vendredi 11 février 2011

Hiver blanc


Trilogie champenoise : 3/3

L'hiver avait commencé tôt, en cette année 2010. Dès fin novembre, il a neigé. D'abord de petites quantités, saupoudrant les toits, les trottoirs, les jardins, les arbres, la campagne. C'était joli, ces paysages tout blancs, il y avait aussi cette joie de voir tomber les flocons, de fouler un tapis poudreux, de retrouver des souvenirs d'enfance… La neige a un côté magique, féerique, enfantin.


Le seul hic, c'est la voiture, quand il faut la prendre pour aller travailler ! Les routes sont moins sûres, pas forcément salées, ni déneigées. Ça s'est amplifié début décembre, tous les jours il neigeait, on s'habillait et se chaussait en conséquence, on mettait un bonnet, des gants et une écharpe aux couleurs vives, on s'habituait à cette blancheur cotonneuse, à cette sensation de torpeur, de rêve éveillé.


Le mercredi 8 décembre, j'avais prévu d'aller voir Nadège, qui habite à une trentaine de kilomètres de chez moi. Malgré les prévisions météorologiques annonçant de grosses chutes de neige en début d'après-midi, je n'ai pas voulu annuler le rendez-vous. Quand je suis partie vers onze heures trente, il pleuvait. J'étais loin d'imaginer que le retour serait hautement périlleux, que je resterais cinq heures dans ma voiture, à pédaler dans la poudreuse… J'avais envie de passer un bon moment avec Nadège, c'était important. Nous avons déjeuné ensemble, il a commencé à neiger, nous sommes sorties pour une courte balade dans son village, avec son chien… D'énormes flocons se déversaient, la couche était déjà épaisse, nous avons pris des photos.


Je suis repartie trop tard, les routes n'étaient pas déneigées, je me suis retrouvée bloquée comme des milliers d'autres automobilistes, ça a fait les choux gras des médias pendant une semaine. J'ai eu du mal à me remettre de cet épisode catastrophique, le lendemain j'aurais bien été incapable de conduire. La bronchite qui couvait depuis une bonne semaine s'est déclarée dans la nuit. Au réveil j'étais fébrile, complètement à plat. Dehors c'était immaculé, de la neige à ras bord. Je suis allée à pied chez le médecin, il m'a fait un arrêt de travail de deux jours. Une bonne excuse pour ne pas bouger : jeudi, vendredi, samedi, dimanche… Je me suis bien retapée, entre temps la neige avait fondu. J'ai repris ma voiture pour aller travailler.


Les vacances de Noël sont arrivées vite, le premier week-end je suis restée chez moi, bien au chaud dans mon appartement. Je l'avais décoré de quelques guirlandes et de boules, je faisais fleurir des jacinthes, le soir j'allumais des bougies, un bâton d'encens, je branchais le ruban de lumières intermittentes… Le matin : faire la grasse matinée, prendre un café, un petit-déjeuner, puis se remettre au lit pour regarder un DVD… Du travail sur l'ordinateur l'après-midi : des écrits à finir pour mon blog, des questions journalistiques à boucler avant Noël, pour partir "tranquille". De la correspondance électronique, aussi, avec de vieux amis retrouvés récemment par Internet.


Dommage, j'allais si bien au début des vacances, mais j'ai chopé une gastro, ça ne m'était jamais encore arrivé, avec une telle intensité. J'ai vécu de terribles moments dans la nuit du dimanche au lundi, un vrai cauchemar. Je suis retournée chez le médecin avec l'obligation de rester tranquille le temps que ça passe, alors que j'avais une tonne de choses à faire : acheter des cadeaux, m'offrir quelques nouveaux vêtements (je voulais une robe), aller chez le coiffeur, retourner chez IKEA pour un petit meuble… Je suis restée au lit le lundi avec des crampes intestinales à n'en plus finir, mais dès le mardi midi, je me sentais d'attaque pour affronter le centre commercial.


Il est arrivé chez moi par le train le mercredi soir et dès le lendemain matin, nous partions vers la région champenoise, pour le repas familial de Noël, du côté de mon père (généralement toujours avant… Noël). Cette année c'était le 23 décembre, chacun avait à faire le 24, le 25… Nous, nous descendions en Aveyron, chez sa mère, pour le réveillon. Nous resterions une petite semaine sur place, nous visiterions les environs…


La météo s'était à nouveau dégradée, nous avons roulé jusqu'à Epernay tant bien que mal, sur de la neige fondue, du verglas… Je n'étais pas rassurée, ça me filait le stress, j'avais tellement peur d'un accident, même si nous conduisions prudemment. Après un petit arrêt chez Patricia et Loïc, pour acheter de bonnes bouteilles de champagne et boire une coupe d'une vieille cuvée sans étiquette (moi je n'en ai pas bu, à cause de la gastro), nous avons repris la voiture pour nous rendre à une vingtaine kilomètres de là, dans le petit village où mon père nous avait invités pour déjeuner, au relais Saint-Hubert. Au volant, je n'en menais pas large, il y avait une sacrée couche de neige sur la route, j'avais peur de glisser, d'aller dans le fossé… J'ai conduit lentement, extrêmement concentrée.


