samedi 24 novembre 2012

Printemps été 2012

Phoques de Berck, mai 2012

Massif Central, mai 2012

Ella, Coulommiers, juillet 2012

Paris, juillet 2012

Paris, juillet 2012

Paris, juillet 2012

Troyes, août 2012

Troyes, août 2012

Troyes, août 2012

Mesnil-Saint-Père, août 2012

Lusigny, août 2012

Chantilly, août 2012

Foudre, Coye-la-Forêt, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Château-Thierry, août 2012

Milo, Reims, août 2012

Loivre, août 2012

  Reims, août 2012

Vue du Tour du Golfe de Larchant, août 2012

Moret-sur-Loing, août 2012

Moret-sur-Loing, août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

Vaux-le-Vicomte, 25 août 2012

dimanche 18 novembre 2012

Vacances d'automne


Trilogie bretonne, texte 1
 Vacances d'automne

 Chapitre 1

Tu viendrais avec nous en Bretagne, ce serait différent de tes autres vacances, de celles où tu étais venue chez moi. Nous avions pris l'habitude de passer une petite semaine ensemble, toutes les deux, avec les chats Léo et Théa, qui prenaient un malin plaisir à s'installer, à tour de rôle, sur ta valise !

Pour qu'ils ne mettent pas leurs poils partout, je la couvrais d'une vieille serviette sur laquelle ils prenaient leurs aises. Tu les aimais, mes chats, nous parlions d'eux pendant des heures, les observant, les admirant, nous amusant de toutes leurs facéties !

J'organisais nos journées, nos soirées, de façon à te faire plaisir, pour que tu ne t'ennuies pas, pour que tu te sentes bien, vraiment en vacances. Nous passions à la médiathèque, en revenions chargées de livres, de disques, de cassettes vidéo et de DVD.

Nous lisions ensemble, nous regardions des films, bien au chaud, sous la couette… Nous allions à la piscine, tu adorais nager, puis nous déjeunions, affamées, dans ton fast-food préféré. Je t'emmenais à la patinoire, au cinéma, au jardin public, au zoo, au parc d'attractions, tu voyais mes ami(e)s… Nous avions tant et tant de choses à faire ! Nous dormions bien, après ça !

Quand l'heure était venue de te ramener à tes parents, j'avais toujours un petit pincement au cœur, en pensant à tout ce que nous n'avions pas fait, à tout ce que nous aurions pu faire, encore. Ce serait pour la prochaine fois. Car tu reviendrais, n'est-ce pas ?

Chapitre 2

Cette fois-ci, tes vacances avec moi se dérouleraient autrement. Nous viendrions te chercher chez toi, ta valise serait prête, tu emporterais ta trottinette ; nous t'emmènerions vers l'Ouest, dans un village entre Vannes et Lorient, dans le Morbihan, tout près de la mer. Je me faisais une joie de t'emmener avec nous, pour une petite semaine, au pays des galettes, des crêpes, des menhirs, des dolmens, des plages et des coquillages…

C'était l'automne, la fin du mois d'octobre, les vacances de la Toussaint ; on venait juste de passer de l'heure d'été à l'heure d'hiver. C'était assez inhabituel de venir, en cette période, en vacances à la mer. Le temps serait exceptionnellement doux pour la saison.

Nous aurions bien roulé, sur des routes dégagées, dans l'après-midi et en soirée. Nous nous serions arrêtés pour manger, à Vannes, et nous aurions trouvé, après avoir bien gambadé dans le centre-ville désert, une crêperie ouverte. Tu aurais mangé ta première vraie galette, une "jambon fromage", tu te régalerais.

Pour le dessert, la crêpe au Nutella aurait eu plus de mal à passer, tu n'aurais fait que la goûter et pris aussitôt un air dégoûté : le beurre salé ne conviendrait pas du tout à ton palais ! Nous t'aurions dit en riant qu'en Bretagne, on cuisine tout avec du beurre salé, même les crêpes au sucre, qu'il faudrait t'y faire ! Tu aurais fait la moue, en sirotant ton Breizh Cola à la paille. Cette boisson locale, au moins, tu l'aimerais et tu en redemanderais !

Retour à la voiture : allez courage ! Nous arriverions aux alentours de minuit, nos amis nous attendraient dans leur voiture, devant la maison. Ils venaient de beaucoup moins loin, trois heures de route pour eux, à peine. Ils se faisaient une joie de partager avec nous ces quelques jours de vacances, ils étaient impatients de te connaître. Nous ferions les présentations, tu te montrerais sociable, aimable, avenante, peu farouche, vite familière, très éveillée malgré l'heure tardive. Toi, tu aurais dormi pendant le voyage !

Chapitre 3

Il ferait froid dans la maison, froid et humide, plus froid que dehors. Nous aurions vite allumé les radiateurs, mais nous aurions constaté avec déception qu'ils ne fonctionnaient pas dans toutes les pièces, qu'il en était de même pour la lumière : telle ou telle lampe ne s'allumait pas, ici ou là… Il devait y avoir des problèmes de fusibles et d'ampoules grillées ; c'est souvent le cas dans des maisons comme celles-là, qui ne sont habitées que de façon épisodique. Nous renoncerions à comprendre le pourquoi du comment, nous verrions ça demain, quand il ferait jour.

Nous t'aurions montré ta chambre, au premier étage, au bout du couloir ; une chambre d'enfant, avec un petit lit, que j'aurais préparé pour toi. Tu aurais choisi les couleurs de tes draps et de la taie d'oreiller : bleu et blanc rayé. Tu aurais ouvert ta valise, te serais mise en pyjama ; tu serais allée à la salle de bain pour te laver les dents et déposer tes affaires de toilette.

Le radiateur marchait (nous aurions pris soin de vérifier avant de t'y installer) dans ta chambre, il y faisait déjà un peu plus chaud ; c'était "sa chambre à lui" t'aurait-il dit, celle où il dormait quand il était enfant et qu'il venait ici en vacances. Je te borderais, je t'embrasserais, je te souhaiterais une bonne nuit. Tu te sentirais bien dans ton nouveau lit, installée confortablement. Tu me sourirais, "Grand Lion" dans tes bras, tu fermerais les yeux, tu te tournerais sur le côté, tu t'endormirais vite.

Dans notre chambre à nous, également au premier étage, à l'entrée du couloir, au pied de l'escalier, il ferait désespérément froid. Le radiateur ne produisait aucune chaleur, malgré mes nombreux essais de réglage : molette tournée dans tous les sens, appuis répétés sur l'interrupteur… Rien n'y ferait.

