par tous les moyens de recracher, mais dans le fond je le savais que
c’était pour mon bien, pour ma santé. Ma maîtresse a tout fait pour me soigner.
J’ai
fêté mes dix-huit ans au mois de juin. Ce n’est pas si courant, dix-huit ans,
pour un chat ! Ma maîtresse m’a complimentée, elle est très fière de moi,
elle me prend dans ses bras, elle m’appelle son « vieux chat ». Elle
me parle doucement, tout près de mes oreilles. Elle sait que je suis sourde,
complètement sourde, sourde comme un pot. Elle sait aussi que je la comprends
quand elle me parle, quand elle me flatte par de jolis mots, exprès pour moi.
Je
continue à manger avec appétit, parfois trop vite, et cela me fait vomir. C’est
sûr, dès le matin au petit-déjeuner, ça n’enchante pas ma maîtresse de
nettoyer. Je n’y peux rien, je suis âgée, j’ai les intestins dérangés. Au cours
des années, j’ai perdu de la graisse, des muscles. J’aimerais bien être moins
maigre, moins décharnée.
Quelquefois,
la nourriture me dégoûte ; à d’autres moments je suis très affamée.
Surtout quand ma maîtresse mange de ces choses à la si bonne odeur : du
thon, du jambon, du steak… Elle en garde toujours un peu pour moi. Quand elle
considère qu’elle m’en a donné assez, si j’insiste elle se fâche. Si j’insiste
encore, elle me prend sous un bras, ouvre la porte fenêtre et me dépose
délicatement sur la terrasse, sans un mot, puis retourne à son repas. J’ai beau
gratter au carreau, rien n’y fait, je suis condamnée à rester dehors, comme une
pauvre malheureuse. Pourquoi n’ai-je pas droit à ces bonnes choses plus
souvent ?
D’accord,
j’ai mes croquettes, « les croquettes de Léa » que ma jeune
colocataire noire et blanche s’obstine à vouloir chiper sans cesse. Elle monte
jusqu’à l’endroit qui m’est réservé, sur la machine à laver le linge, et avale
ouvertement ma nourriture. Cela amuse plutôt ma maîtresse, qui prend la petite
coupable dans ses bras, la pose par terre près de son plateau et lui verse une
poignée de « mes » croquettes dans sa gamelle. Pauvre chérie !
Enfin
j’en ai vu d’autres, et comparé à l’affreux Tempo qui éprouve un malin plaisir
à me martyriser, Kiwi, avec ses jolies pattes blanches, son cou et ses
moustaches assorties, est de bonne compagnie. Mais je n’y peux rien, c’est plus
fort que moi, quand l’un ou l’autre m’exaspère, à venir me flairer de trop
près, je grogne, je souffle, je crache et je menace. Cela suffit à les faire
reculer, à se tenir tranquille, à me laisser tranquille.
Quand
je suis vraiment contrariée, je m’énerve au point de tousser, de m’étrangler ;
je sais, c’est moche. Quand ma maîtresse me voit dans cet état, elle me dit en
riant : « Ne sois pas ridicule, Léa, tu te fais du mal pour
rien ! » Je suis vieille, voilà tout, et je n’ai plus autant de
patience qu’avant, dans mes jeunes années.
J’ai
vécu seule, longtemps, avec ma maîtresse pour moi, exclusivement. Il y avait
bien quelques invités, de temps en temps, pour les vacances : Igor, le
chat élégant tout blanc, Speedy, la tigrée grise. Ils sont morts maintenant,
paix à leur âme… Plus tard, Bianco s’est installé à la maison : une
créature magnifique, blanc aux yeux vairons, un jaune, un bleu. Charmant,
vraiment. Il a disparu du jour au lendemain. Ma maîtresse en a été fort triste,
moi aussi, je l’aimais bien. Puis l’horrible chaton Tempo est arrivé et
celui-là, rien à faire pour s’en débarrasser. Sale bête !
J’ai
une belle vie, une longue et belle vie, bien remplie. Je ne sors plus beaucoup,
j’apprécie l’intérieur de ma nouvelle maison, un peu plus spacieuse que la
précédente, avec tous ces endroits que ma maîtresse met à ma disposition pour
que je pique un gros roupillon. Ce que je préfère, c’est quand elle s’installe
confortablement sur le canapé après avoir préparé un film à regarder sur
l’écran de la télé ou de l’ordinateur.
Elle
déplie la couverture rouge, se cale contre les oreillers, manie les
télécommandes et démarre la projection… Je viens alors la rejoindre, je
m’installe moi aussi, tout près d’elle. Ah ! Que je l’aime cette
couverture rouge ! Si moelleuse, si confortable ! Je m’endors contre ma
maîtresse en ronronnant. Elle s’endort parfois, aussi. C’est malin ! Nous
voilà bien, toutes les deux, ronflant sur le canapé, devant un film qui défile
sans spectatrices…
Il
y a cette grande et large étagère au milieu de la pièce principale, qui sépare
le coin chambre du coin bureau. En bas de l’étagère, elle a laissé un casier
vide, très utile comme passage lorsqu’on est un chat, afin d’aller plus
rapidement de la chambre vers le couloir, la salle de bains et la litière, la
porte d’entrée… Elle pense à tout, ma chère maîtresse ! Elle aime
tellement les chats !
Quatrième
partie : Pirouette, décembre 2013
Oh
là là ! Quelle aventure ! Depuis que la dame blonde m’ouvre sa porte
et me donne à manger, qu’elle ne me chasse plus, qu’elle s’occupe de moi,
qu’elle joue avec moi, je me sens tellement mieux, bien plus heureuse !
Je
peux même dormir chez elle, de temps en temps, le jour ou la nuit, sur son
canapé lit. Il y a dessus une couverture rouge, moelleuse et confortable, si
agréable pour s’abandonner au sommeil…
Moi,
Pirouette, arrivée tout bébé chez mon maître à la fin du printemps, je préfère
et de loin la maison de la dame blonde ! Alors dès que je peux, je viens
chez elle. Surtout que mon maître me laisse souvent et longtemps dehors ; il
rentre tard, au milieu de la nuit, au petit matin… Je ne sais pas où aller,
moi, quand il pleut, quand il fait froid…
Maintenant,
quand je me poste à la fenêtre de la dame blonde, elle n’hésite plus à
m’ouvrir, à me faire partager son intérieur, son quotidien avec ses trois
autres chats. D’ailleurs, ils sont plutôt gentils avec moi, ils me laissent
prendre mes aises sur la couverture rouge. Je verrai bien ce que l’avenir me
réservera, la vie est devant moi !
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