Évidemment, avec ces conditions calamiteuses, tout le monde est arrivé en retard, nous avons bu l'apéro à deux heures de l'après-midi… Ce n'était pas la première fois que ça se produisait, on avait souvent attendu, ce n'était pas si grave, finalement nous étions réunis, c'était ce qui comptait. Nous avons bien bu, bien mangé ; les plats, servis par notre sympathique hôtesse aimant les chats, étaient fins et originaux. L'ambiance s'est animée au fil du repas, le champagne et le vin coulant généreusement dans nos verres et dans nos gosiers. Maintenant les enfants sont plus grands, leurs parents plus disponibles pour les conversations à table…


Dehors, sous un ciel gris foncé, tombait de la pluie glacée ; tout se couvrait de glace, prenant l'aspect brillant, figé du verre. Un drôle de temps, pas ordinaire. De petites stalactites se formaient partout, l'effet sur nos voitures était spectaculaire. Totalement congelées, elles semblaient appartenir à une lointaine période glacière. Allaient-elles seulement vouloir redémarrer, tout à l'heure ?


Au moment du café, d'un commun accord, nous avons décidé d'ouvrir les cadeaux (principalement pour les enfants, au nombre de cinq cette année) chez mon père, c'était plus prudent de se rapatrier là-bas, avant qu'il ne fasse trop nuit, que ça devienne vraiment dangereux. Nous rêvons tous d'un Noël sous la neige, nous avons dans la tête ces images hivernales, un peu naïves, des cartes de vœux… Cette année nous étions servis !


Nous voilà tous, petits et grands, dans la maison que mon père a récemment fait rénover pour Reine, son amie, qui n'y vit pour le moment que par intermittence. Sa maison à lui, plus ancienne, moins spacieuse, est juste à côté, dans la même propriété. Dans la maison de Reine, il y a de la place à l'étage, nous pourrons tous y dormir. Elle a installé des matelas, a fait tous les lits… Nous montons nos bagages, puis place au grand déballage !


Comme à mon habitude, je prends des photos. Scènes d'action, mises en scène, portraits de groupes ou individuels, gros plans, natures mortes… J'ai immortalisé le feu que mon père a allumé dans la cheminée, de belles bûches flamboyantes, parfumées, crépitantes. Je savais que mon frère y tenait, à ce feu, il m'en avait parlé au téléphone. Il m'avait dit que ça serait chouette, une fête de Noël dans la maison de Reine, avec une bonne flambée, réunis en famille, cette famille-là, de ce côté-là, celui de notre père… Son vœu s'est réalisé. Le feu dans la cheminée, les rires des enfants, le plaisir d'être ensemble, et l'hiver au-dehors, où tombaient maintenant de doux flocons fins… On ne s'inquiétait pas encore trop de ce que serait le lendemain, quand nous devrions repartir.


Pour le moment, on se souciait de discuter paisiblement, de jouer avec les enfants. Le dîner soupatoire s'est terminé à la lueur des bougies car il y a eu une coupure de courant vers dix heures du soir. Après avoir espéré que l'électricité reviendrait (mais non), nous nous sommes adaptés, passant le reste de la soirée éclairés aux chandelles, comme au bon vieux temps. Les enfants se souviendront j'espère, quand ils seront plus grands, de ce Noël-là chez papi Sylvain, c'était exceptionnel ! Le matin, toujours pas de courant, heureusement nous avons pu nous faire un café, chauffer le lait pour les enfants (la cuisinière fonctionne au gaz), tout le monde était réveillé, nous avons partagé le petit-déjeuner…


Nous avons ensuite fait route vers l'Aveyron, il en a fallu du courage ! Des flocons verglacés continuaient de tomber, ça n'a pas été simple de rattraper l'autoroute à l'entrée de Châlons-en-Champagne, qui se nommait encore Châlons-sur-Marne quand j'habitais dans le coin. Pour le moment je conduisais, il prendrait le volant plus tard, et j'avais peur, surtout dans les descentes, de ne plus maîtriser mon véhicule. Il me rassurait, il me conseillait, je restais calme.