J'aurais du mal à me déshabiller, je frissonnerais sous les draps glacés malgré le pull et les chaussettes, ne parvenant ni à me réchauffer ni à m'endormir. Je serais pourtant très fatiguée. Lui resterait en bas, dans le salon, à discuter avec nos amis. Quand il viendrait me rejoindre, je me collerais fort contre lui, mon corps puisant dans la chaleur du sien ; je trouverais enfin le réconfort nécessaire pour m'abandonner, épuisée, au sommeil.

Chapitre 4

J'avais prévu tant et tant de choses à faire, pendant nos vacances ! Trop ! Beaucoup trop ! Elles seraient bien trop courtes, ces vacances ! J'avais pris les adresses et les téléphones des cinémas, des piscines, des aquariums des environs, pour que nous ayons de quoi faire si jamais il pleuvait à longueur de journée. En Bretagne, à l'automne, on pouvait s'y attendre !

Nous t'avions dit que là-bas, il n'y aurait ni télé, ni magnétoscope, ni lecteur DVD, ni ordinateur portable… Nous avions convenu de ce principe avec nos amis. Eux aussi venaient ici pour se reposer, pour rompre avec le quotidien, son rythme imposé, ses contraintes… Nous ne partions que quelques jours, nous voulions vivre simplement, dans un esprit de partage, d'échanges, de convivialité…

Nous saurions bien nous occuper et t'occuper, même en cas de forte pluie ! Nous avions pris de quoi écouter de la musique, mais nous n'allumerions pas la radio. Nous n'aurions pas besoin d'infos.

Toi, tu avais emporté un sac entier rempli de jeux de société : petits chevaux, damier, sept familles, Uno, Jungle Speed… Tu aurais tout ce qu'il faut pour écrire, dessiner, lire ; tu aurais installé dans ta chambre tes peluches, tes poupées, des figurines et autres petits jouets.

Malgré tout, le fait de ne pas voir d'écran animé pendant plusieurs jours te contrarierait ; tu nous le reprocherais, sans en démordre, quand l'envie te prendrait de râler. Mais à la longue, on en rirait !

La même phrase reviendrait, jour après jour : "Oui mais ça serait mieux s'il y avait la télé !" On en plaisanterait, on se moquerait gentiment de toi. Tu te laisserais prendre au jeu, ça finirait par t'amuser, tu ne saurais plus trop si finalement, ça n'était pas mieux sans cette fichue télé. Mais par principe, tu t'obstinerais à ne pas être d'accord.

Chapitre 5

Nous séjournions dans sa maison à lui, celle de sa famille, de son enfance, de ses vacances. Il y avait passé de nombreux étés avec sa mère, son petit frère, ses grands parents ; son père les rejoignait le week-end. Il y avait de l'animation : des gens passaient, restaient, repartaient, d'autres arrivaient…

Il évoquait souvent, avec émotion, les souvenirs qu'il avait de cette maison, quand il était petit garçon ; profondément ancrés en lui, ils continuaient à marquer sa vie, de façon heureuse, ou plus douloureuse, selon les moments. Il me parlait de ses belles journées sur la plage, pas loin, une immense étendue de mer et de sable, avec de gros rochers, où il pêchait, se baignait, ramassait des coquillages.

Nous étions déjà venus plusieurs fois ici profiter des bienfaits de la Bretagne, et cette plage, je la connaissais ! J'avais hâte de t'y emmener. Moi aussi, j'avais des souvenirs d'enfance et de vacances, dans une autre maison, en pleine campagne, loin de la mer. Moi aussi, je lui racontais.

Là-bas, il n'y a jamais eu la télé et nous n'y pensions même pas ! Au début, il n'y avait même ni eau ni électricité. Nous nous chauffions et cuisinions au poêle à bois. Nous allions en voiture jusqu'à la source la plus proche pour remplir d'énormes jerrycans, nous faisions des veillées à la lueur des lampes à pétrole…

J'aurais voulu, je crois, que tes vacances ressemblent un peu aux miennes, quand j'étais enfant, quand j'avais ton âge. C'est moi qui ai eu l'idée de t'emmener avec nous ! J'en avais très envie ! D'abord je lui en ai parlé, à lui : il n'a vu aucun inconvénient à ce que tu fasses partie du voyage, il a même accueilli ma proposition avec enthousiasme. Vous vous connaissiez déjà plutôt bien, tous les deux ! J'ai soumis le projet à tes parents, ils me faisaient confiance, ils ont accepté, toi tu étais partante…

J'aime t'avoir en vacances, c'est tellement agréable de partager avec toi des moments de loisirs et de détente… J'aime te parler, j'aime t'écouter, j'aime te transmettre. Nous faisons partie de la même famille ! Tu es ma nièce, la fille de mon frère ; tu portes presque le même prénom que moi, à une lettre près.

Et qui plus est, tu me ressembles : même bouille, mêmes yeux, mêmes cheveux­… Moi je n'ai pas eu d'enfant et je n'en ai jamais souhaité vraiment ; j'aime m'occuper de toi, de temps en temps. C'est suffisant. J'étais ravie de t'offrir ces vacances à la mer : elles promettaient d'être différentes de toutes celles que nous avions passées précédemment ensemble. Rien ne serait "comme d'habitude", ni pour toi ni pour personne.

Chapitre 6

Il y aurait quand même des tracas liés au quotidien, ceux qui ont le don de me stresser, de m'énerver, dont je me serais bien passée. La maison n'était pas très accueillante, elle nous faisait la vie dure ! Elle était restée longtemps inhabitée et nous venions lui insuffler un peu de vie, mais nous aurions pu croire qu'elle nous considérait comme des intrus, des étrangers qui perturbaient sa tranquillité.

Elle s'était endormie, nous l'avions réveillée, nous la dérangions, elle se rebellait. Chauffage au minimum, éclairage défectueux, eau chaude aléatoire, le grille-pain ou le lave-vaisselle qui faisaient tout disjoncter…

À chaque jour sa galère, sa mauvaise surprise ! Nous finirions par résoudre ces énigmes électriques à l'aide d'un artisan aviné, pressé d'aller s'en rejeter un au bar La Galettière, où nous l'avions débauché. Ce serait déjà presque le moment de repartir.

Toi, tu ne serais pas toujours aimable, tu nous ferais des crises, tu provoquerais nos amis, tu ferais des caprices avec la nourriture, tu serais insolente… Tu nous casserais les pieds avec tes histoires de télé ; tu nous répéterais, à longueur de temps, que chez Tata, avec les chats, c'était mieux qu'ici, qu'on n'allait même pas à la piscine et au cinéma, qu'elles étaient nulles, ces vacances ! Nous te laisserions causer, tu finirais par te calmer, tu sécherais tes larmes, tu redeviendrais vite agréable et enjouée. Ça ne durerait pas longtemps, ça ne serait jamais bien grave.

