lundi 20 août 2012

Le mentir vrai


J'ai commencé à le faire le jour de la rentrée des grandes vacances. Ça durerait toute une année scolaire, jusqu'à ce que je trouve la force de tout avouer à Isabelle.

Ce premier jour de classe, le premier en 5e, nous nous étions retrouvées avec joie dans la cour du collège. Notre plaisir fut immense lorsque nous apprîmes que nous serions, cette année encore, dans la même classe.

Restant toutes deux à la cantine, nous avions eu tout le loisir de bavarder après déjeuner. Nous étions fières d'avoir un nouveau cartable, nous avions passé en revue toutes nos fournitures, qui sentaient bon le neuf. Nous avions feuilleté avec curiosité les manuels qu'on nous avait donnés au cours de la matinée, nous avions hâte de nous remettre à étudier.

Isabelle m'avait raconté ses vacances en Espagne avec ses parents et son petit frère, au mois d'août. Elle s'était baignée tous les jours, s'était fait des amis, avait mangé des glaces de toutes les couleurs, aux parfums incroyables, avait bien bronzé…

Et moi, qu'allais-je pouvoir dire à Isabelle, sur ces deux mois d'été ? C'était si confus dans ma tête, si flou, si douloureux, si compliqué ! Est-ce qu'Isabelle comprendrait ?

Comment allais-je pouvoir lui parler de mon séjour à Marseille avec ma mère et cet homme qui n'était pas mon père ? Comment les mots allaient-ils me sortir de la bouche, pour raconter des faits que je subissais ? Comment annoncer à Isabelle la séparation, maintenant effective, de mes parents ? C'était tellement difficile à vivre, dur à réaliser…

Les choses avaient eu lieu, là, durant l'été : ma mère avait déménagé à Reims, emmenant mon petit frère, pour vivre avec son amant. Comment l'appeler autrement ? Moi, je restais avec mon père et les deux chats, dans l'appartement familial, si grand et maintenant vidé d'une partie de ses meubles.

C'était sûrement mieux ainsi. Les mois précédents n'avaient été que souffrance, conflits, chaos. Les discussions sans fin, les cris, les larmes, les histoires d'adultes, je n'en avais été que trop le témoin. Ils ne m'avaient rien épargné. Je vivais dans l'angoisse, sans jamais pouvoir en parler à personne. Comment dire de telles choses ? Je n'étais qu'une enfant.

Je me surpris à raconter à Isabelle, avec force détails, mes vacances à Marseille, avec mes parents et mon petit frère. C'était trop tard. Je ne pourrais plus revenir en arrière, du moins pas tout de suite.

C'était la première fois que je mentais de cette façon et qui plus est, à ma meilleure amie. Je mentirais encore, jour après jour, décrivant à Isabelle une vie de famille heureuse, qui n'était pas la mienne.

Quand je parlais, j'y croyais. Isabelle y croyait, aussi. C'était pour moi, à ce moment-là, la seule façon acceptable d'envisager ma vie.


Photographies : Le Mont Bernon (Epernay)

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