Sur l'autoroute pas de problème, on a filé, c'était dégagé, puis il s'est remis à neiger, les voitures glissaient, il faisait déjà nuit, nous étions du côté de Limoges… Nous nous sommes arrêtés à une station-service, pendant ce temps-là des chasse-neige sont passés. Nous avons pris la direction de Figeac, puis moult petites routes, parfois sinueuses, nous avons traversé des villages aux allures de fête, sapins, cadeaux, guirlandes lumineuses, églises éclairées… Nous sommes enfin arrivés chez sa mère, aux alentours de vingt-deux heures trente. Elle nous a accueillis, rassurée, souriante, bras ouverts. Il n'était pas encore trop tard pour un vrai réveillon de Noël !


Nous avons ouvert une bouteille de champagne dans le salon, les deux chats de Marianne se sont joints à nous, plus tard nous nous sommes mis à table… Nous avions faim, après toutes ces émotions ! Marianne loue une jolie maison sur deux étages, avec du parquet, du carrelage, un escalier en bois. Les pièces sont décorées avec goût, il y a des tableaux, des sculptures, de la faïence, des plantes vertes, de vieux meubles, de l'espace… Il manque juste une cheminée. La maison donne sur une rue du village, mais à l'arrière il y a un jardin, avec quelques arbres fruitiers, orienté plein sud. Durant notre séjour, je ne l'ai connu qu'enneigé.


Il a fait très froid, le jour de Noël. Après un succulent repas (spécialités de la région, foie gras, magrets de canard, vin de vendanges tardives : le Pacherenc du Vic, fromages au lait cru…), nous sommes allés nous balader sur le chemin des sangliers. Pas très longtemps, car nous étions gelés. Vite, retourner au chaud ! À chaque jour une visite, une promenade : Decazeville, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Rignac, Bournazel… Du temps passé à table, quiétude et bonne humeur, des moments pour lire, discuter, regarder un DVD, un film à la télé, simplement ne rien faire, un chat sur les genoux à caresser, à écouter ronronner… Dormir, aussi. J'ai fait de bonnes nuits. L'hiver est fait pour hiberner ! J'ai toujours bien aimé dormir.


Sa mère est attachante et sympathique, nous nous sommes bien entendues, il en était content. J'ai pris des photos : détails d'intérieur, effets de lumière, paysages vallonnés couverts de neige, animaux, chiens, vaches, chevaux… Les deux chats de Marianne, de sacrés phénomènes, ont été d'excellents sujets. Les chats errants aussi, petits, courts sur pattes, ceux qu'elle nourrit généreusement sur sa terrasse, côté jardin.


Nous sommes repartis le 29 décembre, en faisant une étape à Châtel-Guyon où habite ma tante, la sœur de mon père, que je n'avais pas vue depuis presque trois ans. Après son merveilleux poulet au vin et ses petites pommes de terre fondantes, elle nous a embarqués dans sa voiture pour un circuit touristique, avec à la clé un superbe panorama sur la chaîne des Puys. Je m'inquiétais un peu pour mon gros chat noir, dont une jeune voisine s'occupait pendant mon absence. Elle l'avait laissé sortir, comme je lui avais dit de faire, mais il ne revenait pas quand elle passait à mon appartement pour le nourrir. Au téléphone je lui ai conseillé de mettre ses gamelles dehors, ce qu'elle a fait. Plus tard, elle m'a écrit, par SMS, pour me rassurer : "On l'a aperçu dans la résidence. Les gamelles sont vides."


Maintenant j'avais hâte de rentrer, pour l'appeler, le retrouver, ne plus être dans le doute. À peine arrivée j'ai sifflé longuement, tout en le guettant, le cœur battant. Pourvu qu'il n'ait pas réellement disparu ! Ma crainte n'a pas duré longtemps : quinze secondes plus tard, il était là, mon gros chat noir, se trémoussant, la truffe fraîche, pas du tout traumatisé par sa semaine passée dans la neige et le froid. Ouf ! D'un coup, je me sentais plus sereine. Nous avons passé le 31 chez moi, recevant mes amis de Bretagne, Claire, originaire de Seine-et-Marne, son mari Ludovic et leur fils Théophile, quatre ans. On a bien ripaillé, "fait le bazar", comme disait Théophile ! Je m'étais maquillé les yeux, comme il me l'avait demandé. Il adorait, je ne le faisais pas assez souvent, je n'y pensais pas…


Je suis repartie en pleine forme au travail, reposée, ressourcée, avec de chouettes souvenirs dans la tête. De neige, il n'y en a plus en cette fin janvier, il pleut, surtout. Les routes sont défoncées, des nids-de-poule se sont formés, même sur la nationale. Chez moi, plane toujours un climat de fête. Je n'ai pas encore enlevé les décorations, je fais fleurir d'autres jacinthes, j'ai racheté de l'encens chez le marchand indien. Je pense déjà aux nouvelles vacances, à mon séjour, oh pas très loin, dans le Jura, à la station des Rousses. J'espère que je pourrai skier, que les pistes seront ouvertes. Il viendra peut-être avec moi.


Elizabeth

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