Je ne parvenais pas à décompresser totalement comme je l'avais souhaité. Je n'arrivais pas à m'enlever de la tête tous ces travaux d'écriture, passés ou à venir : ceux que j'avais terminés et dont je n'étais pas totalement satisfaite, ceux qui m'attendaient une fois rentrée et dont j'appréhendais la difficulté, la crainte de ne pas être à la hauteur. Éternelle angoissée…

Je ne serais pas toujours gaie, je serais même agressive, envers lui, envers nos amis. Excédée pour un rien. Pas tranquille, contractée. Plutôt distante, lointaine… Dans la chambre, la nuit dans notre lit, je ressasserais toujours les mêmes choses tristes.

Chapitre 7

Les semaines qui suivraient notre retour, je ne cesserais de repenser à nos vacances. Je n'en aurais, finalement, que de bons souvenirs ; les mauvais se seraient vite estompés, à côté de tous ces beaux moments que nous aurions vécus.

Je visionnerais avec émoi, déjà nostalgique, les photographies numériques que j'avais prises là-bas, attestant de ce que nous avions fait, des endroits où nous étions allés… Plus tard, je découvrirais sur tirage papier la série réalisée avec mon vieil appareil, "l'argentique", comme on disait maintenant.

Il n'aurait pas plu, comme je le redoutais. Il aurait fait gris, par moments ; il y aurait eu de la bruine, de la brume, mais rien de bien méchant. Il aurait fait doux, nous aurions profité du soleil, de la plage, de l'air marin ; nous serions restés tard, dehors, le soir, bien après la tombée de la nuit ; nous serions allés au pub, au restaurant, dans des crêperies, évidemment ! Le 2 novembre, il aurait même fait suffisamment bon pour que nous déjeunions sur la terrasse.

Chapitre 8

Le lendemain de notre arrivée, je me réveillerais tôt. Je préférerais me lever au lieu de me rendormir, pour profiter au maximum de cette première journée en bord de mer. Je m'extrairais du lit sans le réveiller, j'aurais froid, je m'habillerais rapidement. J'irais jusqu'à ta chambre, tu dormirais à poings fermés, je descendrais au rez-de-chaussée. Nos amis, qui s'étaient installés en bas, ne seraient pas levés non plus.

Après avoir mis en route le café, j'ouvrirais petits et grands volets du salon, je mettrais le nez dehors, le soleil serait voilé, mais il ferait bon. Je prendrais mon petit-déjeuner sur la grande table rectangulaire, côté salle à manger, dans un silence quasi total. Aucune voiture ne passerait dans la rue, il n'y aurait que le chant des oiseaux, le cri des mouettes…

J'aurais sorti des bols, des tasses, des verres et des couverts pour vous quatre, qui déjeuneriez plus tard. J'aurais laissé sur la table tous les ingrédients nécessaires : pain, beurre, confiture, yaourts, gâteaux, sans oublier ton lait, ton chocolat en poudre, ton jus d'orange, tes petits pains…

Je retournerais dans ta chambre pour voir si tu étais réveillée, mais ça ne serait pas le cas ; j'irais alors dans la mienne chercher mon appareil photo, j'enfilerais mon manteau, je mettrais mes chaussures de marche et je partirais d'un bon pas vers la côte, à un petit kilomètre, humant l'air marin, déjà grisée par le vent doux, salé, tonique…

Je respirerais à pleins poumons, marchant tout près des vagues, mettant les pieds dans un sable rendu compact par le retrait de la marée. Je ramasserais de drôles de coquilles blanches, ressemblant à des crânes, de toutes les tailles ; je les mettrais dans ma poche, en prenant soin de ne pas les briser.

Je prendrais des photos du paysage, magistral, époustouflant, sensationnel. Il y aurait plein de gens, sur la plage, des enfants, et puis des chiens, des chevaux, des oiseaux… Je me sentirais bien, heureuse, chanceuse d'être ici, en vacances. Je voudrais oublier tous mes ennuis, m'en débarrasser, les laisser de côté, au moins le temps où nous serions là.

Chapitre 9

Au bout d'une heure je reviendrais vers la maison : j'aurais hâte de vous voir ! Vous seriez juste réveillés, attablés, au début de votre petit-déjeuner. Vous seriez pressés d'aller voir la mer ! Je m'occuperais de toi, je t'aiderais à choisir tes vêtements, je t'accompagnerais à la salle de bain où tu prendrais une douche bien chaude. Je t'aiderais à t'habiller, à te coiffer. Puis tu descendrais jouer en bas avec ta trottinette, d'abord sur la terrasse, puis sur le trottoir, devant la maison.

Je voudrais prendre une douche : l'eau serait glacée. Je me laverais vite fait au lavabo, pestant contre le ballon d'eau chaude qui ne fonctionnait vraiment pas au meilleur de ses capacités ! Nous irions cette fois-ci tous ensemble faire une grande balade en bord de mer, dans les dunes, sur les rochers, dans les flaques, dans l'eau des vagues…

Tu serais ravie, joyeuse, enthousiaste, courant de-ci de-là, chaussée de bottes en caoutchouc, pataugeant, aspergeant, observant les poissons minuscules dans les trous d'eau de mer, les crabes, les crevettes, les bernard-l'hermite et autres curiosités ! Il te montrerait et te nommerait toutes ces petites bêtes : tu serais attentive, très intéressée, tu sourirais de toutes tes dents. Celles de devant étaient en train de repousser. Nous rentrions tard, notre repas de midi serait pris à l'heure du goûter. Tu serais affamée !

Nous étions en vacances, nous prenions notre temps, tout serait décalé. La journée, nous laisserions les fenêtres ouvertes, pour laisser entrer la tiédeur du dehors, pour évacuer cette odeur de renfermé, cette sensation d'humidité qui persistait dans la maison. Je trouvais dommage qu'elle ne soit habitée que par intermittence. Elle méritait bien mieux ! Elle recommençait juste à vivre, à s'imprégner de bonnes odeurs, à s'accommoder de notre présence, et déjà nous allions la quitter, l'abandonner, la laisser seule.

Chapitre 10

C'était l'automne dernier, nous étions cinq dans la maison : toi, lui, nos amis et moi. Ce serait la dernière fois. Nous avions apporté des victuailles, pour ne pas avoir à faire des courses tout de suite, en arrivant. Mais nous comptions bien profiter des spécialités de la région ! Huîtres, poissons, andouille, saucisson, cidre, crêpes et galettes… Nous nous ferions de bons petits gueuletons ! Toi, tu aimerais, ou pas…

Nous n'aurions pas voulu que la nourriture soit un problème pour toi, tu n'étais pas venue en vacances avec nous pour que nous te fassions ton éducation culinaire, là n'était pas le propos. Nous t'aurions donc acheté toutes les choses que tu aimais—jambon, steak haché, emmental, crème au chocolat—, nous aurions apporté du ketchup, nous t'aurions fait des pâtes, des haricots verts (que tu adorais !), de la purée…

Un soir, tu avalerais une assiette entière de soupe aux légumes préparée par notre amie. Elle se serait montrée plutôt persuasive et tu n'aurais, pour une fois, pas bronché. Tu avais toujours eu un petit appétit, de toute façon. Ça n'aurait servi à rien de te forcer. Tu te rattrapais sur le dessert, le goûter, le chocolat, les friandises qu'il te donnait.

Chapitre 11

Chaque jour, nous t'aurions emmenée en excursion, à la découverte du pays breton. Nous serions allés sur cette île minuscule au nom typique et amusant de Saint-Cado, à laquelle on accède à pied par un vieux pont en pierre. Nous nous serions pris en photo devant des taxis anglais, stationnés sur la place, en face de l'église. Nous aurions rêvé devant cette petite maison aux volets bleus, construite sur un îlot, au milieu des flots.

Nous aurions repris la voiture pour nous rendre à Port-Louis ; nous aurions voulu visiter la citadelle mais les portes venaient de fermer. Il était déjà dix-huit heures ! Nous aurions continué notre balade en bord de mer, sur les remparts puis dans le sable. La nuit serait tombée depuis longtemps, mais il y aurait encore des gens sur la plage, profitant de la douceur ambiante, mêlée à l'air, plus frais, du large. C'était animé comme en plein jour, un bar était ouvert, il y avait du monde en terrasse. Je les avais trouvées plutôt insolites, ces activités balnéaires nocturnes, début novembre !

Comme nous, les vacanciers voulaient profiter de "vraies" journées, sans se soucier de ce changement d'heure qui nous avait fait basculer, le week-end précédent, des soirées déjà courtes vers les longues nuits d'hiver. C'était toujours assez violent, dans ce sens ou dans l'autre. Nous avions néanmoins la chance de vivre une période intermédiaire, bénéficiant de ces moments privilégiés où nos horaires pouvaient se conformer davantage à nos horloges biologiques personnelles qu'à ce rythme imposé pour faire des économies d'énergie. Plus de trente ans, que ça durait ! Ça ne semblait pas près de s'arrêter.

Nous dirigeant vers les rues pavées de la vieille ville, sur la fin de notre balade, nous nous serions arrêtés dans un pub qui avait attiré ton attention : un squelette habillé en corsaire était posté à la porte d'entrée. À l'intérieur, des murs en pierre, une cheminée allumée, des tables en bois, une exposition de bijoux artisanaux, un labrador couleur sable, joueur et avenant, un serveur déguisé en pirate !

Nous aurions commandé du cidre, tu aurais demandé un Breizh Cola. Avec une paille ! Lui et nos amis auraient pu fumer tout en buvant leur bolée. Ce serait l'une des dernières fois avant l'application de la loi anti-tabac, interdisant la cigarette dans tous les lieux publics. L'endroit était chaleureux, singulier, plutôt magique. Il n'y avait qu'en Bretagne où l'on pouvait tomber sur ce genre d'établissement, à l'ambiance si particulière. Il n'y avait qu'ici où l'on pouvait sentir la douceur de vivre, croiser des personnages hauts en couleur, originaux, extravagants… Pourquoi ne viendrais-je pas y vivre, finalement ?

Chapitre 12

Nous t'aurions montré des dolmens vraiment spectaculaires ; nous serions montés dessus, nous nous serions faufilés à l'intérieur, parcourant les chambres funéraires. Je vous aurais pris en photo, contre-plongée et contre-jour ; en arrière-plan un ciel limpide, d'un bleu profond. Vous auriez fait des poses, un peu robotiques, très amusantes.

Tu serais la seule à ne pas être vêtue de noir. Tu avais sur la tête un bonnet péruvien aux couleurs vives, qui protégeait efficacement tes oreilles contre le vent. Qu'il t'allait bien ce bonnet péruvien, avec ses nattes en laine sur les côtés et son pompon ! Tu avais l'air d'un lutin.

Nous nous serions promenés dans des champs de menhirs, parfaitement alignés, sur des kilomètres. J'aurais joué à cache-cache avec toi, nous aurions couru dans les hautes herbes, à en perdre haleine, pour nous attraper. Qu'est-ce que nous aurions ri ! Quand nous aurions rejoint la voiture, il aurait fait nuit noire. Il serait temps d'aller manger.

Un soir, nous irions flâner à Saint-Goustan, un endroit fabuleux, agréable, reposant. Il m'y avait emmenée la première fois où nous étions venus en Bretagne ensemble, l'été qui avait suivi notre rencontre. Nous en avions déjà fait profiter nos amis, ils avaient eux aussi succombé au charme de cette petite cité portuaire, très ancienne.

Nous arriverions par le haut de la ville, nous passerions le pont en pierre enjambant la rivière du Loch, nous monterions sur un vieux voilier, depuis longtemps à quai, sur lequel nous avions entendu dire que l'homme politique américain Benjamin Franklin avait débarqué en France, en 1776. C'était du moins ce que nous imaginions, ce que nous voulions croire, et te faire croire !

Ce navire, tout en bois, était transformé en magasin flottant : on y trouvait des bijoux, des babioles pour touristes, des cartes postales, des souvenirs. Il y avait, dans sa cale, une grande maquette du port, avec ses bateaux et ses maisons à pans de bois, témoins d'une époque, maintenant révolue, où les activités de pêche, de commerce, de construction navale étaient à leur apogée. Ce serait très instructif !

Il y aurait plein de choses intéressantes à regarder, sans que l'on pense forcément à acheter. Je t'offrirais tout de même un joli pendentif en terre cuite recouvert d'émail, que tu aurais choisi dans les tons bleus. Tu me dirais : "Merci tata", tu semblerais contente ! Moi, je serais heureuse de t'avoir fait plaisir. Plus tard nous t'emmènerions manger à la crêperie Ty Baron, la meilleure de la région, près de Locoal-Mendon.

Chapitre 13

Nous serions partis toute une journée sur l'île d'Arz, emportant un pique-nique conséquent, soigneusement préparé, dans nos sacs à dos. Nous aurions pris le bateau, pour une courte mais plaisante traversée. Il en aurait profité pour nous photographier toutes les deux, avec mon appareil numérique, réalisant des clichés en rafale, nous figeant dans le mouvement, la spontanéité, loin du posé. Devant lui nous ferions les folles, quantité de grimaces ! Il y aurait du vent, nos joues seraient roses, nous respirerions à pleins poumons l'air iodé.

Débarqués sur l'île, nous marcherions un peu, à la recherche d'un endroit pour pique-niquer. Il ferait bien plus frais, ici. Et ce serait brumeux. Nous passerions devant de belles petites maisons, rustiques mais soigneusement entretenues ; nous voudrions habiter chacune d'elles, nous nous imaginerions vivre là-bas, sur cette île en plein golfe du Morbihan. Au moins pour un week-end, pour les vacances.

Aimerais-je venir toujours au même endroit ? Je ne crois pas. J'apprécie trop la nouveauté, les surprises, les découvertes. Je lutte contre les habitudes, le manque de curiosité. Même si je ne vais jamais très loin, je préfère changer de point de vue, de destination, conserver un esprit ouvert, continuer à rêver.

Nous trouverions une grande table ronde en marbre avec, autour, un banc circulaire pour nous asseoir. Ce serait sous les pins, face à la mer, un lieu parfait pour pique-niquer. Nous aurions juste un peu froid. Nous aurions grignoté d'excellentes chips au vinaigre, sauf toi qui n'aimerais pas, avant d'attaquer les sandwiches au pain de mie. Tu n'en mangerais qu'une petite moitié, te rattrapant sur une pomme, du chocolat au lait Milka et du Coca.

Avant d'entreprendre le tour de l'île à pied, nous serions allés dans un bar pour boire un bon café, toi tu aurais pris un chocolat chaud. J'aurais joué avec toi au baby-foot et tu aurais gagné ! Nous marcherions tout le reste de la journée, découvrant de merveilleux paysages, rendus étranges par ce ciel gris, brumeux, et pourtant lumineux.

Nous chercherions un dolmen que nous ne trouverions pas, nous finirions par nous perdre, chacun indiquant sur le plan un endroit différent… Il commencerait à se faire tard, nous demanderions le chemin de l'embarcadère, on nous remettrait dans la bonne direction. Heureusement, car nous allions à l'opposé ! Nous serions crevés, lassés de marcher ; toi tu résisterais plutôt bien, tu gambaderais, tu plaisanterais, encore pleine de vitalité.

Nous serions repassés devant les mêmes maisons de poupée, maintenant éclairées à l'intérieur. Il faisait noir ! Nous suivrions le sentier tant bien que mal, passant dans des zones sombres, sans lumière. Nos yeux s'habitueraient à l'obscurité, nous verrions la lune se lever, les étoiles briller. Nous serions en avance pour le prochain bateau, nous nous serions pressés pour rien ! Nous aurions fait la traversée en sens inverse : encore une chose inhabituelle, de prendre le bateau la nuit. L'eau était d'une couleur d'encre. Les lumières de la ville s'étaient rapprochées, nous aurions accosté…

Chapitre 14

Nous reprendrions la voiture, irions dîner à la maison, de la bonne soupe bien chaude, puis nous jouerions tous les cinq aux petits chevaux. Tu serais mauvaise perdante, tu pesterais contre celui ou celle qui avait remis ton cheval dans l'écurie, tu menacerais d'arrêter de jouer, tu piquerais une colère, tu voudrais tes parents et ton petit frère, tu voudrais la télé.

Je te dirais qu'il était temps d'aller au lit ; comme tous les soirs je m'occuperais de toi pour la mise en pyjama, le lavage des dents, le couchage… Je resterais à tes côtés jusqu'à ce que tu t'endormes. Tu ne tarderais pas, serrant "Grand Lion" fort contre toi.

Le dimanche matin, à Carnac, ça a toujours été jour de marché. Nous ne manquerions pas d'y aller, pour acheter de bonnes choses à manger pour le repas du midi. Huîtres, saumon frais, petites patates sautées, salade, cochonnailles, fromage, pain à l'ancienne, vin blanc… Des pâtisseries en dessert, et du jambon blanc à la coupe spécialement pour toi.

Nous en profiterions aussi pour faire quelques achats en prévision de notre retour, rapporter des denrées locales : sel marin, miel, confiture de lait, soupe de poisson avec rouille et croûtons, court-bouillon… Je n'oublierais pas ma voisine, qui s'occupait des chats pendant mon absence.

Rentrés à la maison, nous nous affairerions pour préparer un copieux repas, nous boirions l'apéro sur la terrasse, le soleil brillerait, mais il ferait trop frais pour que nous resterions dehors pour déjeuner. Nous aurions festoyé sur la grande table en bois de la salle à manger. Un authentique repas dominical ! Après le café, nous commencerions à ranger.

Chapitre 15

Nos amis repartaient dans la soirée, aux alentours de vingt et une heures ; ils seraient chez eux au plus tard à minuit. Avant leur départ, ils voudraient voir encore une fois la mer ; nous partirions tous les cinq vers la plage, toi munie d'un râteau et d'un seau pour ramasser des coquillages, ceux qu'il utilisait lorsqu'il était enfant.

Mon amie et moi aurions pris des sacs plastique. Nous assisterions à un merveilleux coucher de soleil, tout en marchant le long de la plage, ici et là, tout près des vagues, ou un peu plus loin. Lui aurait les pieds nus dans l'eau, les jambes de son pantalon relevées au-dessus du genou.

Nous verrions les couleurs changer, l'horizon s'embraser, la mer s'assombrir, le sable rougeoyer. Nous prendrions de belles photos. Nous rentrerions à la  nuit tombée, comme à l'accoutumée ! Ton seau serait plein à ras bord de coquilles multicolores, diverses et variées.

En arrivant à la maison, il t'aiderait à les rincer, à les disposer, pour les faire sécher, dans une grande boîte en plastique tapissée d'essuie-tout. Une fois nos amis partis, après le dîner, nous jouerions au Uno. Tu serais moins mauvaise perdante, on t'aiderait à gagner.

Chapitre 16

Le lendemain matin, la journée se promettait exceptionnelle, il faisait très beau, mais nous devions penser au départ. Avant toute chose, juste après le petit-déjeuner, nous écririons des cartes. Ce serait le moment ou jamais ! Nous te préparerions les modèles que tu nous aurais dictés et tu les recopierais, consciencieusement, jusqu'aux adresses. Il t'aurait appris comment placer, dans l'enveloppe, la carte côté photo—c'est plus agréable quand on décachette—, avant que tu ne la fermes et colles le timbre.

Il aurait fallu ensuite se laver, s'habiller, ranger, refaire les sacs, les descendre, enlever les provisions du frigo, faire le ménage, s'occuper de la vaisselle, vider les poubelles, les déposer dans le container…

Tu jouerais dehors avec ta trottinette, profitant du soleil. Nous mettrions tout dans la voiture, fermerions les volets ; il irait couper l'eau et l'électricité, il ferait un dernier tour à l'intérieur de la maison avant de tout boucler.

Je n'aurais pas remis, délibérément, tous les objets à leur place initiale ; j'aurais même éprouvé un certain plaisir à ajouter ma touche personnelle dans la décoration, pour laisser une trace de notre séjour, une marque de mon passage.

Nous saluerions la maison, puis nous irions en voiture dire au revoir à la mer, à sa plage, à ses rochers ; le paysage vibrait, étincelait, sous un soleil éclatant et un vent léger. J'aurais les larmes aux yeux, je les cacherais derrière mes lunettes noires. Il ne s'en apercevrait pas.

Elles étaient sur le point de finir, nos vacances en Bretagne, et j'appréhendais déjà ce qu'il y aurait après : le retour au quotidien, les contraintes, les urgences à gérer, les choix à faire en fonction des priorités…

Il me resterait deux jours pleins avant de reprendre le travail et je comptais en profiter pour me remettre à l'écriture, dans les meilleures conditions possibles. Rien n'est mieux, dans ce cas, que la solitude. Et j'allais retrouver mes chats. Sur la plage, j'y pensais déjà.

Chapitre 17

Avant de prendre la route, nous irions manger dans une crêperie du village, l'une de celles où il allait enfant, du temps où sa famille était soudée. Nous ne serions pas très gais. Tu aurais pris l'éternelle "jambon fromage", tu aurais siroté un Orangina à la paille, tu n'aurais pas voulu de dessert, ni crêpe, ni glace, ni rien.

Ce serait l'heure d'aller à la voiture, de te harnacher pour le voyage ; il conduirait la première partie du trajet, je crois même que ce serait jusqu'à chez toi. Moi, je ferais le disc-jockey, je sommeillerais, je n'aurais pas grand chose à lui dire ; toi tu lirais puis tu t'endormirais, en suçant ton pouce, "Grand Lion" sur un bras.

Ce serait déjà la région parisienne, ses quatre fois deux voies, son flot incessant de véhicules… Le retour à la civilisation, au monde "moderne" que je détestais tant et de plus en plus, les années passant.

Nous arriverions chez tes parents, tu serais très contente de les retrouver, ainsi que ton petit frère ; ils t'auraient manqué ! Tu leur montrerais tous tes coquillages, dans la grande boîte en plastique qu'il t'aurait donnée. Oui, tout s'était déroulé à merveille, tu t'étais bien amusée, tu avais passé d'agréables vacances, même sans la télé !

Nous ne nous attarderions pas, il serait déjà plus de dix heures du soir, nous t'embrasserions bien fort, nous nous dirions au revoir. Je prendrais le volant et je le déposerais à la gare la plus proche afin qu'il rejoigne Paris, puis son chez-lui. Nous serions peu bavards, je serais pressée de rentrer, un peu sonnée, avec l'envie de me retrouver seule.

Je conduirais encore pendant une heure interminable, vers l'Est, jusqu'en banlieue lointaine, dans mon coin de campagne, encore préservé. Mais pour combien de temps ? Enfin ma maison, mon jardin et mes chats ! Ils m'accueilleraient avec chaleur et force ronronnements, frottements sur mes jambes, petits coups avec le museau, cherchant ma main pour les caresses… Attachants petits êtres. Il faudrait encore décharger la voiture, déballer, ranger, mettre au frigo…

Chapitre 18

À peine arrivée et j'aurais des regrets, les doutes s'insinueraient en moi, je me sentirais mal. J'aurais quand même pu faire des efforts pour paraître plus gaie… Je serais tout à la fois tourmentée et soulagée, je serais fatiguée, je voudrais dormir, rapidement me mettre au lit. Ça avait passé vite, bien trop vite ! Trop court, au final.

Je n'aurais même pas eu le temps de vraiment me détendre, restant préoccupée par mille et une pensées. Pas moyen de faire le vide, je n'aurais pas vécu les choses avec assez de recul, d'optimisme, de légèreté… Toujours sur le qui-vive, sur la défensive… Il serait trop tard, les jeux seraient faits.

En février de l'année suivante, tu viendrais de nouveau chez moi, pour quelques jours de vacances en compagnie des chats (trois maintenant avec Kwika) qui seraient bien contents de te voir, et de dormir sur ta valise ! Nous reprendrions nos activités "familières", celles que tu aimais tant, ça te rassurerait.

Nous reparlerions du séjour en Bretagne, des bonnes galettes, de nos balades, de cette grande maison sans télé… Nous n'y retournerions pas. Pas ensemble, en tout cas. Jamais nous n'oublierions ces jours heureux, ces bons moments, finalement, que nous avions passé. Ni lui, ni toi, ni eux, ni moi.








Marie-Thérèse


Trilogie bretonne, texte 2
Marie-Thérèse

C'étaient nos premières vacances d'été, nous nous connaissions depuis le printemps. Nous avions mis le cap vers l'Ouest, d'abord en Mayenne, pour le festival musical "Les 3 éléphants" à Lassay-les-Châteaux. Le cadre était enchanteur et verdoyant, nous y avions passé d'excellents moments.


Ensuite, direction la Bretagne, et plus précisément, le Morbihan. J'étais souvent venue en vacances en Bretagne, je connaissais bien l'Ille et Vilaine, les Côtes d'Armor, surtout le Finistère, très peu le Morbihan. J'étais partante pour découvrir de nouveaux endroits avec toi. Plus tard nous irions près de Lannion, voir un couple de mes amis, leur petite fille venait d'avoir un an.


Les premiers jours se sont passés sous la pluie, avec une expérience de camping en bord de mer pas vraiment concluante. Une grande étendue de sable sale, pas un arbre, de maigres buissons, la promiscuité, des sanitaires laissant à désirer… Nous sommes allés visiter Vannes toute une journée : temps gris, ciel menaçant, fraîcheur de l'air, humidité… Ce qui ne nous a pas empêchés d'apprécier la vieille ville, ses maisons à pans de bois, très décorées, ses jolies rues pavées, animées, rehaussées par les couleurs vives des parapluies et des cirés…

Le lendemain matin nous avons plié bagage, en quête d'un nouveau lieu de résidence, plus agréable et plus serein, peut-être un peu plus dans les terres ? Je n'étais pas venue ici que pour voir la mer ! De toute façon, la mer n'était jamais loin, dans le Morbihan. Je le constaterais au fil de nos balades, à pied ou en voiture : on la rencontrait toujours, à un moment ou à un autre, au détour d'un chemin, d'une route sinueuse…

Après avoir un peu tourné, un peu hésité, nous nous sommes retrouvés au camping municipal de Sainte-Anne d'Auray, en pleine nature. Nous avons replanté ma tente deux places dans l'herbe touffue, sous de grands arbres ; les emplacements étaient grands, nous serions tranquilles… Cette petite tente, je l'avais utilisée seule, jusqu'à présent. Je n'étais pas très équipée, j'avais juste le minimum, j'aimais vivre "à la dure" pendant quelques semaines, l'été. Matelas en mousse, duvet, lampe, petit camping-gaz, nattes en coco pour s'asseoir, nappe posée à même le sol pour le petit-déjeuner… Pas de table, pas de chaises, pas de glacière. Pour les deux autres repas de la journée, c'était pique-nique ou restaurant, puisque je n'avais pas de quoi me faire à manger correctement !

Cet été-là, je suis partie avec toi de la même façon que si j'étais partie seule, te faisant partager un mode de vie auquel tu n'étais pas coutumier. Tu avais peu campé, tu ne savais pas si ça allait te plaire… Mais quelque part tu m'as fait confiance et je crois bien que ça t'a plu. Pourtant, cet été-là, notre premier été ensemble, nous avions oublié d'emporter des oreillers. Pour dormir, nous mettions des serviettes, des vêtements pliés sous notre tête, ce n'était pas très confortable ! Nos matelas étaient fins, le sol un peu dur, nous aurions été mieux installés sur un grand matelas gonflable ! J'en avais un chez moi mais je ne l'avais pas pris, pensant qu'il ne rentrerait pas dans la tente… Peu importe, nous étions bien, tous les deux. L'été suivant, nous repartirions à peu près dans les mêmes conditions, matelas et oreillers en sus, comble du luxe ! Nous irions de nouveau en Bretagne, mais du côté de Saint-Malo.

De toute façon, cet été-là, le premier que nous passions à deux, je serais allée n'importe où avec toi. Nous avions atterri dans la région d'Auray et ce n'était pas par hasard, finalement. Ta maison de famille ne se trouvait qu'à une vingtaine de kilomètres, près de Carnac et de Quiberon, pas très loin de la mer. Tu venais là en vacances depuis ta naissance, nombre de tes souvenirs d'enfance y étaient rattachés. Tu connaissais beaucoup d'endroits aux alentours, tu m'as dit que ça te ferait plaisir de me montrer tous ceux que tu aimais.

Tu m'as emmenée là-bas un soir, après une journée passée à nous promener : Etel, Le Bono, La Trinité-sur-Mer, Port-Louis… Nous avions pris l'apéritif à Saint-Goustan, un petit port typique que tu adorais, avec ses rues escarpées, ses maisons médiévales, son vieux pont en pierre… Nous étions en terrasse, il y avait encore du soleil, mais il faisait déjà frais. Moi, j'avais vite froid. Il me fallait toujours un pull ! Tu m'avais déjà parlé de l'endroit, tu voulais y aller avec moi… Tu m'avais mis l'eau à la bouche en affirmant que j'allais goûter aux meilleures galettes du monde. Marie-Thérèse était une déesse, on venait de loin pour manger chez elle, c'était toujours plein.

J'avais hâte, maintenant, de déguster ces incroyables galettes à la recette tenue secrète par la maîtresse des lieux ! Ses crêpes aussi valent le détour, m'avais-tu dit, comme celle aux pommes avec du caramel au beurre salé… Et les flambées ! Nous avons terminé notre cidre et nous sommes retournés vers la voiture. Nous avions faim ! Ce n'était pas très loin, nous y serions vite ! Il faudrait quitter Auray direction Belz, rouler un peu, nous verrions la crêperie à droite, au bord de la route, près de Locoal-Mendon, ce serait indiqué…

Voilà, nous y étions enfin, chez Ty Baron ! Nous nous sommes garés après avoir tourné un peu en quête d'une place. Le parking, sous les arbres, était bien rempli ; y stationnaient des véhicules de toutes sortes, aux plaques minéralogiques variées. C'était l'été, le mois d'août, il y avait beaucoup de vacanciers. Des 56 aussi, des 35, des 29, des 22… Des Bretons, quoi ! Tu disais que c'était un signe qui ne trompait pas. Quand les "autochtones" fréquentaient le lieu, ça témoignait d'une valeur sûre. Dans les endroits pour touristes, ne venaient… que les touristes.

Quelques pas et nous y serions. C'était une grosse chaumière aux volets peints en rouge, aux fenêtres encadrées par de petits rideaux blancs, en crochet ou en dentelle. Des géraniums étaient suspendus ici et là ; il y avait aussi, le long des murs, des hortensias généreusement fleuris. À l'intérieur, la lumière était jaune orangée, comme éclairée à la bougie ou aux lampes à pétrole. Nous entendions déjà le ton joyeux des conversations, le cliquètement des couverts dans les assiettes, le tintement des verres. D'agréables fumets, sucrés salés, de bon beurre frais doucement rissolé, parvenaient à nos narines, nous faisant saliver. L'endroit était plein à craquer, que de gens attablés ! La réputation des lieux n'était plus à faire !

On nous a installés près de l'entrée, dans un recoin, il n'y avait plus de place ailleurs. Peu importe, du moment que nous pouvions manger ! Qu'on ne soit pas venus pour rien ! La table et les bancs en bois sur lesquels nous étions assis avaient l'air très ancien. Tout semblait très ancien, ici. Le cadre ne semblait pas avoir bougé depuis des décennies. Des outils traditionnels étaient accrochés un peu partout sur les murs en pierre brute. Il y avait de vieilles photos encadrées, des poupées, des meubles d'un autre âge, des armoires, des maies, des malles… Nous nous serions crus dans un musée. Nous mangerions une autre fois dans la "vraie" salle de restaurant, très décorée, à la charpente en bois massif, à l'imposante cheminée. Nous reviendrions, sans aucun doute.

Pour ce premier soir, nous faisions "avec". Nous avons commencé par trinquer avec une bouteille de cidre artisanal, très goûteux. J'ai vite eu les joues rouges, l'esprit pétillant, les oreilles chaudes. Nous attendions nos galettes avec impatience ! Sur le menu, tout avait l'air si bon ! Ai-je pris ce soir-là une "boudin oignons pomme", ou alors une "andouille oignons fromage" ? Et toi, avais-tu craqué pour une "saucisse œuf tomates" ou une "jambon œuf fromage" ? Notre palais approuverait, nos papilles l'affirmeraient, les galettes de Marie-Thérèse étaient en tout point succulentes. La pâte épaisse, moelleuse, était cuite à point. Quel plaisir pour la bouche !

Toi, tu en as repris une deuxième. Moi, je me gardais une place pour une crêpe. J'avais vu la carte ! J'adorais le sucré ! Je me réservais pour une "caramel au beurre salé", ou peut-être une "chocolat amandes" ou une "citron miel". La "pomme cannelle" n'avait pas l'air mal non plus, et pourquoi pas la "confiture de lait faite maison" ? Nous sommes repartis contents, repus, satisfaits. Tu m'avais fait découvrir un bien bel endroit, tout y était parfait !

Nous retournerions chez Ty Baron chaque fois avec le même enthousiasme, la même envie d'une bonne soirée, placée sous le signe de la ripaille. Car nous reviendrions dans la région, nous irions même loger dans ta maison de famille, tous les deux ou avec nos amis, avec ma nièce, aussi. Notre séjour ne serait pleinement réussi que si nous allions au moins une fois manger chez Ty Baron.

Il y avait, bien sûr, d'autres bonnes crêperies ; ça ne manquait pas par ici ! Chacune avec son cadre, sa personnalité, ses spécialités… Il y avait celles où nous étions déjà allés ensemble, où nous avions plaisir à retourner. Il y avait celles que nous testions ici ou là, au fil de nos pérégrinations… Nous étions rarement déçus. Ce serait un comble de manger de mauvaises galettes en Bretagne ! Mais celles de Marie-Thérèse dépassaient toutes les autres.

En avril de cette année, nous étions de nouveau là-bas, pour une petite semaine de vacances. Nos amis nous accompagnaient. Quand irions-nous chez Ty Baron ? C'était le grand sujet de conversation ! Nous en gardions à chaque fois de si bons souvenirs ! Ces galettes et ces crêpes étaient divines ! Et Marie-Thérèse, quel personnage ! Une femme de tête, ouvrant son établissement sept jours sur sept, tous les midis et tous les soirs, du 1er janvier au 31 décembre… Une femme au physique imposant, poussant des coups de gueule devant des clients trop exigeants, allant même jusqu'à les mettre dehors. Qu'ils aillent se faire voir ailleurs, s'ils n'étaient pas contents ! C'était ce qui se disait par ici, au sujet du caractère sanguin de Marie-Thérèse. Ce n'était pas une légende.

Nous l'avions constaté par nous-mêmes, un soir chez Ty Baron où, exceptionnellement, il n'y avait pas grand monde. C'était à la Toussaint, nous étions arrivés tard, nous étions les derniers clients. C'était très agréable d'avoir ce lieu pour nous seuls ! Le feu crépitait dans la grande cheminée, il y avait encore de bonnes bûches. Nous avions bien sympathisé avec notre serveur, lequel était très loquace, moins pressé en cette fin de soirée. Il s'appelait Guy ou bien Roger, il était venu s'asseoir à notre table, une fois nous avoir apporté nos desserts. Il nous avait raconté sa vie, son travail de dingue à Rungis, sa rencontre avec Marie-Thérèse, son départ en Bretagne, pour s'installer ici… Il ne regrettait rien, il se sentait mille fois mieux, il était heureux.

Comme il avait l'air de l'aimer, Marie-Thérèse ! Oui, elle pouvait être parfois colérique, mais elle avait un cœur d'or, un optimisme à toute épreuve, une incroyable énergie. Il aurait fallu qu'elle se ménage, mais elle ne voulait rien entendre ! Elle avait déjà eu des malaises ; l'année passée, elle avait fait une alerte cardiaque. Elle n'avait pas voulu aller à l'hôpital. Il aurait fallu qu'elle entreprenne une série d'examens, mais sa crêperie devait rester ouverte ! Elle aurait dû avoir une alimentation plus légère, mais comment manger moins avec toute cette activité !

Ce soir-là, Marie-Thérèse est venue en personne converser à notre table, mais je crois bien qu'elle est restée debout. Elle ne s'arrêtait jamais ! Nous l'avons chaudement complimentée au sujet de sa pâte, de sa recette exceptionnelle. Qu'elles étaient généreuses, ses galettes et ses crêpes ! Qu'ils étaient délicieux, son cidre fermier et son fromage de chèvre ! Avant que nous partions, elle a tenu à tout prix à nous faire visiter l'arrière de la chaumière, elle voulait nous montrer tous les abat-jour qu'elle confectionnait quand elle avait un moment. Il y en avait des centaines ! Des petits, des plus grands, de toutes les couleurs, en tissu, en laine, en coton… C'était impressionnant, toute cette collection ! C’était une femme extraordinaire !

Au mois d'avril, donc, nous nous étions programmé une petite soirée qui, débutant par un apéro à Saint-Goustan, se poursuivrait chez Ty Baron. C'était devenu une sorte de rituel, un passage obligé, les deux étaient dorénavant liés. Nous étions très joyeux, tous les quatre affamés. Allez hop ! En voiture ! Direction Belz et Locoal-Mendon. Je me suis garée sur le parking juste avant la chaumière, il était désert, il faisait presque nuit. Un véhicule stationnait à hauteur de la crêperie, feux allumés. C'était bizarre, inhabituel, il n'y avait pas d'animation, pas de lumière aux fenêtres…

C'est toi qui as décidé d'aller te renseigner, d'aller voir plus près. Tu t'es dirigé vers la porte d'entrée de la bâtisse puis tu as fait rapidement demi-tour, allant jusqu'à la voiture qui stationnait toujours. Tu t'es entretenu plusieurs minutes avec les personnes qui se trouvaient dans le véhicule ; je te voyais, de là où j'étais. Puis tu es revenu vers nous, la mine déconfite… Alors, c'est fermé ? Oui, nous as-tu répondu. Et je crois bien que c'est pour toujours.

Tu venais d'apprendre la mort de Marie-Thérèse. Les gens auxquels tu avais parlé la connaissaient bien, ils étaient presque voisins. Tu savais tout de l'histoire, tu nous l'as racontée avec les détails que l'on venait de te donner. En novembre dernier, Marie-Thérèse achevait une longue journée de travail quand elle s'est écroulée, juste à la fin de son service. Une crise cardiaque, dont elle ne s'est pas relevée cette fois-ci. C'est ce qu'elle souhaitait, elle ne voulait pas autre chose : elle avait passé toute sa vie dans sa cuisine, alors elle mourrait dans sa cuisine, comme d'autres meurent sur une scène de théâtre…

Depuis, la crêperie était restée fermée. Aux dires de ces gens, il y avait des problèmes entre les héritiers, ceux qui voulaient vendre, ceux qui ne voulaient pas… Quelle triste nouvelle ! Nous n'étions pas prêts d'y revenir manger. Ça nous a tous retournés de savoir, pour Marie-Thérèse. J'ai repensé à Guy ou bien Roger, le serveur sympathique, son ami si admiratif, si dévoué. Que faisait-il aujourd'hui ? Était-il retourné travailler à Rungis ?

Dans la journée, nous étions passés devant la crêperie du Moulin de la Galette, à Plouhinec. Nous nous étions dit qu'il faudrait l'essayer. Pourquoi pas maintenant ? Nous n'allions pas nous laisser abattre, nous étions peinés, certes, mais nous avions faim. Réunis autour d'une table ronde, nous avons levé nos bolées de cidre en hommage à Marie-Thérèse. Dans nos assiettes et dans nos verres, tout, ce soir-là, avait un petit goût amer.